Depuis 1785 et les travaux de Whitering, les digitaliques demeuraient les seuls inotropes utilisables par voie orale, tous les essais portant sur les agonistes bêta-adrénergiques et les inhibiteurs de la phosphodiestérase-3 s’étant soldés par des échecs. Le mécanisme d’action de ces inotropes, à l’origine d’une augmentation de la concentration calcique intra-myocytaire et d’une majoration de la consommation en oxygène, est responsable de leurs effets délétères : arythmogènes à court terme (à l’étage atrial et ventriculaire) et pro-apoptopique à moyen terme, impactant défavorablement la survie à long terme.
L’utilisation de ces calcitropes doit donc être réservée au traitement du choc cardiogénique, en pont à la transplantation ou à l’assistance, ainsi qu’aux soins palliatifs. Sensibilisateur calcique des protéines contractiles et inhibiteur de la phosphodiestérase-3, le lévosimendan ne s’est pas révélé supérieur par voie intraveineuse (IV) à la dobutamine, ni utilisable par voie orale. Il a donc fallu attendre 235 ans pour découvrir un nouvel inotrope positif, administrable par voie orale, bien toléré et ne majorant pas le risque de décès…
L’omécamtiv mécarbil : des résultats limités par voie IV dans l’IC aiguë
Premier de la classe des myotropes, l’omécamtiv mécarbil active directement la myosine, augmentant le nombre de ponts myosine-actine, le volume d’éjection systolique et prolongeant la contraction myocardique. Par contre, il ne majore ni la teneur calcique intra-myocytaire, ni la consommation myocardique en oxygène. Administré par voie IV, il entraîne de manière dose-dépendante une augmentation du temps d’éjection systolique ventriculaire gauche et une diminution du volume télésystolique ventriculaire gauche, sans modification de la dP/dt max.
L’omécamtiv mécarbil par voie IV a d’abord été testé au cours de l’insuffisance cardiaque (IC) aiguë dans l’essai ATOMIC-AHF (1), à trois doses croissantes, par rapport à un placebo. Pour l’ensemble des patients, l’étude est neutre : l’omécamtiv mécarbil ne modifie pas de manière significative le critère primaire. En revanche, la dyspnée appréciée par l’échelle de Likert, est améliorée par la plus forte posologie d’omécamtiv mécarbil. Cliniquement, le produit est bien toléré, sans effet arythmogène auriculaire ou ventriculaire. Son utilisation est cependant associée à une élévation très modérée non dose-dépendante des concentrations de troponine plasmatique, qui a été rapportée à la diminution du temps diastolique et donc de la perfusion myocardique.
Un bénéfice et une bonne tolérance par voie orale dans l’IC chronique
Par voie orale, l’omécamtiv mécarbil a fait l’objet de deux essais, dont l’étude de dose COSMIC réalisée chez 448 patients avec IC à fraction d’éjection réduite (ICFEr) chronique. Les effets de chacune des posologies, échelonnées de 25 à 50 mg deux fois par jour, ne diffèrent pas du placebo. Par contre globalement, l’omécamtiv mécarbil augmente significativement le temps et le volume d’éjection systolique, ainsi que la fraction d’éjection ventriculaire gauche. Il diminue les volumes télésystoliques et télédiastoliques ventriculaires gauches, le taux moyen de NT-proBNP et la fréquence cardiaque (2).
