Chez les sujets âgés, les recommandations de prise en charge de l'insuffisance cardiaque aiguë (ICA) aux urgences restent peu suivies. Alors que le niveau de preuves est modéré, est-ce justifié ? Une étude multicentrique française, menée chez les plus de 75 ans, a comparé la prise en charge initiale (quatre premières heures) de l'ICA selon les recommandations à celle laissée à la discrétion du prescripteur (1).
Pas de bénéfice significatif à 30 jours
Financé par un PHRC national, cet essai ELISABETH publié dans le « JAMA » a été mené dans 15 services d'urgences du réseau SKIP-ICU, entre décembre 2018 et septembre 2019, chez plus de 500 patients âgés de plus de 75 ans (âge médian 87 ans, 60 % de femmes) admis pour ICA. La randomisation a utilisé la technique des « marches d'escalier ». « Les centres appliquaient d'abord la technique "classique" avant de switcher sur une prise en charge conforme aux recommandations. Il est en effet difficile après avoir appris et appliqué une technique de revenir à la prise en charge habituelle antérieure , explique le Pr Yonathan Freund, service des urgences de l'hôpital Pitié Salpêtrière (AP-HP), coordonnateur de l'essai. Dans le bras conforme aux recommandations, nous faisions systématiquement dans les premières heures une injection IV de dérivés nitrés (médiane : 27 mg) associée à une prise en charge des facteurs précipitants (syndrome coronaire aigu, infection, fibrillation atriale, etc) et à une dose modérée de diurétiques (40 mg ou poursuite de la posologie antérieure à l'ICA). Dans le bras contrôle, la prise en charge était laissée à la discrétion de l'urgentiste avec en moyenne peu de dérivés nitrés (médiane : 4 mg) ». Le groupe contrôle a d'ailleurs été pris en charge de manière comparable à ce qui avait été observé en 2019 dans une étude multicentrique observationnelle, avec en particulier un taux de recours aux nitrés IV de 34 % et de prise en charge des facteurs précipitants de 20 %.
Le nombre de jours de vie en dehors de l'hôpital à 30 jours (autour de 19 jours) n'était pas significativement différent entre les deux bras (RR ajusté = 0,88 ; 0,64-1,21). « Ce critère primaire est très intéressant puisque la survie hors de l'hôpital capte les décès et les réhospitalisations, fréquentes dans l'ICA », commente l'urgentiste parisien. De la même manière, à 30 jours, la mortalité (9 %), la mortalité cardiaque (6 %) et le taux de réhospitalisations (15 %) ne diffèrent pas entre les bras, pas plus que la durée de séjour moyen à l'hôpital (8 jours) ou le taux d'insuffisance rénale (1 %).
Nitrés et diurétiques en question
« Le recours aux dérivés nitrés, ces vasodilatateurs, part du postulat que, dans l'ICA, la congestion cardiaque doit être combattue, explique le Pr Freund. Il reste que le niveau de preuves est faible. Il repose sur deux petites études, datant d'il y a 20 ans, ne cumulant à elles deux que 100 patients. Leurs résultats étaient tellement positifs (l'une d'elles a été interrompue précocement) que les vasodilatateurs avaient été adoptés dans la foulée. Mais, aujourd'hui, notre étude questionne ce bénéfice ». Ce constat est d'ailleurs concordant avec l'étude GALACTIC (2) dans laquelle une vasodilatation soutenue n'avait pas été associée à un meilleur pronostic.
« Quant aux diurétiques, leur utilisation doit être mesurée, poursuit le Pr Freund. Pour rappel, l'ICA à la différence de l'IC chronique n'est pas liée à une surcharge hydrosodée. Les patients peuvent certes présenter des œdèmes mais ceux-ci ne sont que l'expression d'une mauvaise répartition hydrique, pas d'une hypervolémie. C'est pourquoi le recours aux diurétiques dans l'ICA doit viser à la fois à protéger le rein sans pour autant induire d'hypovolémie. À nouveau, notre étude questionne le bénéfice de leur utilisation ».
Un résultat biaisé par le reste de la prise en charge ?
Cette étude ne met pas en évidence de bénéfice à un mois. Pour autant, difficile d'être certain qu'une prise en charge conforme aux recommandations durant les quatre premières heures ne soit pas intéressante. « Le bénéfice éventuel peut avoir été occulté par le reste de la prise en charge. C'est pourquoi nous allons analyser les données à 48 et 72 heures notamment en termes de dyspnée et de taux de BNP », nuance l'urgentiste.
D'après un entretien avec le Pr Yonathan Freund, service des urgences de l'hôpital Pitié Salpêtrière (AP-HP), coordonnateur de l'essai.
(1) Y Freund et al. JAMA, 2020;324:1948-1956
(2) N Kozhuharov et al. JAMA. 2019;322(23):2292-2302.
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