L’UTILITÉ d’un marqueur découle de sa spécificité, de sa sensibilité et de son caractère pronostique. En cancérologie digestive, trois marqueurs tumoraux sanguins sont largement utilisés en routine depuis plus de 20 ans : l’antigène carcinoembryonnaire (ACE), le CA 19-9 et l’alphafœtoprotéine, sans qu’ils n’aient fait formellement la preuve de leur pertinence sur la base d’études randomisées de bonne méthodologie. « Cette large utilisation des marqueurs, outre un impact économique non négligeable compte tenu de la prévalence élevée des cancers digestifs, a également des conséquences pour le patient. En effet, des dosages élevés induisent un stress majeur et souvent la réalisation d’explorations complémentaires pouvant être elles-mêmes délétères », souligne le Pr Jean-Marc Phelip. Quelle est la réelle utilité de ces marqueurs, qui sont des substances protéiques endogènes sécrétées également de façon physiologique ou sous l’influence de divers facteurs (tabagisme, insuffisance rénale chronique ou maladie inflammatoire chronique pour l’ACE) ?
Après un cancer colorectal réséqué.
Dans le cadre de la surveillance d’un cancer colorectal réséqué, le dosage de l’ACE est très largement réalisé en pratique clinique, pour dépister une récidive précoce susceptible de bénéficier d’une résection complète. « La littérature, abondante et hétérogène, est difficile à analyser car il n’y a pas d’essai prospectif ayant comparé deux stratégies de surveillance similaire incluant ou non ce dosage », note le Pr Phelip. Quatre études randomisées ne montrent toutefois aucune différence en termes de survie à 5 ans entre surveillance intensive, surveillance minimale et absence de surveillance. Ainsi, même si les dosages réguliers de l’ACE peuvent permettre une avance au diagnostic et une résection plus fréquente, ils n’ont pas d’impact sur le pronostic. Ces données ont guidé les recommandations françaises qui ne préconisent pas le dosage systématique de l’ACE dans ce cadre mais le réservent à des situations particulières, notamment en cas de doute à l’imagerie. En présence de lésions non mesurables typiques de métastases, telles qu’une infiltration péritonéale ou pleurale, le dosage de l’ACE présente alors le double intérêt de conforter le diagnostic de métastases du cancer réséqué et de suivre l’évolution de la tumeur sous traitement. Un essai français multicentrique de phase III (FFCD-PRODIGE 13), compare actuellement plusieurs stratégies de surveillance du cancer colorectal réséqué (standard avec échographie abdominale et radiographie de thorax, associée ou non à un dosage de l’ACE et/ou un scanner thoracoabdominal). Le critère d’évaluation est la survie à 5 ans. Il permettra de répondre à la question de l’intérêt d’une surveillance renforcée et plus particulièrement du dosage de l’ACE. Plus de 1 000 patients ont déjà été inclus, pour un objectif de 2 500.
Diagnostic de cancer primitif.
Autre question importante : quelle est la place des marqueurs dans la recherche d’une tumeur primitive lors de la découverte de nodules hépatiques ? « L’ACE et le CA 19-9 ne sont pas très spécifiques, rappelle le Pr Phelip. Le premier peut être augmenté plus particulièrement dans les cancers colorectaux, gastriques et du sein, tandis que le second relève plutôt du spectre biliopancréatique. Seule l’alphafœtoprotéine, dont les taux s’élèvent dans les tumeurs germinales et le cancer primitif du foie, a pu permettre de s’affranchir de l’histologie dans le diagnostic de carcinome hépatocellulaire lorsque son taux était supérieur à 400 ng/ml et que la tumeur apparaissait hypervascularisée avec lavage portal. Mais cette démarche diagnostique, déjà limitée par le manque de sensibilité diagnostique dans les tumeurs de moins de 2 cm, a récemment évolué avec l’arrivée des thérapies ciblées qui imposent une parfaite connaissance du profil biologique de la tumeur ». Les récentes recommandations de l’AASLD (American Association for the Study of Liver Diseases) ne tiennent ainsi plus compte du taux d’alphafœtoprotéine dans l’algorithme diagnostique.
Évaluation de l’efficacité des traitements.
« Quant à l’intérêt des marqueurs pour évaluer l’efficacité thérapeutique, il est probable, note le Pr Phelip. Mais à la lumière des données actuelles, c’est la réponse en imagerie qui doit être privilégiée, exception faite des cas où la maladie n’est pas mesurable ».
D’après un entretien avec le Pr Jean-Marc Phelip, président de la fédération de cancérologie du CHU de St-Etienne, chef du pôle digestif urologie andrologie (DUA), unité LINA EA-4624, université Jean-Monnet, CHU, Saint-Étienne.
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