« Il est vrai que, depuis un certain temps, le coût devient un problème aigu en médecine, vu l’allongement de l’espérance de vie, le développement des maladies chroniques et les progrès médicaux réalisés notamment en matière de médicament. Il faut donc faire des choix et les rationaliser », résume le Pr Jean-Luc Harousseau, président du collège de la Haute autorité de santé (HAS) et de la commission évaluation économique et de santé publique (CEESP) de la HAS.
Une envolée certaine des dépenses
En France, grâce à plusieurs dispositifs dont les autorisations temporaires d’utilisation et les financements hors T2A sur la liste en sus, nous avons jusqu’ici pu mettre rapidement à disposition des patients la plupart des innovations – notamment en cancérologie – à un stade précoce de leur développement. Mais jusqu’à quand ?
La recherche thérapeutique est très active en cancérologie, qui mobilise 20 à 30 % des nouvelles autorisations de mise sur le marché (AMM) actuellement. Plus démonstratif encore : 45 % des études cliniques en cours lui sont consacrées dans notre pays, dont de nombreux essais de biothérapies ciblant une mutation génétique et d’immunothérapie (anti-PD1, anti-PDL1).
L’émergence de l’immunothérapie qui, après le mélanome, vient de montrer son intérêt dans les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) va nous amener à faire face à des dépenses jusqu’à présent non envisagées. « L’INCa a estimé que le coût de l’immunothérapie avoisinera les 300 millions d’euros par an pour le mélanome et 3 milliards d’euros par an pour le CBPNP dans le cadre de l’indication visée par l’AMM. Une dépense qui dépasse de loin celle des nouveaux traitements de l’hépatite C, qui ont fait largement débat cette année », souligne J.-L. Harousseau. « Or, si dans l’hépatite C on peut se contenter de traiter en priorité les patients les plus graves pour limiter le coût annuel de ce nouveau traitement, en cancérologie on ne peut pas retarder un traitement. Et on doit faire face à près de 25 000 nouveaux cas de CBNPC chaque année ».
Au-delà de l’efficacité et de la sécurité, le coût des anticancéreux ne peut donc plus être ignoré. Signe des temps, pour la première fois cette année à l’ASCO, une session plénière était dédiée aux coûts des traitements en cancérologie.
Intégrer l’efficience à l’évaluation
Afin de prendre en compte la problématique du coût, la loi de financement de la sécurité sociale 2012 a introduit en France l’évaluation médico-économique des produits innovants. « Opérationnelle depuis début 2014, elle a déjà permis d’évaluer une trentaine de produits innovants et chers dont certains anticancéreux », rappelle J.-L. Harousseau.
Il s’agit d’une évaluation coût/résultat, qui estime ce que l’on appelle l’efficience du nouveau produit, par comparaison à celui de référence dans la pathologie. C’est-à-dire, avec un certain degré d’incertitude, le coût supplémentaire à payer par année de vie gagnée en bonne santé (en €/QALY).
L’efficience est utilisée depuis longtemps par les Anglais du National Institute for Health and Care Excellence (NICE). En France, c’est dorénavant la commission évaluation économique et en santé publique (CEPPS) qui s’en charge.
« Mais, à la différence des Britanniques, nous n’avons pas fixé de seuil à ne pas dépasser (30–50 000 livres sterling/année de vie pour le NICE). Pour exemple, le conjugué trastuzumab-emtansine (Kadcyla), indiqué dans certains cancers du sein, est pris en charge, malgré un rapport coût/résultat élevé : de 200 000 euros/QALY. L’efficience est un outil qui intervient, avec l’ASMR, dans la négociation du prix. Le but poursuivi est de rationaliser, et non pas rationner l’accès aux thérapeutiques innovantes », souligne J.-L. Harousseau
Planifier des accords de remise et ré-évaluation de prix
« Une autre voie, pour rationaliser les coûts, est de discuter et planifier des remises sur le prix par des accords signés entre le comité economique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire », ajoute J.-L. Harousseau. Mais d’autres modalités sont à l’étude. Notamment, la mise en place d’accords sur la performance en vie réelle, parallèlement à une réévaluation de l’efficience dans la vraie vie dans les 3 à 5 ans après la mise sur le marché du produit. En Italie, désormais, les accords de prise en charge avec les laboratoires sont soumis à la mise en place de registres d’analyse en vie réelle. C’est une démarche très intéressante.
Respecter le bon usage
Un autre point important est le respect du bon usage du médicament. En cancérologie, on a en effet toujours eu tendance à utiliser, dans les situations cliniques difficiles, les médicaments en dehors de leur AMM initiale sans attendre toujours les extensions d’indication officielles. Compte tenu du prix, il faut avoir une attention particulière à ces prescriptions hors AMM et les encadrer. C’est-à-dire, vérifier qu’elles sont acceptables. Rappelons que l’accès à la liste en sus est conditionnée à l’acceptation par chaque établissement d’un respect du contrat de bon usage.
Les établissements s’engagent à respecter ce bon usage, en particulier les indications de plus en plus précises et restrictives en cancérologie, à l’heure des thérapies ciblées. Il faut probablement, à l’avenir, renforcer cette surveillance du bon usage, initialement réalisée par les observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (OMEDIT).
Totaliser le parcours de soin
Les thérapies très chères sont souvent utilisées en association, à un moment de l’évolution de la maladie ; ce qui augmente encore les coûts. Il semble donc nécessaire à l’avenir de réfléchir à des modalités de prise en charge non plus en termes de prix du médicament mais plus globalement de parcours de soin, en fonction du stade évolutif d’une pathologie.
Il y a néanmoins de nombreux obstacles à cette stratégie – dont la clé de répartition budgétaire entre les différents intervenants. Mais la réflexion est en cours. Et déjà, certains laboratoires y réfléchissent. C’est une nouvelle piste à explorer pour l’avenir.
Améliorer la transparence des négociations
Enfin, il serait souhaitable d’augmenter la transparence dans la justification du prix demandé par l’industrie pharmaceutique. Les laboratoires arguent d’importants coûts de recherche et développement. Mais il s’agit plus, parfois, d’obtenir un retour sur investissement rapide – comme dans l’hépatite C pour l’antiviral Solvadi, qui venait d’être racheté par le laboratoire à une société de biotechnologie… Il faudrait donc mieux comprendre quelle politique industrielle les laboratoires se fixent quand ils décident d’un prix. Est-ce pour supporter le développement de nouvelles études cliniques dans d’autres indications ? D’un autre côté, il faut sans doute réfléchir aussi à de nouveaux modes d’évaluation et de prise en charge plus rapides quand l’innovation est majeure, de manière à réduire les coûts de développement.
« Malgré toutes ces pistes, il n’est pas exclu que nous n’arrivions pas à résoudre l’équation par rapport aux ressources en santé publique », reconnaît J.-L. Harousseau.
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