Cinquième mission sur le sol irakien pour celui que Bernard Kouchner avait baptisé « le Dr trompe-la-mort » : depuis cinquante ans, aucun théâtre militaire ne l’a empêché d’exercer la spécialité médicale la plus exposée, la chirurgie de guerre. Le mois dernier, sous pavillon de l’ONG française WAHA (lire encadré), alors que Daesh venait de fuir la partie orientale de la deuxième ville d’Irak, il a opéré pendant deux semaines dans un ancien dispensaire de l’EI, dans le quartier d’Al-Zahra, avec deux médecins irakiens.
« Dans ce quartier misérable avec des maisons au sol en terre battue, raconte-t-il, une centaine de blessés nous arrivent tous les jours. Les problèmes vitaux sont orientés vers l’hôpital de Gogjoli, à une vingtaine de kilomètres, à condition que les check points laissent le passage aux ambulances. Plusieurs sont morts en route. Moi-même, j’ai opéré dix à douze patients par jour. La plupart sont atteints de lésions des membres, avec des pansements souvent infectés, des risques d’anaérobies, l’absence d’oxygène favorisant les gangrènes gazeuses et nécessitant des amputations. La plupart des fractures sont mal réduites. Les médecins irakiens sont de bons praticiens, mais sous les bombes, avec le stress accumulé par leurs familles, comment pourraient-ils travailler correctement ? Alors, il faut décoller les pansements surtout sans faire saigner, en l’absence de banque du sang. Désinfecter. Heureusement, les antibiotiques de deuxième ou troisième génération marchent très bien, en l’absence d’antibiorésistance.
3 exigences minimum
On a les médicaments de base, selon la liste des 60 médicaments essentiels de l’OMS. Et il faut ne pas oublier que l’eau, tout simplement, en lavant les plaies, reste un excellent antiseptique. Les microbes résistent mieux au napalm qu’à l’eau ! En chirurgie de guerre, insiste le Dr Bérès, vous apprenez à bosser avec très peu de moyens et trois exigences minimums : de la place (pas toujours évident pour faire manœuvrer les brancards), de l’eau et de l’électricité. Et puis j’ai toujours ma valise-miracle (lire ci-dessous) ».
Pour la mission qu’il attaque aujourd’hui, le Dr Bérès profitera cette fois d’un hôpital construit il y a trois ans à Qayyarah, à 60 km au sud de Mossoul. En l’évacuant en novembre, Daesh avait fait sauter les étages et posé des mines partout. La charge principale, avec plusieurs de kilos d’explosifs, devait faire sauter tout l’hôpital sitôt rétabli le branchement électrique de l’ascenseur. La catastrophe a été évitée de justesse et la réhabilitation par deux logisticiens infirmiers de Waha, Didier et Akiko, permet aujourd’hui à une dizaine d’expatriés de travailler dans des conditions acceptables. Jacques Bérès va y prendre le relais du Dr Jean-Pierre Lechaux qui opère sur place depuis quinze jours.
Risque de déluge de feu à retardement
À mesure que les forces irakiennes « nettoient » les quartiers de Mossoul repris à l’EI, la crainte s’avive à propos des bombes artisanales (IED en anglais) dont les artificiers djihaddistes ont truffé les habitations. Handicap International (HI) lance l’alerte pour les 750 000 habitants de Mossoul ouest et les quelque 50 000 déplacés : « En rentrant chez eux, redoute le chef du déminage d’HI, Alberto Casero, ils vont allumer et ça fera boum ».
Ce risque d’un déluge de feu à retardement menacerait surtout les villages alentour, estime Patrick Villedieu, le directeur des opérations de WAHA, car les habitants de Mossoul sont prévenus et attentifs aux consignes de sécurité. Le Dr Bérès, pour sa part, considère que ses salles d’opération sont suffisamment protégées : « safe ». Mais il reconnaît qu’à Al-Zahara, la rue du dispensaire n’avait pas pu être bouclée à ses deux extrémités. Deux voitures piégées ont explosé à 300 mètres de son dispensaire. « Ma pire crainte, confie-t-il, c’est de voir surgir des assaillants en armes alors que j’opère un patient sous anesthésie. C’est arrivé une fois, je venais de l’endormir, mais je ne l’avais pas encore ouvert. Prévenu par des enfants-guetteurs, on a pu fuir à temps avec lui et le réveiller. »
Dans un contexte forcément anxiogène, le Dr Bérès, avec sa chevelure patriarcale, son sourire doux et son regard ingénu, veut garder quelques raisons d’espérer : « Les quatre ponts qui enjambent le Tibre et démarquent l’ouest et l’est de la ville, tous les quatre bombardés, devraient être bientôt dotés d’hôpitaux mobiles, se félicite-t-il. Mais les besoins sont énormes et ils submergent les moyens médicaux. »
Après 50 ans de chirurgie de guerre, le « Dr trompe-la-mort » n’envisage pas la retraite. Son épouse Danièle assure qu’elle a « terriblement confiance dans son sens du danger. Il a toujours su ramener ses équipiers. » Mais le temps ne l’a pas blindé. « Je supporte de plus en plus mal de voir les enfants souffrir, confie-t-il. À Mossoul, j’ai soigné une gamine de sept ans d’une bouleversante beauté, mal opérée, elle avait les deux jambes pourries par les infections, elle m’a présenté ses plaies sans une plainte quand j’ai retiré les pansements. Et elle m’a dit merci. Là, je n’ai pas pu retenir mes larmes. »
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