Une logique
Bien que les IEC bloquent la formation d’angiotensine 2, d’autres systèmes enzymatiques permettent une production d’angiotensine 2. Le développement des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA 2) a fait envisager que leur action serait complémentaire de celle des IEC, la production d’angiotensine 2 qui échappe aux effets des IEC devenant ineffective par le blocage du récepteur AT1 de l’angiotensine 2. Il devait donc être possible, en associant ces deux classes, d’obtenir un blocage plus complet du système rénine angiotensine (SRA) et de ses effets potentiellement délétères. Des essais de faible taille ont montré qu’un double blocage (IEC et ARA 2) diminue la pression artérielle (PA) et/ou réduit la protéinurie de façon supérieure à un IEC ou un ARA 2 seul.
Deux essais majeurs
Dès lors, il a été envisagé qu’un double blocage devrait avoir des effets cliniques bénéfiques. Cette hypothèse a été évaluée dans 2 essais thérapeutiques de forte puissance, les études ON TARGET et ALTITUDE. Leurs conclusions sont identiques : un double blocage diminue la PA et la protéinurie, ne modifie pas le pronostic CV ni rénal et augmente le risque d’hyperkaliémie et d’hypotension. Dans l’essai ON TARGET (1), 3 groupes de 8 500 patients ayant une PA en moyenne à 142/78 mm Hg et à risque cardiovasculaire (CV) élevé ont été évalués, définis par le traitement reçu : soit un IEC, soit un ARA 2, soit leur association. Dans le groupe ayant reçu l’association par rapport à celui ayant reçu l’IEC, il y a plus d’altération de la fonction rénale et des analyses complémentaires (2) ont montré qu’il n’y avait pas de bénéfice CV ou rénal si la fonction rénale était altérée (débit de filtration glomérulaire [DFG] inférieur à
60 ml/min/1,73 m² chez 5 623 patient) ou en cas de microalbuminurie (n = 3 809 patients) ou de macroalbuminurie (n= 1 287 patients). L’étude ALTITUDE (3) a inclus 8 606 diabétiques ayant une néphropathie et recevant soit un IEC soit un ARA 2 afin d’évaluer contre placebo, un inhibiteur direct de la rénine (IDR). Cet essai a totalisé 855 événements du critère primaire (événements CV majeurs ou altération de la fonction rénale). À l’inclusion, le DFG était en moyenne à 57 ml/min/1,73 m², une protéinurie était présente chez 84 % des patients et la PA était en moyenne à 137/74 mm Hg. Quelle que soit la logique sous-jacente et les effets sur des critères intermédiaires (PA, protéinurie), le double blocage du SRA n’apporte aucun bénéfice clinique, qu’il soit CV ou rénal, et augmente le risque d’hyperkaliémie. Il est donc inutile d’associer un IEC et/ou un ARA 2 et/ou un IDR.
De multiples questions
En montrant qu’une diminution de protéinurie n’est pas associée à une amélioration du pronostic CV et/ou rénal, ces essais remettent en question la place de la protéinurie comme critère intermédiaire et/ou substitutif d’un bénéfice rénal. Faute d’essais spécifiques, il n’est par ailleurs pas possible de juger si un double blocage du SRA pourrait être bénéfique dans des situations cliniques différentes de celles évaluées dans les essais ON TARGET et ALTITUDE. Dans l’HTA sévère non contrôlée, un bénéfice parait peu probable : les analyses en sous-groupes de l’étude ON TARGET (4) ont montré que l’effet de l’association n’était pas différent de celui de l’IEC seul que la PA systolique à l’inclusion ait été inférieure à 135 ou supérieure à 150 mm Hg. En cas de protéinurie majeure, les néphrologues invoquent le rôle délétère spécifique de la protéinurie sur le rein pour proposer un double blocage afin de diminuer la protéinurie, mais le rapport bénéfice-risque de cette attitude est inconnu. Enfin, la prescription d’une antialdostérone est proposée en 4ème intention dans l’HTA résistante du fait d’un hyperaldostéronisme primaire souvent présent dans cette situation. Hormis la diminution de PA constatée, le rapport bénéfice-risque de ce traitement en association à un autre bloqueur du SRA n’est pas connu. Il pourrait donc être considéré que si, en augmentant progressivement l’antialdostérone, la PA ne diminue pas, ce traitement n’est pas utile et peut être arrêté et qu’en cas de réponse tensionnelle satisfaisante, l’IEC ou l’ARA 2 peut être arrêté afin de limiter les risques d’hyperkaliémie.
Une règle simple
Seule l’insuffisance cardiaque systolique symptomatique justifie d’utiliser un double blocage du SRA : IEC sinon, en cas d’intolérance, ARA 2, puis antialdostérone en deuxième intention En dehors de cette situation, le double blocage n’a pas place en thérapeutique sauf dans deux situations admises bien que non validées : l’HTA résistante chez un patient recevant déjà un IEC ou un ARA 2 et chez lequel il y a un hyperaldostéronisme primaire avéré et/ou fortement envisagé (en l’absence de sténoses significatives des artères rénales et d’autres causes à la résistance) et, la protéinurie majeure. Dans tous les cas, sous double blocage, la surveillance de la fonction rénale et de la kaliémie doit être très régulière, d’autant plus rapprochée qu’il y a déshydratation évidente ou possible, et le patient doit être éduqué sur les risques d’une déshydratation.
Références
1.The ONTARGET Investigators. Telmisartan, ramipril, or both in patients at high risk for vascular events. N Engl J Med 2008 ; 358 : 1547-59.
2.Tobe SW, Clase CM, Gao P et al on behalf of the ONTARGET and TRANSCEND Investigators. Cardiovascular and Renal Outcomes With Telmisartan, Ramipril, or Both in People at High Renal Risk Results From the ONTARGET and TRANSCEND Studies. Circulation. 2 011 ; 123 : 1098-1107.
3.Parving HH, Brenner BM, McMurray JJV, for the ALTITUDE Investigators. Cardiorenal End Points in a Trial of Aliskiren for Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2 012 ; 367 : 2 204-13.
4.Teo KK. Clinical evidence from ONTARGET : proven cardio- and vascular protection. Eur H J 2 009 ; 11 (Supplement F), F9 – F15
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