« SI CELA avait été possible, la contraception hormonale aurait sans doute depuis toujours fait appel à un estrogène naturel, estime le Dr Jamin. Mais lors du développement des premières pilules, il y a quelque 55 ans, les progestatifs étaient peu efficaces et proches des androgènes, ce qui imposait d’y associer des estrogènes très puissants, capables de contrecarrer leurs effets androgéniques ». Les recherches se sont poursuivies pour réduire les effets secondaires, notamment hypertension artérielle et risque thombo-embolique veineux lié à l’effet des estrogènes sur le foie. Avec les années et l’amélioration des progestatifs, les doses d’éthinylestradiol (EE) ont pu être réduites – les estrogènes perdant peu à peu leur rôle contraceptif et leur rôle « anti-androgène » –, mais non supprimées car l’EE restait nécessaire pour maintenir l’eutrophie endométriale. « Or, l’éthinylestradiol est un estrogène puissant, non métabolisable par le foie, et qui, même à faible dose et administré par d’autres voies que la voie digestive, entraîne les mêmes effets secondaires du fait d’un phénomène de recirculation », explique le Dr Jamin. Biologiquement, cela se traduit par une augmentation de l’angiotensinogène et des protéines de la coagulation et, à l’inverse, par une diminution des molécules anticoagulantes que sont la protéine C et l’antithrombine. Et malgré la réduction des doses et son administration par voie non digestive, l’EE entraîne une activation de la coagulation, qui peut être mesurée par les produits de dégradation de la fibrine et attestée par la résistance à la protéine C activée, corrélée au risque de thrombose.
De nouveaux progestatifs.
Il y a une vingtaine d’années, les recherches ont évalué le recours aux estrogènes naturels, mais ils se sont montrés alors insuffisants pour le contrôle du cycle, et cette voie de développement a été pour un temps abandonnée. « Et c’est finalement avec l’arrivée de nouveaux progestatifs, et au prix d’un schéma d’administration un peu compliqué, que le développement de la première contraception hormonale avec un estrogène naturel a pu aboutir, avec la mise sur le marché en 2009 de Qlaira, qui associe valérate d’estradiol et diénogest », précise le Dr Jamin.
Qu’en est-il de l’intérêt des estrogènes naturels en termes de réduction du risque d’événements thrombo-emboliques veineux ? « Au congrès de l’International Society of Gynecological Endocrinology à Florence en 2010, nous avions présenté les résultats d’un travail comparant la pilule estroprogestative la moins active sur le foie et la coagulation (EE 0,02 mg et lévonorgestrel 0,1 mg) à une association estradiol 1,5 mg et nomégestrol acétate 2,5 mg. Cette dernière entraîne une moindre augmentation du turn-over de la coagulation, avec une baisse significative des produits de dégradation de la fibrine et des fragments 1 et 2 de la prothrombine. Les mesures de la résistance à la protéine C activée attestaient d’un moindre impact sur la coagulation. Enfin, le marqueur le plus utilisé, SHBG (Sex Hormone Binding Globulin) s’élève peu avec l’association estradiol-acétate de nomégestrol, alors qu’avec la pilule estroprogetative, la SHBG est augmentée par l’éthinylestradiol et diminuée par le lévonorgestrel », rapporte le Dr Christian Jamin. Il s’agit là d’effets biologiques, et non pas cliniques et la contraception hormonale avec un estrogène naturel devra obéir aux mêmes règles de prescription que les autres pilules.
Un bénéfice collectif.
Il est cependant intéressant de se placer non pas au niveau du bénéfice individuel, mais à celui du bénéfice collectif. « Les accidents sont déclenchés par les effets conjugués de facteurs innés et acquis, lorsqu’ils dépassent un certain seuil ». Dans le cas d’un polymorphisme génétique à risque élevé, mais masqué, l’accident est déclenché par l’administration de la pilule. Ce phénomène explique la survenue de phlébite sous pilule chez un certain nombre de femmes alors qu’elles n’ont aucun facteur de risque connu. Et au niveau collectif, moins on apporte de risque supplémentaire à un risque génétique inconnu, moins on risque de déclencher un accident. « Ainsi, la contraception hormonale avec un estrogène naturel, qui évite surtout de révéler un polymorphisme à risque chez les sujets apparemment sans risque, devrait présenter un réel intérêt épidémiologique », conclut le Dr Jamin.
* D’après un entretien avec le Dr Christian Jamin, Paris.
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