Après des résultats décevants dans les premières études de phase I pour les patients avec un CCRm, les ICI par anticorps anti-PD1 (pembrolizumab et nivolumab) en monothérapie ou associé à un anti-CTL4 (ipilimumab) ont été développés avec succès dans une population bien spécifique : les CCRm MSI (1,2). L’instabilité microsatellitaire est liée à une déficience sporadique acquise ou constitutionnelle (syndrome de Lynch) du système MMR. La sélection des patients au sein des études est faite par un test d’immunohistochimie (IHC) ou de biologie moléculaire (PCR). Les résultats d’essais de phase 2 ont permis au pembrolizumab d’obtenir l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) dans les CCRm MSI réfractaires au traitement standard, aux États-Unis en mai 2017 (2-4). Le nivolumab, associé à l’ipilimumab, a également obtenu l’approbation de la FDA aux États-Unis en juillet 2018, dans la même indication (5,6). Avec un suivi prolongé, les résultats de ces études non randomisées sont impressionnants. Le traitement par ICI constitue un changement de paradigme dans la prise en charge des patients avec CCRm MSI. À 25 mois de suivi médian, le taux de survie globale à deux ans atteint 74 % avec la combinaison nivolumab/ipilimumab, chez les patients ayant reçu au moins deux lignes de traitements antérieures (certains étant en réponse complète et d’autres opérés de masses résiduelles en réponse complète histologique) [7].
Une survie sans progression doublée en première ligne
Il fallait une phase 3 pour espérer une AMM en Europe. Ainsi, l’essai KEYNOTE-177, présenté en session plénière lors du congrès de l’American Association of Clinical Oncology (ASCO) et en cours de publication, a évalué en première ligne l’intérêt du pembrolizumab dans cette population de patients avec CCRm MSI (8). 307 patients ont été randomisés (1/1) entre le pembrolizumab (toutes les trois semaines pendant deux ans ou jusqu’à progression ou toxicité inacceptable) et le traitement de référence (chimiothérapie par fluoropyrimidines avec oxaliplatine ou irinotecan ± bévacizumab ou cétuximab). L’objectif principal reposait sur deux co-critères : la survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG). Avec une médiane de suivi de 32,4 mois, le pembrolizumab permet un doublement de la médiane de SSP (16,5 vs 8,2 mois ; HR = 0,60 [0,45-0,80] ; p = 0,002). À 24 mois de la randomisation, 48,3 % des patients sous pembrolizumab n’avaient pas progressé et ont pu arrêter tout traitement versus 18,6 % pour ceux traités par chimiothérapie. L’analyse de la SG n’est pas encore mature. Le profil de tolérance était plus favorable sous pembrolizumab, avec 22 % d’évènements indésirables de grade 3-4 versus 66 % sous chimiothérapie. De plus, une meilleure qualité de vie a été observée sous pembrolizumab, dont le schéma d’administration est beaucoup plus simple que celui des chimiothérapies conventionnelles.
Ces traitements (pembrolizumab, nivolumab et ipilimumab) ne sont pas autorisés en Europe et les AMM, nécessaires et urgentes pour ces patients, tardent à venir. Ceci pose un vrai problème éthique au regard des différents résultats obtenus. En attendant, la structuration de la recherche clinique en France permet de pallier en partie cette absence d’AMM, grâce à la possibilité de traiter les patients dans le cadre d’essais cliniques dédiés.
Cependant, parmi les patients avec un CCRm, seuls 5 % sont MSI. Chez les autres patients, aucune preuve d’efficacité des ICI (± chimiothérapie) n’existe actuellement en cas de CCRm avec stabilité des microsatellites (MSS), de nombreux essais étant négatifs.
Et aux stades précoces de la maladie ?
Chez les patients MSI, l’activité clinique majeure des ICI en situation métastatique a amené à évaluer ces traitements en situation néoadjuvante dans le cancer du côlon. Ainsi, dans une étude pilote récemment publiée (9), les patients ont reçu un traitement préopératoire court (deux injections de nivolumab et une injection d'ipilimumab). Avec cette combinaison, des réponses pathologiques majeures, chez 19 des 20 patients traités, ont été retrouvées sur la pièce opératoire de colectomie, ouvrant la porte à d’autres essais en situation néoadjuvante ou adjuvante.
Ainsi, il n’y a plus un seul type de CCR, mais deux maladies différentes. D’un côté, on distingue le CCR MSI (15 % aux stades localisés et 5 % en métastatique) instable génétiquement, avec une forte charge mutationnelle et beaucoup de néoantigènes où l’immunothérapie va modifier radicalement la prise en charge. De l’autre côté, il existe le CCR avec une instabilité de type chromosomique (CIN+) et MSS (85 % aux stades localisés et 95 % en métastatique), aneuploïde, avec perte de matériel génétique, où l’immunothérapie n’a pas encore fait ses preuves.
Sorbonne Université, service d’oncologie digestive à l'hôpital Saint-Antoine (Paris)
(1) Cohen R. et al. Bull Cancer. 2019;06(2):137-42
(2) Le DT. et al. N Engl J Med. 2015;372(26):2509-20
(3) Le DT. et al. J Clin Oncol. 2020;38:11-9
(4) Le DT. et al. Science. 2017;28;357(6349):409-13
(5) Overman MJ. et al. Lancet Oncol. 2017;18(9):1182-91
(6) Overman M. et al. J Clin Oncol. 2018;36:773–9
(7) Ludford K. et al. J Natl Cancer Inst 2020 Apr 15;djaa052. doi: 10.1093/jnci/djaa052
(8) André T. et al. J Clin Oncol 2020;38:2020 (suppl ; LBA4)
(9) Chalabi M. et al. Nat Med. 2020;26(4):566-76
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