Entretien avec le Dr Thomas Edouard*
UNE STATURE supérieure ou égale à deux déviations standard (DS), par rapport à la taille moyenne des courbes de référence pour une population donnée, définit la grande taille. À côté de différences d’origine ethnique, il existe une avance séculaire de la taille, qui a été mise en évidence dans plusieurs pays. Ainsi, l’actualisation en 1985 des courbes françaises de Sempé datant de 1974 a montré une augmentation de la taille de 5,6 cm chez l’homme et 1,6 cm chez la femme.
La grande taille constitutionnelle, un diagnostic d’élimination
Devant une grande taille, le problème majeur est d’éliminer une maladie sévère, même lorsqu’il existe une notion de grande taille familiale. L’interrogatoire et l’examen clinique cherchent à exclure une grande taille d’origine hormonale ou syndromique et permettent d’orienter les examens complémentaires. L’étude de la courbe de croissance et l’âge osseux permettent d’évaluer le pronostic de taille finale afin de discuter l’indication d’un traitement freinateur de la croissance.
Parmi les causes endocriniennes, l’acromégalie – très rare chez l’enfant – est une pathologie dont le diagnostic est difficile car la grande taille peut être isolée. Dans les autres pathologies endocriniennes, la grande taille est souvent secondaire, et associée à une croissance pondérale anormale (obésité), des signes pubertaires ou fonctionnels (hyperthyroïdie), qui permettent souvent d’orienter rapidement le diagnostic.
En cas de suspicion de pathologie hormonale, des explorations endocriniennes pourront être réalisées : des axes somatatotrope (IGF1 et, si valeurs élevées, test de freination par hyperglycémie provoquée), gonadotrope, thyréotrope, corticotrope – éventuellement associées à une IRM hypothalamo-hypophysaire.
La nature syndromique d’une grande taille doit être évoquée quand elle est associée à une dysmorphie, une disproportion corporelle (essentiellement une augmentation de la taille des membres ou dolichomélie), un retard psychomoteur et des difficultés d’apprentissage, des malformations, ou s’il existe des antécédents familiaux. Ces formes sont importantes à dépister car il existe, pour plusieurs de ces syndromes, un risque accru d’apparition de tumeurs ou de pathologies cardiovasculaires justifiant une surveillance spécifique.
En cas de suspicion de grande taille syndromique, une consultation génétique doit être proposée. La réalisation d’un caryotype sanguin ou des recherches génétiques spécifiques seront discutées.
Les indications des traitements freinateurs de la croissance.
Le traitement des grandes tailles est essentiellement basé sur des considérations psychologiques et sociales : d’un point de vue médical strict, il n’y a pas de raison à proposer un traitement freinateur de la croissance. Il est envisagé lorsque le pronostic de taille adulte est supérieur à + 4 DS (1,85 mètre chez les femmes et 2 mètres chez les hommes) et que la tolérance psychologique à la grande taille est mauvaise. Il n’existe pas de véritable consensus sur ces limites car aucun des traitements n’a d’autorisation de mise sur le marché dans cette indication. La grande taille est moins bien acceptée chez les jeunes filles, qui forment la très large majorité des sujets traités.
C’est l’évaluation de la taille prédite qui est un élément majeur de discussion pour l’indication thérapeutique. Les méthodes de prédiction ont été élaborées à partir d’enfants de taille normale et aucune n’est considérée comme parfaite, appliquée à des enfants de grande taille.
En dehors du traitement spécifique des pathologies endocriniennes, deux alternatives existent pour réduire la taille finale : les stéroïdes sexuels – qui, en accélérant la puberté, favorisent la fusion des cartilages de conjugaison – et les inhibiteurs de sécrétion ou d’action la GH.
Les stéroïdes sexuels sont utilisés dans le traitement des grandes tailles depuis les années 1950 et représentent le traitement le plus fréquemment choisi. Celui-ci est contre-indiqué s’il existe des antécédents familiaux de premier degré de cancers oestrogéno-dépendants ou de pathologie thromboembolique. La diminution de taille par rapport à la taille prédite est variable suivant les études : de 2 à 10 cm, avec une variabilité individuelle importante. Le traitement est d’autant plus efficace qu’il est initié tôt, idéalement en début de la puberté, vers 10-11 ans chez la fille. Il est donc essentiel de dépister et de réfléchir à l’indication le plus tôt possible.
La tolérance à court terme est généralement bonne. À long terme, elle est peu connue et toujours source de questionnement, notamment concernant les conséquences sur la fertilité et le risque potentiel de cancers oestrogéno-dépendants. Deux études récentes ont évoqué la possibilité de diminution de la fertilité chez les femmes qui avaient été traitées pendant l’enfance. Cependant, celles-ci avaient une taille finale supérieure à celle des femmes non traitées : si l’on considère que le traitement a réduit la taille finale, il est probable que la croissance spontanée des femmes traitées était supérieure à celle des femmes non traitées. Il s’agit donc de deux populations différentes, en termes de croissance, et peut-être de fertilité. Cependant, il convient d’être vigilant et d’informer les familles sur ce risque potentiel.
Le traitement par analogue de la somatostatine permet une suppression de la sécrétion de GH et une diminution de la vitesse de croissance, avec une réduction de taille en moyenne de 9 cm, comparable à l’action des œstrogènes. Aujourd’hui, il n’y a pas de possibilité d’utiliser ce traitement « en routine », sauf dans des cas particuliers, comme dans le syndrome de Marfan.
L’arrivée de nouvelles molécules comme le pegvisomant, antagoniste puissant et sélectif du récepteur de la GH, va sans doute ouvrir de nouvelles possibilités de traitement des grandes tailles. Cette molécule est utilisée actuellement dans le traitement de l’acromégalie, cependant aucune étude n’a été réalisée chez l’enfant.
* Unité d’Endocrinologie Pédiatrique, Maladies Osseuses, Génétique et Gynécologie Médicale, Purpan, CHU de Toulouse.
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