Prendre en compte la situation de vie des patients ne signifie pas de viser des objectifs moins ambitieux pour les plus défavorisés, au contraire. « Ce n’est pas parce qu’une personne s'exprime difficilement ou comprend mal le français, ou qu’elle est en situation de précarité, qu’il est normal de la laisser avec un diabète mal équilibré : c’est au médecin de s’adapter pour comprendre pourquoi son objectif a du mal à être atteint et de trouver le moyen d’y remédier », soutient la Pr Hélène Bihan (hôpital Avicenne, Bobigny).
Avec 27 % de taux de pauvreté, le département de Seine-Saint-Denis (93) est le plus pauvre de la métropole. La prévalence du diabète y est aussi plus importante. « Nous recevons encore trop de patients arrivant via les urgences avec une HbA1c > 15 %, parce qu’ils ont raté les étapes de dépistage, déplore la Pr Bihan. Pourtant, ils auraient dû être repérés plus tôt, parce qu’ils sont en situation d’obésité et/ou que leur famille compte plusieurs diabétiques et/ou, en ce qui concerne les femmes, quand elles ont déjà fait des diabètes gestationnels. »
C’est au médecin de s’adapter
Pr Hélène Bihan
Comprendre pourquoi ça bloque
« Nous avions mené une étude dans le 93 il y a une dizaine d’années, montrant qu’il y avait moins de 30 % de dépistage du diabète dans les six mois après un diabète gestationnel. Après sensibilisation des médecins du département, ce taux avait grimpé à 50 %, mais il reste encore insuffisant », déplore la spécialiste.
Non seulement l’existence de barrières socio-économiques accroît les risques de retard au dépistage, mais elle augmente aussi les risques que les patients, se sachant diabétiques, se prennent mal en charge.
Le poids des habitudes alimentaires peut être une première explication : par exemple, « les personnes originaires d’Afrique subsaharienne n’arrivent pas à manger ce qu’on leur sert à l’hôpital et qui leur semble trop fade. Elles se font rapporter des plats plus gras et plus épicés. Elles sont aussi de grandes consommatrices de boissons sucrées (trois à six litres de soda par jour) », rapporte la Pr Bihan. Comme leur régime alimentaire habituel est plus éloigné de celui préconisé chez un diabétique, même si elles ont l’impression de réaliser des efforts, cela reste souvent insuffisant. « Il faut bien sûr partir de ce que mange habituellement le patient — nombre de repas par jour, et leur composition, grignotage ou pas, etc. — mais, surtout, éviter les discours stigmatisants, ou anti-alimentation traditionnelle », indique la Pr Bihan.
« Par ailleurs, certains migrants de sexe masculin qui vivent seuls ne savent pas cuisiner et adoptent donc une alimentation de mauvaise qualité. C’est également à prendre en compte », rappelle la spécialiste.
Médiation, patients partenaires
Le niveau de littératie en santé, soit la capacité de comprendre les messages de santé (par exemple, se repérer dans son ordonnance, comprendre des convocations médicales) doit aussi être pris en compte. « Dans le service, nous avons une équipe sensibilisée à la précarité, au faible niveau socio-économique, aux barrières linguistiques. Elle est capable d’évaluer le niveau de compréhension du patient vivant avec un diabète et de rechercher des aidants dans son entourage. Nous demandons volontiers à voir les familles et sollicitons les enfants de migrants pour qu’ils apprennent à gérer le diabète de leurs parents », rapporte le Pr Bihan.
Autre levier d’action, la spécialiste plaide pour le déploiement de « médiateurs en santé ». Leur rôle est de voir les patients à leur sortie d’hôpital pour savoir s’ils ont besoin d’aide, les rappeler quelque temps après, les aider éventuellement à trouver un médecin traitant, etc.
Dernière approche, les « patients partenaires » sont des bénévoles qui vivent avec leur maladie chronique, ont reçu une éducation thérapeutique et sont prêts à donner un peu de leur temps pour aider d’autres patients diabétiques. « La parole passe mieux entre patients, surtout s’il n’y a pas la barrière culturelle », souligne la Pr Bihan.
Entretien avec la Pr Hélène Bihan (Bobigny)
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