« L’AMIODARONE est un médicament plutôt ancien puisqu’il a été commercialisé en 1962. Cet antiarythmique est utilisé notamment pour traiter les fibrillations auriculaires, mais aussi les fibrillations ventriculaires. En dépit de ses effets secondaires thyroïdiens relativement importants, ce médicament continue d’être très utilisé car il est très efficace », explique Françoise Borson-Chazot, avant de préciser qu’entre 14 et 18 % des patients traités par amiodarone développent une pathologie thyroïdienne : soit une hypothyroïdie, soit une hyperthyroïdie. « L`hypothyroïdie est particulièrement fréquente dans les pays où l’apport iodé est important. En revanche, l’hyperthyroïdie est plus fréquente dans les pays, comme la France, où l’apport iodé est marginalement faible. Cela explique qu’aux États-Unis, il y a davantage d’hypothyroïdies qu’en France où l’on recense environ deux tiers d’hyperthyroïdies pour un tiers d’hypothyroïdies », précise le Pr Borson-Chazot.
La cordarone est un médicament à forte teneur en iode. « Un seul comprimé apporte plus que les besoins en iode d’une année entière. Et il faut tenir compte du fait que la demi-vie du médicament est très longue : plus de 50 jours. Un patient traité par amiodarone est donc saturé en iode pour au moins un an. Cela explique que la disthyroïdie, qu’il s’agisse d’une hyper- ou d’une hypothyroïdie, peut survenir plusieurs mois après l’arrêt du traitement », souligne le Pr Borson-Chazot.
Les hypothyroïdies sont plus simples à prendre en charge que les hyperthyroïdies.
« Chez les patients hypothyroïdiens, on sait que la saturation iodée va durer plusieurs mois. On peut donc traiter l’hypothyroïdie, et, à la limite, poursuivre l’antiarythmique. Cela ne pose pas de problème. Les hyperthyroïdies à la cordarone sont plus complexes à aborder. La pathologie se manifeste sur un terrain fragile. L’amiodarone est, en effet, prescrite à des patients ayant une fragilité cardiaque, qui peuvent notamment avoir une fraction d’éjection ventriculaire gauche altérée. Il faut vraiment faire attention car certaines formes peuvent être graves et entraîner une mortalité non négligeable, par l’intermédiaire d’un événement cardio-vasculaire survenant sur un ventricule fragilisé par l’hyperthyroïdie », souligne le Pr Borson-Chazot.
Deux types d’hyperthyroïdies.
Le type 1 survient sur une pathologie préexistante. « L’exemple type est celui d’un patient ayant un goitre avec des nodules, dont la pathologie, silencieuse, est négligée. Le fait de donner beaucoup d’iode va alimenter les nodules qui étaient un peu autonomes et qui fonctionnaient déjà indépendamment de la TSH. Cela revient à donner du carburant à la thyroïde qui va se mettre à fabriquer beaucoup d’hormones », explique le Pr Borson-Chazot.
Les hyperthyroïdies de type 2 sont des thyroïdites à l’iode qui surviennent en général à cause des fortes doses d’iode, délivrées dans le cadre d’un traitement prolongé par amiodarone. « Cette pathologie est plus fréquente chez les sujets jeunes, majoritairement des hommes, alors que le type 1 s’observe plus souvent chez des femmes, plus âgées. Globalement, on peut dire qu’il y a une surreprésentation masculine dans les hyperthyroïdies à l’amiodarone qui tient probablement au terrain : les hommes ont davantage de problèmes cardiaques et sont donc plus nombreux à être traités par amiodarone », indique le Pr Borson-Chazot.
Faut-il arrêter le traitement ?
Le fait d’arrêter ou non la cordarone va dépendre du type d’hyperthyroïdie. « L’arrêt du médicament n’est pas nécessairement prioritaire dans le type 2 alors qu’il est indispensable dans le type 1. Dans ce dernier cas, on est en présence d’un goitre ancien, alimenté par l’iode. Ne pas arrêter le médicament risque de pérenniser l’hyperthyroïdie à long terme.
Dans le type 2, la situation est différente. La thyroïde va vider ses stocks d’hormones thyroïdiennes et va éliminer en même temps ses stocks d’amiodarone. Donc, petit à petit, la thyroïdite, en elle-même, va faire que la toxicité va diminuer. Dans certains pays comme les États-Unis, la tendance est de traiter l’hyperthyroïdie tout en continuant le traitement antiarythmique. Mais une récente étude, certes rétrospective et de médiocre qualité, suggère que l’on observe davantage de récidives quand on continue l’amiodarone. En fait, l’arrêt ou non du médicament va surtout dépendre de l’indication cardiologique. Si le cardiologue estime qu’en raison de la présence d’un trouble du rythme ventriculaire, on ne peut pas prescrire un autre médicament, il est préférable de poursuivre l’amiodarone ».
Pourtant, souvent, le premier réflexe du cardiologue est d’arrêter le médicament. « Cette réaction n’est pas celle qui doit s’imposer. Il ne faut pas oublier que la saturation iodée va durer un an et que le fait d’avoir arrêté l’amiodarone ne va rien changer dans l’immédiat. Il ne faut pas en attendre un résultat rapide », souligne le Pr Borson-Chazot.
Le traitement de l’hyperthyroïdie à la cordarone reste une affaire de spécialistes. « Dans le type 2, on a recours aux corticoïdes à des doses qui, pour être efficaces, doivent être relativement élevées pendant une durée prolongée : pour les formes sévères, il faut compter plus de trois mois de traitement. Sinon, on s’expose à un risque de rechute rapide. Dans le type 2, les antithyroïdiens de synthèse ne servent à rien. En revanche, ils doivent être utilisés au départ dans le traitement du type 1 avec du perchlorate de potassium auquel on peut ajouter des corticoïdes en cas de forme mixte. Souvent, on constate qu’on attend trop pour proposer une thyroïdectomie dans les cas les plus graves. Globalement, la stratégie est d’arriver, en lien avec le cardiologue, à bien préciser le niveau de risque pour ne pas trop attendre pour intervenir chirurgicalement chez les patients qui répondent mal au traitement ou qui sont à haut risque d’événement cardio-vasculaire », conclut le Pr Borson-Chazot.
D’après un entretien avec le Pr Françoise Borson-Chazot, service d’endocrinologie, hospices civils de Lyon.
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