Cancer du sein

La bataille des tests génomiques

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Publié le 04/04/2017
Tests

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Crédit photo : Phanie

Sur quels critères, cliniques ou génomiques, doit-on se fonder pour décider d’une chimiothérapie pour éviter la récidive chez les femmes atteintes d’un cancer du sein ?

Cette question suscite depuis plusieurs années un large débat en France. « On a démontré l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante chez les femmes ayant été opérées d’un cancer du sein afin de réduire le risque de rechute. Mais le problème est que le bénéfice de ce traitement n’est pas le même pour toutes les patientes. L’impact du traitement dépend en partie du risque de départ (pronostique), mais surtout de la sensibilité de la maladie micrométastatique au traitement (prédiction) », indique le Pr Joseph Gligorov, responsable du centre expert de sénologie de l’hôpital Tenon (APHP) à Paris.

Limiter le recours à la chimiothérapie

La chimiothérapie pourrait certainement être évitée chez un certain nombre de patientes. « Nous posons aujourd’hui nos indications thérapeutiques essentiellement sur des critères clinicopathologiques que sont : l’existence ou non de ganglions envahis ; la taille de la tumeur, son grade ; la négativité des récepteurs hormonaux ; l’expression d’HER2. Mais ces critères cliniques ne sont plus suffisants, notamment dans les pays industrialisés où le dépistage précoce conduit à un diagnostic de plus en plus fréquent de petites tumeurs sans envahissement ganglionnaire », souligne le Pr Gligorov.

Mieux identifier les patientes grâce aux tests d'analyse génomique

« Ces dernières années ont été développés plusieurs tests d’analyse génomique, qui ont recherché à mieux identifier les patientes bénéficiant ou non d’une chimiothérapie adjuvante. Quatre de ces tests sont aujourd’hui commercialisés et disponibles en France. Il s’agit des tests : MammaPrint, Pam50-Prosigna TM, Endopredict et Oncotype DX. En France, les femmes n’avaient pas jusqu’en 2016 d’accès à ces tests en routine. En effet, en 2012, un rapport de l’Institut national du cancer (INCa) en collaboration avec la Société française de sénologie et pathologie mammaire avait évalué deux de ces tests (MammaPrint et OncotypeDx), ainsi que l'UPA/PAI-1. Ce rapport concluait que, sur la base des données disponibles, la valeur prédictive de ces trois tests n’a toujours pas atteint le niveau de preuve qui permettrait à l’INCa de les considérer comme des outils d’aide à la décision. Dans d’autres pays comme l’Allemagne, les États-Unis, le Canada ou Israël, le niveau de preuve avait été considéré comme suffisant, notamment pour la population de cancers hormonodépendants sans atteinte ganglionnaire. Certaines Agences régionales de santé (ARS), ont toutefois soutenu l’utilisation de ces tests de façon encadrée.

L’ensemble des établissements avait reçu une alerte fin 2015 émanant de la Direction générale de la santé et la Direction générale des soins, visant à ne pas utiliser ces tests et notamment le test OncotypeDx, dont le niveau de développement et de preuve était à l’époque le plus élevé par rapport aux autres tests. Nous avons alors suspendu la prescription de ces tests hors évaluation. De façon assez étonnante, environ 6 mois après, et sans qu’il n’y ait eu de nouvelles données scientifiques majeures, les 4 tests cités ci-dessus dont OncotypeDx ont été intégrés dans le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), avec un financement par la DGOS si ces tests sont prescrits dans le cadre d’une évaluation. À ce jour, ces tests peuvent être prescrits mais avec encore un certain flou quand aux modalités de remboursement », indique le Pr Gligorov.

Pour les tests MammaPrint et Oncotype DX, les tumeurs doivent être envoyées respectivement aux Pays-Bas et aux États-Unis pour que soit faite l’analyse génomique. Pour les deux autres tests, cela peut être fait en France avec des machines et des kits fournis par les fabricants. « L’intégration de certains tests au sein des plateformes génomiques semble parfois prévaloir sur le niveau de preuve scientifique apporté par ces tests, car à ce jour, seul les tests MammaPrint et OncotypeDx ont été évalués dans des études prospectives », précise le Pr Gligorov.

Car pour le Pr Gligorov, ces tests ne doivent pas être prescrits à toutes les patientes, et il est évident que vu leur prix, il est important de privilégier ceux qui ont le niveau de preuve scientifique le plus élevé après une décision partagée entre thérapeutes, anatomopathologistes et patients également. « Il y a eu cet été une publication dans le New England sur le test Mammaprint qui est un bon test pronostique. Toutefois, les résultats sont moins convaincants sur l’intérêt prédictif de ce test, en d’autres termes le lien entre le risque et l’impact de la chimiothérapie. On ne peut pas dire que les critères cliniques font moins bien que les critères génomiques », souligne le Pr Gligorov.

OncotypeDx : en attente des données finales de TailorX

« Une partie de l’autre étude prospective portant sur le test OncotypeDx, l’étude TailorX, également publiée dans la même revue, rapporte les résultats du groupe dit « bas risque » qui sans chimiothérapie présente une survie sans rechute de 99,3 % avec un recul de 5 ans. Les résultats de survie sans rechute du groupe à haut risque (toutes traitées par chimiothérapie) et du groupe intermédiaire, où les stratégies avec ou sans chimiothérapie ont été comparées, sont attendus dans les mois qui viennent. À ce jour, les résultats concernant ce test, ainsi que ceux d’études ou de registres menés en Allemagne et en Israël, permettent clairement de distinguer 3 populations de pronostic différent et nous espérons que les données finales de l’étude TailorX permettront de mieux accompagner nos décisions, dans les situations d’incertitude concernant l’intérêt de la chimiothérapie »

« L’accès à ces tests par le RIHN est aujourd’hui une chance pour les patientes, mais ne doit pas se faire de façon anarchique et sans tenir compte des différences entre ces tests », précise le Pr Gligorov. 

D’après un entretien avec Pr Joseph Gligorov, responsable du centre expert de sénologie de l’hôpital Tenon (APHP) à Paris. Il déclare des liens d’intérêt avec Génomic Health, le fabricant du test Oncotype DX.

Antoine Dalat

Source : lequotidiendumedecin.fr