PAR LE Dr FRANÇOIS DIÉVART*
PLUSIEURS METAANALYSES ont été conduites à partir des essais thérapeutiques contrôlés ayant évalué des statines en prévention cardio-vasculaire (CV) primaire. Elles arrivent toutes à la même conclusion : il y a une réduction de mortalité totale qui, en ampleur relative, oscille entre 7 et 13 % selon la métaanalyse. Mais, dans certains travaux, cette réduction est significative, dans d’autres, elle ne l’est pas. Et ainsi, selon que l’on utilisera un travail plutôt qu’un autre, il est possible d’argumenter sur l’existence ou non d’un bénéfice. On remarquera que, si la discussion porte sur la significativité ou non du résultat, aucun travail n’a mis en évidence d’augmentation de mortalité totale. Par ailleurs, dans toutes ces métaanalyses, une réduction significative des événements CV a été observée.
Une réduction de mortalité totale démontrée et incontestable.
Pour évaluer la pertinence des résultats de ces diverses métaanalyses, la collaboration Cochrane a effectué en 2011 une nouvelle métaanalyse (2). Son principe était de postuler que les statines ne devaient pas être bénéfiques en prévention primaire et que les travaux indiquant un possible bénéfice avaient un biais, et, en conduisant une métaanalyse excluant tous les essais de moindre qualité, il serait possible de connaître de façon fiable l’effet des statines sur la mortalité totale. Ainsi fut fait. Mais, surprise, en ne prenant en compte que les études jugées fiables (16 essais et 34 000 patients inclus), la réduction de mortalité totale a été très significative et encore plus ample que ce qui avait été mis en évidence dans les métaanalyses précédentes. La réduction relative du risque de décès a ainsi été de 17 % (risque relatif [RR] = 0,83 ; IC 95 % = 0,73-0,95) et était associée à une réduction significative, de 30 % en ampleur relative, des événements CV fatals ou non (RR = 0,70 ; IC 95 % = 0,61-0,79).
Le 17 mai 2012, dans le Lancet, est parue une nouvelle métaanalyse des Cholesterol Treatment Trialists (CTT) évaluant l’effet des statines chez les patients à faible risque CV (3). La conclusion de ce travail a été que chez les patients sans antécédent CV, les statines réduisent significativement le risque de mortalité CV (réduction de 15 % par mmol/l de réduction du LDL) et le risque de mortalité totale (réduction de 9 % par mmol/l de réduction du LDL) et cet effet est indépendant du niveau de risque CV absolu des patients. Il n’a été mis en évidence aucune augmentation du risque de cancer, de mortalité par cancer et de mortalité non CV avec les statines.
Un bénéfice absolu fonction du risque.
Toutefois, l’élément à prendre en compte dans ce faux débat est la notion de risque absolu et de risque relatif : celui d’un choix à faire à partir de faits établis. Ainsi, les importantes métaanalyses des CTT ont montré que, quelles que soient les caractéristiques démographiques, cliniques et lipidiques d’une personne, les statines apportent un bénéfice qui est toujours le même en termes de réduction relative du risque. Dès lors le bénéfice attendu et le nombre de personnes à traiter pour éviter un événement va dépendre du risque absolu des patients.
Explication : prenons deux sujets en prévention CV primaire, le premier à un risque CV absolu de 50 % (la moitié des personnes appartenant à une telle cohorte auront un infarctus du myocarde [IDM] dans les dix ans à venir), la deuxième a un risque CV absolu de 1 % (sur 100 personnes d’une cohorte équivalente, une seule aura un IDM dans les dix ans suivants). Appliquons à ces deux cohortes un traitement qui diminue le risque de 30 % en valeur relative. Dans la première cohorte le risque absolu deviendra 35 % (50 - [0,30 X 50]) alors qu’il aurait dû survenir 50 IDM pour 100 personnes, 35 seulement surviendront dans les dix ans, 15 seront évités. Dans la seconde, le nouveau risque absolu deviendra 0,70 %. Le nombre de sujet à traiter pour éviter un événement étant égal à 1 divisé par la réduction absolue du risque (RAR), dans la première cohorte, un IDM sera évité tous les 7 patients traités (exactement tous les 6,66 patients, soit 1 divisé par 0,15) ; dans la seconde cohorte, il faudra traiter 33 patients pendant dix ans pour éviter un infarctus. Les rapports coût-efficacité seront donc différents selon le type de patients traités.
Et donc, un faux débat.
Comme ces études et ces modes de raisonnement sont conduits à partir de populations dans lesquelles sont constatés des « effets moyens » des statines, et comme il n’est pas possible de connaître chez quel patient individuel le bénéfice du traitement sera garanti (CRP élevée ou non, LDL très élevé ou non, diabète ou non, etc.), le choix d’utiliser une statine en prévention primaire, le bénéfice étant de toute façon garanti, dépendra du niveau de risque absolu que l’on souhaite prendre en compte. Pour juger de ce niveau de risque, il est possible de prendre en compte le rapport coût-efficacité des traitements, mais le niveau qui en déterminera la pertinence sera obligatoirement arbitraire.
Le débat n’est donc pas celui du bénéfice propre des statines, qui sont à considérer comme un traitement du risque et non un traitement du LDL, c’est-à-dire un traitement permettant de réduire un risque quel que soit le niveau de LDL, mais celui de la population à laquelle ce traitement doit être proposé.
* Dunkerque
Liens d’intérêts de l’auteur : honoraires pour conférence ou conseils pour les laboratoires Abbott, AstraZeneca, BMS, Boehringer-Ingelheim, IPSEN, Menarini, MSD, Novartis, Pfizer, Roche-Diagnostics, sanofi-aventis France, Servier, Takeda.
(1) Redberg RF, Katz MH. Healthy Men Should Not Take Statins. JAMA 2012;307:1491-1492.
(2) Taylor F et coll. Statins for the primary prevention of cardiovascular disease. The Cochrane Library 2011, Issue 1.
(3) Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. Lancet 2012: DOI:10.1016/S0140-6736(12)60367-5.
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