Aujourd'hui, une analyse en face-à-face du rivaroxaban versus apixaban, les deux NACO les plus prescrits dans cette indication, vient apporter des réponses (2). Ses résultats devraient avoir d'importantes conséquences en pratique clinique… (3)
Plus de 580 000 patients âgés inclus
L’étude de cohorte porte sur 581 000 patients de plus de 65 ans atteints de FA. Ces sujets du programme Medicare, dont 227 000 sont sous rivaroxaban et 354 000 sous apixaban, ont 77 ans d'âge moyen. L’essai a inclus la même proportion d'hommes et de femmes.
Les sujets sous rivaroxaban sont très légèrement plus jeunes (76 ans versus 77 ans), un peu moins souvent des femmes (48 % versus 51 %) et présentent un score CHA2-DS2-VASc sensiblement plus bas (4,2 versus 4,4). Ils ont en outre moins souvent des facteurs de risque de type : antécédents d'AVC, saignements intracrâniens (8,5 % versus 9,8 %), infarctus du myocarde (IDM) [6 % versus 7 %], insuffisance cardiaque (IC) [30 % versus 31 %], insuffisance rénale de stade 3 ou non spécifié (14 % versus 18 %), antécédents hémorragiques, anémie, chutes à répétition… De plus, les hospitalisations dans le mois précédant l'initiation du traitement anticoagulant (27 % versus 29 %) étaient moins fréquentes. Avant ajustement, les sujets sous rivaroxaban sont donc de meilleur pronostic.
Le suivi des personnes de cette cohorte s’étend jusqu’à quatre ans après initiation du traitement par NACO. Au total, il porte sur plus de 474 000 patients années.
Un surrisque lié au rivaroxaban
Même après ajustements, les résultats montrent que le rivaroxaban est associé à davantage : d’évènements ischémiques majeurs (AVC, embolisme systémique : 8,6 versus 7,6 évènements/1 000 personnes années ; RR = 1,12), d’évènements hémorragiques majeurs (hémorragies intracérébrales ou extra-cérébrales fatales, autres saignements intracrâniens : 7,5 versus 5,9 évènements/1 000 personnes années, RR = 1,6), d’hémorragies intracérébrales fatales (1,4 versus 1 évènements/1 000 personnes années ; RR = 1,4), d’hémorragies extra-cérébrales non fatales (40 versus 18 évènements/1 000 personnes années ; RR = 2,1), de décès de cause ischémique ou hémorragique (4,5 versus 3,3 évènements/1 000 personnes années ; RR = 1,3) et de mortalité toutes causes (44 versus 41 évènements/1 000 personnes années ; RR = 1,06). Enfin, ce surrisque est retrouvé à la fois chez les patients traités à dose pleine et ceux recevant une faible dose de rivaroxaban (presque un quart des sujets sous rivaroxaban), qui sont a priori plus sensibles aux différences d'efficacité et de tolérance en raison de leur profil de risque.
Des affinités différentes en cause
Le rivaroxaban et l’apixaban sont des inhibiteurs réversibles du facteur Xa très proches : même poids moléculaire, même demi-vie, pics de concentrations plasmatiques superposables. En revanche, ils ne se fixent pas de la même manière et n'ont pas les mêmes « points d'accroche », avec à la clé des constantes d'affinités différentes. Le rivaroxaban se fixe plus fortement que l'apixaban et se dissocie beaucoup plus rapidement. « Aux doses thérapeutiques utilisées (15 à 20 mg une fois par jour), l’effet du rivaroxaban sur la génération de thrombine est beaucoup plus instable, avec des pics plus élevés et des vallées plus profondes, précise le Pr Jean-Philippe Collet. Ce qui peut expliquer en partie l'excès d'évènements hémorragiques chez certains patients. D’autre part, l'administration en une seule prise par jour du rivaroxaban, versus celle en deux prises de l'apixaban (5 mg deux fois par jour) induit une variabilité des concentrations plasmatiques et de l'activité anti-Xa du rivaroxaban majorée avec un effet vallée sûrement largement impliqué dans l'excès d'évènements ischémiques ».
