Pour mieux comprendre le vécu émotionnel, social, professionnel et financier des patients atteints d'hémopathies malignes, trois associations de patients (1) et trois laboratoires spécialisés dans les hémopathies malignes (2), encadrés par un comité scientifique pluridisciplinaire (deux hématologues, un infirmier spécialisé en hématologie et une oncopsychologue), ont mis en œuvre l'enquête EnPatHie (3) [Enquête nationale sur l’expérience vécue par les Patients adultes atteints d’Hémopathies malignes]. Cette enquête qualitative donne la parole aux patients, à leur entourage et aux professionnels de santé et du secteur médicosocial. « Les résultats d'EnPatHie mettent notamment en exergue la nécessité pour l'hématologue de présenter les soins de support – dont l'accompagnement psychologique –, dès l'annonce du diagnostic. Car vivre avec une hémopathie maligne bouleverse le quotidien des patients et engendre souvent une grande fatigue, des changements physiques, des aménagements professionnels et financiers, des doutes, des angoisses et un isolement social », souligne Karen Kraeuter, onco-psychologue à l'hôpital Avicenne (AP-HP) de Bobigny, membre du comité scientifique d'EnPatHie.
Accompagner les patients et leurs proches
Par ailleurs, l'alternance entre des phases asymptomatiques et d’autres phases avec de forts impacts physiques et psychologiques transforme les relations au sein de la famille. Dans les phases aiguës, les proches ne savent pas toujours comment appréhender le malade ; ils ont parfois tendance à prendre leurs distances ou, au contraire, à les surprotéger. À l’inverse, dans les périodes ou le patient présente peu ou pas de symptômes, ils peuvent, à tort, le considérer comme bien portant. Une des recommandations issues de l'enquête EnPaThie est notamment de suivre également le (ou les) proche(s) du malade en lui(leur) proposant une ou plusieurs consultations psychologiques, car ils(s) peu(ven)t aussi peut être affecté par la maladie. « Les patients et leur entourage doivent apprendre à vivre avec un très haut niveau d'incertitude quant à l'évolution de la maladie et son impact sur la vie quotidienne. Cela les fragilise, les décourage, les angoisse et peut les déprimer. Nous prenons encore trop souvent en charge les patients, de façon trop tardive, lorsqu'ils manifestent une souffrance aigüe. Or une prise en charge précoce peut éviter un effondrement psychologique et nous permettre d'accompagner des patients en grande difficulté, peu démonstratifs et/ou qui ne demandent pas spontanément de l'aide », confie Karen Kraeuter.
Mieux communiquer
Autres points mis en avant par l'étude EnPatHie, la nécessité d'encourager l’utilisation, par l'hématologue d’outils d’évaluation de la fatigue, mais aussi, d'aider les professionnels de santé à mieux comprendre le profil psychosocial du malade. Des formations sur la communication, le langage non verbal et la relation médecin-patient favorisent ainsi l’alliance thérapeutique. La souffrance psychologique du patient impacte toutes les sphères de sa vie, mais aussi sa prise en charge (augmentation de la fréquence et de la durée d'hospitalisation, perte d'autonomie, mauvaise observance thérapeutique...). Pour que cette souffrance soit traitée de façon précoce, l'hématologue - et l'ensemble des professionnels de l'équipe pluridisciplinaire - doivent proposer des réponses personnalisées au patient. « Au sein de l'équipe, nous devons tous être à l'écoute des questions du patient, même lorsque notre profession ne nous permet pas d'y répondre directement. Si l'hématologue doit, par exemple, être ouvert aux questions d'ordres pratiques ou psychologiques, l'infirmier ou le psychologue doit prendre en compte une question médicale et orienter, si besoin, le patient vers le professionnel adéquat. Le patient doit ainsi pouvoir trouver plusieurs « portes d'entrée » au sein de l'équipe qui le suit et nous devons tous être réceptifs à ses besoins », note Karen Kraeuter. Enfin, l'enquête EnPatHie met en lumière le fait qu'outre l'équipe hospitalière, le patient doit trouver un relais en ville (réseaux de soins de support, implication des pharmaciens...) pour que sa prise en charge soit optimale.
Des enseignements clés pour les cancérologues
L'enquête EnPatHie met en exergue le fait -qu'après l'annonce du diagnostic- de nombreux patients ne comprennent pas leur maladie. « Certains hématologues pensent, à tort, rassurer les patients en évitant de mentionner le terme « cancer » et en évoquant les mots « myélome » ou «lymphome ». Or les patients ont beaucoup de mal à comprendre la maladie cachée derrière ces termes. Les médecins devraient les expliciter systématiquement et simplement en indiquant qu'ils désignent un cancer de la moelle osseuse ou des ganglions lymphatiques », affirme le Pr Loïc Ysebaert, hématologue, Institut universitaire du cancer de Toulouse (IUCT) Oncopole et membre du comité scientifique de l'enquête EnPatHie.
L'étude met, également, en avant l'importance pour le patient d'être accompagné d'un proche lors des consultations médicales. Elle rappelle, en outre, la nécessité, pour l'hémato-oncologue d'indiquer au patient l'ensemble des soins de supports (psychologues, kinésithérapeutes, socio-esthéticiennes...) disponibles à l'hôpital et en ville dès la consultation d'annonce de la maladie. « Les hématologues ne sont pas formés pour gérer la maladie chronique. Ils doivent déléguer certaines missions aux associations de patients. Ces derniers sont notamment bien placés pour informer les patients et les aiguiller en fonction de leurs problématiques (sociales, psychologiques...) », précise le Pr Ysebaert. Par ailleurs, les oncologues doivent également se doter d'outils pour mieux suivre l'impact de la maladie sur la qualité de vie de leur patient (utilisation régulière d'échelles d'évaluation de la fatigue par exemple). « Avec le virage de la prise en charge en ambulatoire, ce suivi est rendu indispensable pour nombre de patients », note le pr Ysebaert. Les nouveaux traitements ont facilité le virage ambulatoire. En effet, depuis les années 2000, près de 50% des thérapies ciblées mises sur le marché se présentent sous forme orale (4).
(1) L’AF3M (Association française des malades du myélome multiple), France Lymphome Espoir et SILLC (Association de soutien et d’information à la leucémie lymphoïde chronique et la maladie de Waldenström).
(2) Celgene, Janssen et Roche
(3) Le projet ENPATHIE a été initié en juillet 2015. Le recrutement, le suivi et l’interrogation des patients, soignants et proches ont eu lieu de juillet 2016 à mars 2017, 55 malades adultes ont été interrogés : 25 patients souffrant d’un lymphome non-hodgkinien, 15 patients atteints de myélome multiple et 15 patients atteints d’une leucémie lymphoïde chronique ou de la maladie de Waldenström.
Plus d'informations sur l'enquête EnPatHie : AF3M www.af3m.org/contact.html ; France Lymphome Espoir - 01 42 38 54 66 - www.francelymphomeespoir.fr/contact ; SILLC www.sillc-asso.org
(4) Livre Blanc, L’organisation de la prise en charge des patients sous thérapies orales en hématologie, novembre 2016.
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