Dans le cancer colorectal métastatique

La chirurgie du primitif garde sa place contrairement à ce que suggère une étude dans "JAMA surgery"

Publié le 15/01/2015
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Crédit photo : PHANIE

« Moins de chirurgie, survie améliorée ». Le sous-titre d’une étude américaine publiée dans « JAMA Surgery » résume en quelques mots la conclusion des auteurs sur la place à accorder à la chirurgie dans les cancers colorectaux métastatiques. Ce n’est pas l’avis du Pr Marc Pocard, chirurgien digestif au CHU Lariboisière et chercheur INSERM, qui souligne les biais « considérables » de cette étude de cohorte américaine construite sur les données du registre « Surveillance, Epidemiology, and End Results ».

« L’étude a dégagé une tendance à la baisse des interventions aux États -Unis à partir des données d’un système de soins, explique-t-il. Les tumeurs du côlon et du rectum ont été incluses sans distinction, alors que tout le monde s’accorde à dire que les cancers sont très différents et la chirurgie du rectum bien plus risquée techniquement que celle du côlon. Les auteurs ont ensuite établi un lien de causalité avec une diminution de la mortalité depuis les années 2000, sans argument pour étayer ». Pour les auteurs, la part liée à l’arrivée des chimiothérapies et thérapies ciblées depuis les années 2000 - qui n’est pas mesurée -, ne serait pas à même d’expliquer à elle-seule la mortalité à la baisse ni de remettre en question l’hypothèse avancée.

L’ère de la médecine personnalisée

Les conclusions de l’étude vont à l’encontre des pratiques françaises. L’équipe du Dr George Chang, de l’Université du Texas, plaide pour une actualisation des recommandations visant à réduire la place de la chirurgie au profit de molécules telles que l’irinotécan, l’oxaliplatine, le bevacizumab, le cetuximab, la capecitabine et le panitunumab, administrées seules ou associées au 5 fluorouracil. Pour le Pr Pocard, au contraire, la mise à disposition de ces nouveaux outils a facilité le recours à la chirurgie de ces cancers avancés. « Avec les progrès conjoints de la chimiothérapie et chirurgie, un patient atteint de carcinose péritonéale peut espérer survivre plus de 5 ans, ce qui était inimaginable il y a quelques années. La position exprimée dans l’étude est simpliste. Les pratiques en France sont beaucoup plus fines avec les plans Cancer successifs et la généralisation des Réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP). C’est l’ère de la médecine personnalisée. La France obtient d’ailleurs les meilleurs taux de survie dans les cancers en Europe ».

Des PHRC de chirurgie en France

La décision d’une chirurgie dans les cancers colorectaux dépend de nombreux facteurs individuels et tumoraux. « Dans les tumeurs localisées, la base du traitement repose sur la résection. Pour les stades IV, c’est plus compliqué. En cas de métastase hépatique unique, l’idée est de réséquer le primitif et la métastase, si possible dans le même temps opératoire et de réaliser de la chimiothérapie. Si les lésions sont disséminées, plusieurs options peuvent être envisagées, soit de la chimiothérapie seule, soit de commencer par de la chimiothérapie et en cas de bonne réponse, on peut être amené à proposer l’exérèse de la tumeur primitive », explique le Pr Procard. « Il existe un argumentaire fort pour dire que l’exérèse du primitif améliore la survie, souligne le chercheur. C’est la thèse de la niche prémétastatique. De nombreuses données sont disponibles pour les cancers du sein et du rein. Les métastases ne se développeraient pas dans un organe "normal" mais dans un organe modifié sous l’influence du primitif. Autrement dit, la tumeur initiale prépare le terrain aux localisations secondaires », poursuit-il. Les Français ne sont pas en retard dans la recherche sur le cancer et bousculent les habitudes. Un PHRC(Programme Hospitalier de Recherche Clinique) est en cours pour évaluer l’exérèse de la tumeur primitive versus une chimiothérapie longue suivie d’une chirurgie. Et même dans les tumeurs du rectum unanimement moins opérées, la question d’un bénéfice de la chirurgie est posée dans un PHRC par l’équipe lyonnaise du Pr Olivier Glehen.

JAMA Surgery, publié le 14 janvier 2015

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9378