La France participe à de nombreux essais cliniques en cardiologie via notamment l'Alliance pour les essais cliniques cardiovasculaires (Fact) au sein du réseau F-Crin porté par l'Inserm. La recherche tend de plus en plus à comparer des stratégies thérapeutiques et les efforts concernent à la fois le curatif et la prévention. Explications du Pr Gabriel Steg, président de Fact.
Malgré des progrès immenses ces dernières décennies, la recherche en cardiologie ne s'essouffle pas. Bien au contraire. « Les essais lancés actuellement posent des questions très concrètes de pratique quotidienne, explique le Pr Gabriel Steg, chef du service de cardiologie à l'hôpital Bichat (AP-HP) et l'un des quelques spécialistes français à mener des essais à l'international. Il y a moins d'essais portés par l'industrie et davantage de comparaisons de stratégies thérapeutiques, la recherche est très active. »
Les équipes françaises ne sont pas en reste avec un beau programme à leur actif. Un dynamisme dont témoigne ce spécialiste de l'infarctus du myocarde, qui préside l'Alliance française pour les essais cliniques cardiovasculaires Fact. « Depuis la création de Fact en 2012, nous avons mené de nombreux essais cliniques dont la plupart sont en phase 3, pour tester un médicament ou une technique interventionnelle », souligne-t-il.
Ainsi, de nouveaux anticoagulants (ACG) oraux, les anti-facteur XI, sont testés dans plusieurs essais de phase 3 : l'asundexian en prévention des récidives d'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémiques et la prévention des AVC emboliques de la fibrillation atriale ; le milvexian dans les deux indications précédentes mais aussi l'infarctus du myocarde (IDM) aigu. « Les résultats des phases 2 ont été présentés au congrès de la Société européenne de cardiologie (ESC) », indique le Pr Steg qui participe aux trois phases 3 du milvexian et copréside celui sur les IDM aigus.
Par rapport aux ACG d'action directe, cette nouvelle classe utilisable par voie orale pourrait être aussi efficace sur la thrombose tout en préservant l'hémostase, « ce que laissent penser les données de patients porteurs d'un déficit génétique en facteur XI, précise le cardiologue. Les bons résultats obtenus en orthopédie dans la prévention des accidents thromboemboliques, avec des anticorps monoclonaux et des oligonucléotides antisens, confortent la voie des anti-facteur XI. C'est un espoir qui demande confirmation en cardiologie. »
Transfuser ou pas après un IDM ?
Début 2021, l'essai randomisé franco-espagnol Reality coordonné par l'équipe de cardiologie de l'hôpital Bichat a posé pour la première fois la question de la stratégie transfusionnelle à adopter chez les patients anémiques ayant un IDM aigu. « Faut-il être conservateur en tolérant une hémoglobine à 8-9 g/dl ou être plus libéral ?, explique le Pr Steg, co-investigateur principal. L'étude menée chez 600 personnes montre qu'à 30 jours après l'IDM, la stratégie restrictive était non inférieure en termes d'événements cardiovasculaires. Mais à distance, la non-infériorité constatée à 30 jours n'existe plus à un an. Il semblerait qu'à terme la stratégie restrictive fasse souffrir le cœur. »
Des réponses plus robustes sont attendues de l'essai international Mint mené chez 3 000 personnes par les Instituts nationaux de la santé américains (NIH) et auxquels participent des centres français. « L'essai est très bien avancé, se réjouit le Pr Steg. Les résultats seront communiqués d'ici à 2023. Le suivi de six mois n'a pas pu être prolongé à un an pour des raisons réglementaires. » Une méta-analyse des deux essais donnera des données solides en totalisant 3 600 patients.
