À défaut de grandes études à même de bouleverser les pratiques, le congrès de l’American Heart Association (AHA, Boston, 13 au 15 novembre) a confirmé certaines tendances fortes de la cardiologie.
Avec de nouveaux résultats positifs, les gliflozines s’imposent dans l’insuffisance cardiaque tandis que dans les valvulopathies, et notamment dans le rétrécissement aortique, le mot d’ordre est d’intervenir de façon plus précoce.
Les gliflozines s’imposent dans l’insuffisance cardiaque
Alors que leur prescription initiale est ouverte aux généralistes depuis peu, les gliflozines (ou inhibiteurs de SGLT2) s’installent comme des molécules phare dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (IC). En témoignent les nombreuses communications qui leur étaient consacrées lors du récent congrès américain de cardiologie.
Les études présentées affinent les résultats des précédents essais. Emperor-Preserved avait déjà montré que l’empagliflozine réduit la mortalité cardiovasculaire (CV) et les hospitalisations pour IC, chez les personnes atteintes d’IC avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) > 40 %, ce qui inclut à la fois la « vraie » IC-FEP (IC à fraction d’éjection préservée, soit > 50 %) et l’IC-FEmR (IC à FE modérément réduite) avec FEVG comprise entre 40 et 50 %. Les nouvelles données comparent l’impact de l’empagliflozine dans le groupe IC-FEmR (1 983 personnes) et le groupe IC-FEP (4 005). Après un suivi médian de 26 mois, l’empagliflozine réduit les évènements du critère principal – décès CV ou hospitalisations pour IC – de 17 % chez les personnes à IC-FEP (vs 21 % dans la cohorte globale), qu’ils soient ou non diabétiques. Un bénéfice principalement attribuable à une réduction des hospitalisations pour IC. À un an, la qualité de vie et la classe NYHA étaient significativement améliorées.
Dans l’essai Empulse, l’empagliflozine fait ses preuves dans l’IC aiguë. Instaurée chez des patients hospitalisés pour une IC aiguë de novo ou par décompensation d’une IC chronique, elle amène à 90 jours une réduction de 36 % du risque de décès de toute cause et d’hospitalisations ou de consultations en urgence pour IC. Un bénéfice retrouvé quel que soit le statut, diabétique ou non, et la FEVG, et avec moins d’effets indésirables et en particulier d’insuffisance rénale aiguë que sous placebo.
La canagliflozine avait montré sa capacité à réduire les complications chez les patients atteints d’IC à FEVG réduite (IC-FER). L’étude CHIEF-HF s’est intéressée à son effet sur la symptomatologie, l’état fonctionnel et la qualité de vie. Par rapport au placebo, ces paramètres sont significativement améliorés et ce, dans tous les sous-groupes, y compris ceux avec IC-FEP et chez les non-diabétiques.
Dans ce contexte, les nouvelles recommandations de l’AHA – dont les grandes lignes ont été dévoilées lors du congrès – placeront sans nul doute les gliflozines parmi les traitements clefs pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Comme les guidelines européennes, elles devraient les mettre sur le même plan que les IEC/ARAII (avec ou sans sacubitril), les bêtabloquants, les diurétiques et les antagonistes des minéralocorticoïdes. Et ce, même chez le non-diabétique, et y compris dans l’IC-FEP qui bénéficie pour la première fois d’un traitement spécifique. L’AHA devrait aussi promouvoir un schéma d’initiation et d’association rapide de ces diverses molécules. À noter que, pour les cardiologues américains, le sacubitril/valsartan doit être considéré désormais comme l’inhibiteur du SRA de référence.
Rétrécissement aortique : intervenir de plus en plus tôt
À l’heure des traitements interventionnels percutanés, où en est-on de la prise en charge du rétrécissement aortique ? Une session du congrès a permis de faire le point sur les récentes recommandations européennes et américaines en la matière. Bien qu’il existe quelques différences entre les deux textes, ils convergent sur un point : la nécessité d’intervenir plus précocement pour un remplacement valvulaire aortique, que ce soit par voie percutanée (TAVI = Transcatheter Aortic Valve Implantation) ou chirurgicale (SAVR = Surgical Aortic Valve Replacement), ce qui est d’ailleurs aussi valable pour les autres valvulopathies. « Différer l’intervention dans une valvulopathie sévère s’associe à de moins bons résultats et au développement de potentielles lésions myocardiques irréversibles. Les progrès techniques réalisés aussi bien en chirurgie que dans les interventions par cathétérisme ont modifié le rapport bénéfices-risques, permettant des interventions plus précoces avec un risque interventionnel plus réduit », souligne le Pr Hani Jneid (États-Unis).
Globalement, pour la Société européenne de cardiologie (ESC), l’intervention est indiquée dans le rétrécissement aortique (RA) serré symptomatique ou asymptomatique si la FEVG est < 55 % (un seuil qui a remplacé celui de 2017 qui était < 50 %) ou si la FEVG est > 55 %, le test d’effort normal et l’intervention à bas risque, à condition qu’existe au moins un autre critère de gravité (RA très serré, calcifications aortiques sévères, élévation du BNP à plus de trois fois la normale). Les recommandations américaines insistent aussi sur la nécessité d’intervenir plus rapidement si on constate une progression de la pathologie sur l’élévation du BNP ou la diminution de la FEVG.
En ce qui concerne le choix entre chirurgie et TAVI, il se fait en fonction de l’âge et de l’espérance de vie à mettre en relation avec ce qu’on sait de la longévité de la valve, en fonction du risque opératoire, donc de la fragilité et des comorbidités, qu’on évalue par des scores mais aussi par des éléments non inclus dans les scores comme les antécédents d’irradiation médiastinale ou les aortes « porcelaine ». Il tient compte aussi d’éventuelles difficultés techniques anatomiques.
