Pr Joseph Emmerich, hôpital Saint-Joseph (Paris), membre du comité scientifique temporaire « Vaccins Covid et thromboses rares atypiques » à l’ANSM

« Une prise en charge spécifique et immédiate des thromboses après vaccination »

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Publié le 04/06/2021
Les thromboses veineuses après un vaccin anti-Covid à adénovirus sont très rares  mais potentiellement très graves, puisque sur les premiers cas publiés par les équipes danoises et allemandes, la mortalité se situait autour de 25 %. La meilleure compréhension de leur mécanisme et la sensibilisation des médecins à ce type de complications, ont amené à les repérer plus tôt pour un traitement plus précoce et adapté.

Crédit photo : DR

Quel est le mécanisme de ces thromboses atypiques ?

Le mécanisme est similaire à la thrombopénie induite par héparine (TIH), phénomène rare (1 % des patients sous héparine) provoquant une thrombopénie, des thromboses, une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Cette réaction d’origine immunoallergique est liée à la formation d’anticorps anti-facteurs 4 (anti-PF4) plaquettaires. La thrombose avec thrombopénie associée à la vaccination anti-Covid par adénovirus relève d’un mécanisme identique. Une partie du vaccin à adénovirus, vraisemblablement l’adénovirus lui-même, va modifier le PF4 et provoquer la sécrétion d’anticorps anti-PF4, entraînant une thrombopénie, des thromboses, des anomalies de la coagulation qui peuvent amener à une CIVD, des saignements et une défaillance multi-organe (1-3).  

Cette complication très rare a des localisations particulières. Il s'agit principalement de thromboses veineuses cérébrales qui, du fait de la baisse des plaquettes et de leur hyperconsommation, peuvent s’accompagner d’accidents hémorragiques secondaires aggravant encore la thrombose. Les thromboses veineuses peuvent aussi survenir au niveau splanchnique (portal, splénique, gastrique, mésentérique et sus-hépatique). Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques par thrombose artérielle ou les embolies pulmonaires « classiques » sont moins fréquents. 

Quelle est la conduite à tenir ?

Les médecins doivent être sensibilisés à ces potentielles complications, même si elles sont exceptionnelles, afin de limiter leur gravité par la mise en place d’un traitement spécifique immédiat. On recommande l’instauration d’une corticothérapie, d’une perfusion d’immunoglobulines et d’une anticoagulation, qui dans l’état actuel des connaissances ne repose pas sur l’héparine mais plutôt sur les anticoagulants oraux directs (apixaban ou rivaroxaban), ou si la voie veineuse s’impose sur l’argatroban, comme dans les thromboses avec thrombopénie liées à l’héparine. 

Comment repérer rapidement ces thromboses ?

Toute thrombose survenant dans les 28 jours après un vaccin à adénovirus, doit amener à mesurer le taux de plaquettes, les D-Dimères, le fibrinogène et éventuellement rechercher les anticorps anti-PF4 par la méthode Elisa. Toute thrombose veineuse atypique, cérébrale ou splanchnique associée à une baisse des plaquettes, du fibrinogène et une augmentation des D-Dimères doit être hospitalisée en urgence et prise en charge avant même le résultat des anticorps anti-PF4. Il faut aussi savoir y penser devant des symptômes inhabituels (céphalées atypiques, troubles visuels ou neurologiques), à bien distinguer de la réaction classique bénigne (maux de tête, douleurs musculaires, fatigue), surtout si les plaquettes sont basses ou que les symptômes s’aggravent. 

Peut-on identifier un profil de patients plus exposés à ce risque ?

Dans la population générale, en dehors de la TIH, les thrombopénies immunoallergiques sont exceptionnelles, mais ont pu être observées en association avec certains médicaments ou infections. On sait aussi que la contraception et certaines thrombophilies favorisent le risque de thrombose veineuse cérébrale. Mais dans le cas de ces thromboses survenant après vaccination par adénovirus, aucun profil particulier n’a réellement été identifié et le risque ne peut être repéré à l’interrogatoire. Elles semblaient plus fréquentes chez les sujets jeunes ce qui a amené à proposer en France à les réserver aux plus de 55 ans.

Ces complications très rares ne contre-indiquent absolument pas la poursuite de la vaccination actuelle avec ces vaccins dont le bénéfice reste extrêmement favorable, au vu du risque majeur de complications sévères de l’infection par SARS-CoV-2.

(1) Nazy I et al. J Thromb Haemost Avril 2021, https://doi.org/10.1111/jth.15341
(2) https://cdn.ymaws.com/www.isth.org/resource/resmgr/ISTH_VITT_Guidance_2…
(3) https://www.gemmat-thrombose.fr/wp-content/uploads/2021/04/Thrombose-Po…

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr