« L'accès sans délai aux soins est une urgence en cancérologie. Un large corps d'études a déjà montré combien le retard à une prise en charge curative est délétère. Des délais d'attente cibles ont d'ailleurs été définis pour plusieurs cancers », rappelle la Dr Ambica Parmar (Toronto, Canada) dans son éditorial (1). Depuis mars 2020, la pandémie augmente ces délais dans de nombreux pays. Cela a remis sur la table cette grande question. Quel réel impact ces délais ont-ils sur la mortalité des patients ?
Une vaste méta-analyse anglo-saxonne d'études essentiellement rétrospectives portant notamment sur sept cancers très courants (sein, poumon, colon, rectum, vessie, col de l'utérus et cancer de la tête et du cou) apporte enfin des réponses quantifiées (2). « Elle montre que chaque semaine de retard entre diagnostic et chirurgie est associée à une augmentation de 6 à 8% de la mortalité totale. Le même délai d'une semaine majore de 9 à 23% la mortalité pour la radiothérapie et de 1 à 28% la mortalité pour les traitements néoadjuvants », résume l'éditorialiste (1).
34 études observationnelles sur plus de 1,2 million de patients
Après analyse de la littérature, 34 études de grande qualité publiées en entre 2000 et 2020 portant sur 17 types de cancer ont été retenues. Allant de 174 patients à plus de 420 000 patients, elles rassemblent au total plus de 1,2 million de patients. Parmi elles, 28 études sont des registres institutionnels. Toutes sont des études observationnelles rétrospectives. Les retards couverts vont de 3 ou 4 semaines à 16 semaines.
Parmi ces 17 cancers, on retrouve 7 cancers représentant à eux seuls 44% des cas : les 5 plus courants (vessie, sein, colon, rectum et poumon), le col de l'utérus (4e cancer des femmes) et les cancers de la tête et du cou, chez lesquels l'association entre délai et mortalité est largement démontrée. Quant au cancer de la prostate, son caractère souvent indolent l'a fait exclure de l'analyse.
L'analyse porte sur :
- le délai entre le diagnostic et le premier traitement (chirurgie définitive, radiothérapie, chimiothérapie).
- le délai entre la chirurgie et le traitement adjuvant quand il est indiqué (chimiothérapie ou radiothérapie post-chirurgie).
- le délai entre le diagnostic et l'initiation du traitement néoadjuvant, ou entre la fin de la thérapie néoadjuvante et la chirurgie.
Le critère primaire est le risque relatif (RR) de décès à chaque semaine de retard dans chaque indication.
Au delà des ajustements sur l'âge, le stade, les comorbidités ou l'état fonctionnel, la plupart de ces études prenaient aussi en compte: des variables socio-économiques (90% des études), le type d'assurance de santé (80%), l'année du diagnostic ou du traitement (65%) et des facteurs institutionnels ou géographiques (90%).
Une surmortalité en cas de retard au traitement de 4 semaines
L'analyse met en évidence une association significative entre délai et mortalité pour 13 des 17 indications examinées. On manque de données de qualité pour 5 radiothérapies ainsi que pour la chirurgie du cancer du col de l'utérus. Néanmoins, globalement dans les 3 modalités (chirurgie, radiothérapie, traitement systémique), un retard au traitement curatif de 4 semaines est associé à une surmortalité.
Pour la chirurgie, cet excès est de l'ordre de 6 à 8%. Pour la radiothérapie et les traitements systémique, l'impact est encore majoré. On a une surmortalité de 9% pour le retard à la radiothérapie dans les cancers de la tête et du cou et de 13% pour le traitement systémique adjuvant des cancers colorectaux. Quant au cancer du sein, la seule étude de bonne qualité en radiothérapie adjuvante ne met pas en évidence d'effet lié au retard sur la mortalité. Néanmoins, un effet net sur le contrôle local a été décrit et un retard plus long, supérieur à 20 semaines, est associée à un excès de mortalité par cancer du sein.
Ainsi, on peut retenir globalement que:
- un retard à la chirurgie de 4 semaines augmente la mortalité de 6 à 8% (RR= 1,06-1,08; colectomie RR=1,06 (1-1,1); cancer du sein RR=1,08 (1-1,1)). Dans le cancer du poumon, le résultat est concordant mais n'est pas significatif (RR=1,06;0,9-1,2)
- un retard au traitement systémique exerce un impact plus varié, la surmortalité oscillant entre 1 et 28% (RR=1,01-1,28)
- un retard à la radiothérapie pour les cancers de la tête et du cou majore de 9% la mortalité (RR=1,09; 1.-1,1)
- un retard à la radiothérapie adjuvante, après chirurgie du sein conservatrice, n'influe pas significativement les décès (RR=0,98; 0,88-1,09), alors que dans le cancer du col ce retard augmente de 23% la mortalité (RR=1,23; 1-1,5).
- un retard au traitement adjuvant et néoadjuvant systémique a un impact très varié suivant les indications. On a par exemple une surmortalité de 24% en néoadjuvant dans la vessie, de 9% en adjuvant dans le sein, de 28% en néoadjuvant dans le sein et de 13% en adjuvant (chimiothérapie) dans les cancers colorectaux. En revanche, la mortalité ne semble pas impactée par un délai de chimiothérapie adjuvante dans le cancer du poumon non à petites cellules ou de la vessie.
Pour une politique de santé minimisant les délais
On s'en doutait. Désormais c'est bien prouvé. Allez vite est primordial en cancérologie. « Un retard, même d'un seul mois, augmente sérieusement le risque de décès. C'est pourquoi en temps de pandémie comme hors pandémie, les politiques de santé doivent se concentrer sur la problématique du délai de l'accès au soin », concluent les auteurs.
(1) Parmar A et Chan KKW. Prioritising research into cancer treatment delays.Better data are essential for effective cancer care both during and after the covid-19 pandemic. BMJ 2020;371:m4261
(2) Hanna TP et al. Mortality due to cancer treatment delay: systematic review and meta-analysis. BMJ 2020;371:m4087
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