« L’ESC donne la préférence au TAVI après 75 ans, la chirurgie étant recommandée avant 75 ans si le risque opératoire est bas ou la voie d’accès fémorale impossible, tandis que pour l’AHA, le seuil a été fixé plus tôt, à 65 ans », note la Pr Anna Sonia Petronio (Italie). La voie apicale est à envisager chez les patients inopérables et qui présentent une contre-indication pour la voie fémorale.
Les recommandations en faveur d’une intervention plus précoce dans le RA se sont vues confirmées par les résultats de l’étude Avatar présentée à l’AHA qui indique clairement que si le RA est sévère, même chez le patient asymptomatique, le remplacement valvulaire par chirurgie apporte un bénéfice sur la mortalité et les complications cardio et cérébrovasculaires par rapport à la surveillance seule. Cette étude européenne a inclus des RA sévères mais non symptomatiques, avec test d’effort normal et FEVG normale (> 50 %) et faible risque opératoire. Après un suivi moyen de 32 mois, les évènements du critère principal d’évaluation (décès de toute cause, IDM, AVC ou hospitalisations pour IC) étaient réduits de plus de la moitié dans le groupe SAVR (13 évènements vs 26, HR = 0,46, p = 0,02). La mortalité per-opératoire (1,4 %) était conforme à celle qu’on observe habituellement dans ce contexte. Une personne est décédée dans les 30 jours suivant l’opération. Malgré cela, « l’essai Avatar confirme le bien-fondé d’un remplacement valvulaire précoce dans les sténoses aortiques sévères quelle que soit la symptomatologie », concluait le Pr Marko Banovic (Serbie).
De nouvelles molécules à l’horizon ?
Le congrès de l’AHA a aussi été l’occasion de s’intéresser à quelques molécules du pipeline en cardiologie. Parmi ces médicaments, le MK-0616, un nouvel inhibiteur des PCSK9 actuellement à l’étude, pourrait simplifier la prise en charge de l’hypercholestérolémie. Il s’agit du premier iPCSK9 à avoir une bonne biodisponibilité par voie orale, ce qui autorise son administration per os. Dans deux études, l’une menée chez des volontaires sains et l’autre chez des personnes hypercholestérolémiques, le MK-0616 amène une réduction de plus de 90 % des taux plasmatiques libres de PCSK9, et chez les patients gardant un LDL-c de 0,60 à 1,60 g/l après au moins trois mois de statines, on observe une diminution du LDL similaire à celle observée avec les anticorps monoclonaux anti-PCSK9 (plus de 50 % de réduction du LDL-c par rapport à la valeur initiale vs moins de 5 % sous placebo).
Autre molécule prometteuse : un anticorps monoclonal, le bentracimab, qui se lie très fortement au ticagrelor et à ses métabolites, a reçu une approbation accélérée de la Food and Drug Administration (FDA) en tant que « traitement révolutionnaire », puisqu’il se révèle un excellent antidote au ticagrelor en cas d’hémorragie non contrôlée ou chez les patients nécessitant une intervention chirurgicale urgente alors qu’ils sont sous traitement anti-agrégant plaquettaire à base de ticagrelor. L’étude de phase III en ouvert Reverse-IT a inclus 142 patients requérant une chirurgie urgente et 8 avec un saignement majeur qui ont reçu le bentracimab en IV. L’analyse intermédiaire pré-spécifiée montre une augmentation de la réactivité plaquettaire et donc une inversion de l’effet antiplaquettaire du ticagrelor dès la 5e minute, ce qui a permis d’obtenir une bonne hémostase dans la très grande majorité des cas. Aucun rebond d’activité plaquettaire n’a été observé à l’arrêt. À noter que ce « ticagrelor reverse » ne devrait pas avoir d’action sur le clopidogrel et le prasugrel, qui sont des inhibiteurs irréversibles du récepteur P2Y12.
Toujours dans le domaine des antithrombotiques, l’étude Axiomatic-TKR a comparé un inhibiteur sélectif oral du facteur XIa en développement, le milvexian (testé à sept posologies différentes), à l’énoxaparine pour la prévention des complications thromboemboliques veineuses après une arthroplastie du genou. Les évènements thromboemboliques veineux symptomatiques ou dépistés par la phlébographie systématique de la jambe opérée étaient significativement réduits, avec par exemple une incidence de 9 % sous 100 mg de milvexian vs 21 % sous énoxaparine. Cette supériorité par rapport à l’énoxaparine pour la prévention des accidents thromboemboliques veineux était associée à un plus faible risque de saignement.
Cœur, café et troubles du rythme
Une étude randomisée s’est intéressée aux effets en temps réel de la consommation de café chez 100 adultes volontaires sans antécédents cardiovasculaires, dont l’ECG et la glycémie étaient enregistrés en continu. Ils étaient randomisés pour consommer ou éviter le café quotidiennement pendant 14 jours. Parallèlement ont été étudiés des polymorphismes génétiques liés au métabolisme de la caféine.
La consommation de café était associée à une augmentation du nombre de pas réalisés chaque jour (+ 1 058 ) et à une diminution du temps de sommeil (36 minutes en moins). Elle était également corrélée à une augmentation de 54 % des extrasystoles ventriculaires (ESV), mais pas des extrasystoles auriculaires, ni des tachycardies supra-ventriculaires ou ventriculaires. Les niveaux glycémiques n’étaient pas modifiés. Pour autant, il est difficile, sur cette petite étude, d’affirmer que la consommation de café est anodine, a fortiori chez des patients qui auraient des pathologies cardiovasculaires.