Tester la désescalade thérapeutique
D'autres essais ont déjà changé les pratiques, comme Flower-MI, « qui a montré l'absence d'intérêt de mesurer la réserve coronaire (ou FFR pour Fractional Flow Reserve, NDLR) pour guider la revascularisation en angioplastie chez les patients tritronculaires, rappelle le cardiologue. La coronarographie conventionnelle fait aussi bien, la FFR n'est pas un bon indicateur pronostique dans le contexte de l'infarctus. Aujourd'hui, le message est intégré dans les pratiques. »
Alors que la population vieillit, faut-il étendre une stratégie invasive aux IDM des sujets âgés de plus de 80 ans ? « Si ce type d'IDM est en général sévère, ces personnes sont plus fragiles, avec un risque hémorragique plus élevé, souvent avec une insuffisance rénale et des lésions complexes, décrit le président de Fact. L'essai Evaold compare un bras revascularisation précoce à un bras traitement médicamenteux et test d'effort, l'angioplastie n'étant réalisée qu'en cas de récidive. »
Autre question très fréquente, faut-il associer aux anticoagulants un antiagrégant plaquettaire chez les patients coronariens en fibrillation atriale ? C'est l'objet de l'étude Aquatic. « Les essais disponibles à ce jour sont de petite taille, interrompus prématurément et donnent des conclusions contradictoires, précise le spécialiste. Trois réseaux de recherche clinique participent à cet essai en double aveugle versus placebo. »
La cardiologie explore aussi la voie de l'immunité dans l'athérosclérose et le remodelage cardiaque précoce. L'essai Rita-MI-2 financé par l'Europe et mené dans 10 pays évalue l’impact d’une nouvelle stratégie thérapeutique ciblant la réponse immunitaire des patients après un IDM dans un essai clinique de phase 2. « Le rituximab est testé à la phase précoce de l'IDM pour empêcher l'infiltration des lymphocytes B », rapporte le Pr Steg, qui coordonne l'étude.
Cap sur la prévention
La cardiologie est-elle à l'heure de « la révolution de la prévention » portée par le gouvernement ? « Les consultations de dépistage à 25, 45 et 65 ans sont une bonne chose, répond le Pr Steg. La prévention ne doit pas concerner que des patients au-delà de 45 ans. Ceci nécessite une vision du risque à long terme. De nombreux exemples le démontrent comme le cas des jeunes diabétiques de type 1 ou les sujets atteints d'hypercholestérolémie familiale chez qui la prévention doit être débutée dès l'enfance. » Il ne faut pas seulement inciter les adultes à se remettre au sport mais promouvoir l'activité physique chez les jeunes, ne pas seulement convaincre les fumeurs d'arrêter mais éviter que les adolescents ne commencent.
Le risque cardiovasculaire augmente surtout à partir de 55 ans chez les hommes, plus tard chez les femmes. « Un premier bilan cardiovasculaire simple est recommandé dès 45 ans chez l'homme et 50 ans chez la femme, précise le Pr Steg. Il s'appuie sur l'examen clinique, la mesure de la pression artérielle, le poids, un ECG et un bilan sanguin de base. »
La prévention fait également l'objet de projets de recherche plus transversale, notamment sur des facteurs de risque émergents moins conventionnels, « tels que les troubles du sommeil, en particulier le syndrome d'apnées du sommeil, et l'hygiène buccodentaire », liste le cardiologue. Ces facteurs se révèlent aggravants mais il reste à déterminer leur rôle causal et l'intérêt à intervenir.
De plus, le contrôle du cholestérol n'est pas encore optimal. « Même avec les anti-PCSK9, le risque résiduel existe toujours, rappelle le Pr Steg. Une fraction particulière du cholestérol, la Lp(a), est augmentée chez 15 à 20 % des personnes. C'est un facteur de risque sur lequel de nouvelles molécules permettent d'agir. Il reste à démontrer si cela apportera un bénéfice clinique. »
La polypill ouvre des pistes pour améliorer l'efficacité de la prévention via une meilleure observance médicamenteuse. C'est ce que démontre l'essai récent Secure dans les pays développés auquel a participé le réseau Fact. « La non-adhésion est un problème majeur des traitements préventifs, souligne le Pr Steg. L'essai démontre qu'améliorer l'adhérence n'est pas qu'une question de confort, cela se traduit par un gain de morbi-mortalité. Sachant que les traitements préventifs sont relativement stéréotypés, c'est très intéressant. »