L’essai GALACTIC est une étude de morbi-mortalité ayant inclus 8256 patients symptomatiques avec ICFEr chronique sévère. Ils avaient nécessité une hospitalisation ou un passage aux urgences pour décompensation cardiaque dans l’année précédente ou étaient en cours d’hospitalisation pour IC aiguë (fraction d’éjection ≤ 35 %, taux de NT-proBNP ≥ 400 pg/mL en rythme sinusal ou ≥ 1200 pg/mL en cas d’arythmie atriale). Une pression artérielle (PA) basse (si PA systolique ≥ 85 mmHg) et une insuffisance rénale (si débit de filtration glomérulaire estimé ≥ 20 mL/min/1,73 m²) autorisaient l’inclusion (3). L’omécamtiv mécarbil était administré à posologie progressive, allant de 25 à 50 mg deux fois par jour, adaptée à son taux plasmatique, évitant ainsi une élévation significative de la troponine. Après un suivi moyen de 21,8 mois, une réduction significative du critère primaire est observée sous omécamtiv mécarbil : moins 8 % de décès cardiovasculaires et d’évènements liés à l’IC (hospitalisation ou passage aux urgences pour décompensation), sans impact sur la mortalité (4). Si l’effet est modeste, l’analyse en sous-groupe révèle que les patients bénéficiant le plus du traitement ont une fraction d’éjection < 28 %, qui correspond à la médiane de distribution (p d’interaction = 0,003), et sont globalement dans un état plus grave (en cours d’hospitalisation à l’inclusion, en stade III-IV de la NYHA, avec un NT-proBNP > 2000 pg/mL). Bien que l’interaction n’atteigne pas le seuil de significativité, l’omécamtiv mécarbil semble plus efficace chez les patients en rythme sinusal que chez ceux en fibrillation atriale. Par rapport au placebo, aucune variation significative de la PA, de la créatininémie ou de la kaliémie n’est observée. Alors que les taux de NT-proBNP diminuent significativement sous omécamtiv mécarbil, on observe comme attendu une très discrète élévation de la troponine, sans traduction clinique, les évènements rythmiques ou ischémiques n’étaient pas plus nombreux que sous placebo. Ainsi, ce myotrope élargit l’arsenal thérapeutique d’un nouvel inotrope, certes d’efficacité modeste, mais bien toléré et n’augmentant pas le risque de décès.
Deux inotropes en seconde ligne
Avec les digitaliques, nous possédons donc maintenant deux classes d’agents inotropes, par voie orale, bien tolérés à condition d’adopter leur posologie à leurs taux plasmatiques. Leur efficacité modeste et l’absence d’effet bénéfique sur la survie en font cependant des traitements de deuxième ligne. Chez les patients les plus sévères, en échec à un traitement optimal aux doses maximales tolérées (diurétiques de l’anse, bloqueurs du système rénine-angiotensine, bêtabloquants, antagonistes des récepteurs minéralo-corticoïdes, sacubitril et inhibiteurs du SGLT2), l’utilisation de trois autres classes thérapeutiques différentes devra être discutée : un vasodilatateur non neuro-hormonal, le vériciguat, ou le couple isosorbide dinitrate/hydralazine, un chronotrope négatif non bêtabloquant, l’ivabradine, en cas de tachycardie sinusale, un inotrope positif (schéma 1). Le choix sera fonction du rythme cardiaque. Chez les patients en rythme sinusal, en cas de fraction d’éjection inférieure à 28 %, l’omécamtiv mécarbil pourra être utilisé. Chez les patients en fibrillation atriale, la digoxine sera préférée. Dans les deux cas, leur posologie devra être adaptée à leur taux plasmatique pour éviter de potentiels effets secondaires. Leur bonne tolérance tensionnelle et la facilité d’utilisation de l’omécamtiv mécarbil en cas d’insuffisance rénale sévère, rendent ces deux inotropes particulièrement utiles chez les patients à un stade avancé de leur IC, souvent pris en charge en centres experts.
Service de cardiologie, CHU Toulouse-Rangueil
(1) Teerlink JR, Diaz R, Felker GM, et al. Omecamtiv mecarbil in chronic heart failure with reduced ejection fraction : rationale and design of GALACTIC-HF. JACC Heart Fail 2020;8(4):329-40
(2)Teerlink JR, Felker GM, McMurray JJV, et al. Chronic oral study of myosin activation to increase contractility in heart failure (COSMIC-HF) : a phase 2, pharmacokinetic, randomized, placebo-controlled trial. Lancet 2020;388(10062):2895-2903
(4) Teerlink JR, Felker GM, McMurray JJV, et al. Acute treatment with omecamtiv mecarbil to increase contractility in acute heart failure : the ATOMIC-AHF study. J Am Coll Cardiol 2016;67(12):1444-55
(5) Teerlink JR, Diaz R, Felker GM, et al. Cardiac myosin activation with omecamtiv mecarbil in systolic heart failure. N Engl J Med 2021;384(2):105-10
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