Plusieurs études randomisées à l’appui
Au-delà de cette étude de cohorte, plusieurs vastes essais randomisés menés dans diverses indications avaient déjà montré l'efficacité et surtout la bonne tolérance de l'apixaban. En effet, celui-ci est le seul NACO à avoir été comparé à l'aspirine dans la FA chez les patients non éligibles aux AVK, avec dans l'étude AVERROES une réduction des évènements ischémiques (AVC, embolies) sans augmentation du risque hémorragique (hémorragies majeures et intracrâniennes) [4]. « Publiés en 2011, ces résultats laissaient déjà présager d'un rapport efficacité/tolérance extrêmement intéressant, confirmé par des études ultérieures », ajoute le Pr Collet.
Dans l'étude princeps ARISTOTLE, l'apixaban s'est montré dans la FA non inférieur aux AVK en termes d'ischémies majeures et supérieur concernant les complications hémorragiques majeures (hémorragies majeures : 2,1 % par an versus 3,1 % ; RR = 0,7) [4,5]. De plus, il était associé à une réduction de 10 % de la mortalité totale (3,5 % versus 3,9 %, RR = 0,9 ; p = 0,047). Ce bénéfice entraîna l'arrêt immédiat de l'essai pour raison éthique après 1,8 année de suivi.
« Plus récemment, les études menées sur le TAVI (remplacement valvulaire aortique percutané) ont retrouvé la même convergence d’effet et de profil d'efficacité/tolérance », explique le Pr Collet. Présenté cette année au congrès américain de l'ACC, l’essai ATLANTIS évaluait la nécessité ou pas d'être sous anticoagulant. Les 1 500 patients inclus recevaient soit l’apixaban (2,5 mg ou 5 mg deux fois par jour, si associé à un antiplaquettaire), soit le traitement standard indiqué, à savoir un AVK ou un antiplaquettaire (6). Au terme du suivi, la supériorité de l’apixaban par rapport au traitement standard n’est pas démontrée sur le critère associant les décès, AVC, accidents ischémiques transitoires, IDM, thromboses de valve symptomatiques, embolies et hémorragies majeures. « Il est toutefois non-inférieur et associé à une réduction d'un facteur quatre des thromboses de valves infracliniques (1,4 % versus 7,1 %; RR = 0,18) », précise le cardiologue. Ce bénéfice est surtout observé par rapport à l’antiplaquettaire (1,1 versus 8,5 % ; RR = 0,12), alors que les taux d’hémorragies sont strictement superposables (7). Si dans ATLANTIS l'apixaban fait jeu égal avec les AVK, dans l’essai ENVISAGE-TAVI l’edoxaban s'est révélé non inférieur aux AVK, mais au prix d'un excès d'hémorragies majeures (8). Quant au rivaroxaban dans le TAVI (versus aspirine), il a été à l'origine de plus d'hémorragies et d'un excès de décès (9).
D'après un entretien avec le Pr Jean Philippe Collet ( CHU Pitié Salpétrière, Paris)
(1) Patel MR et al. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. NEJM 2011;365:883-91.
(2) Ray WA et al. Association of Rivaroxaban vs Apixaban With Major Ischemic or Hemorrhagic Events in Patients With Atrial Fibrillation. JAMA 2021;326:2395-2404
(3) Ferro EG et al. Informing the Choice of Direct Oral Anticoagulant Therapy in Patients With Atrial Fibrillation. JAMA 2021;326: 2372-4.
(4) Connolly SJ et al. Apixaban in Patients with Atrial Fibrillation(AVEROES). NEJM 2011;364:806-17
(5) Granger CB et al. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation (ARISTOTLE). NEJM 2011;365:981-92.
(6) Collet JP et al. Oral anti-Xa anticoagulation after trans-aortic valve implantation for aortic stenosis: The randomized ATLANTIS trial. Am Heart J 2018;200:44-50
(7) Collet JP et al.Oral anti-Xa anticoagulation after trans-aortic valve implantation for aortic stenosis: the randomized ATLANTIS trial. ACC 2021. May 15, 2021.
(8) Van Mieghem NM et al. Edoxaban versus Vitamin K Antagonist for Atrial Fibrillation after TAVR. NEJM 2021;385:2150-60
(9) Dangas GD et al. A Controlled Trial of Rivaroxaban after Transcatheter Aortic-Valve Replacement.NEJM 2020;382:120-9
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