LE QUOTIDIEN : Où en est-on de l’utilisation du numérique pour prendre en charge les patients diabétiques en Afrique ?
Pr Maïmouna Ndour Mbaye : L’Afrique est un continent connecté, très dynamique en matière d’innovations numériques. Dans ce contexte, la santé digitale nous a vite intéressés car elle permet de faire face à de nombreux défis : difficultés d’accès aux soins, carences en termes d’infrastructures, d’équipements, de personnels soignants… De nombreux pays utilisent ainsi le numérique pour faire de la prévention, de la surveillance, de la consultation et de la formation. En ce qui concerne le diabète, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger et Madagascar ont mis en place des solutions numériques à destination de leurs patients diabétiques, mais les niveaux d’utilisation diffèrent d’un pays à l’autre.
Quelles sont les principales solutions numériques ?
Lancé au Sénégal en 2014, le programme m-Diabète (1) permet de mener des campagnes de sensibilisation par SMS pour favoriser la prévention, le diagnostic et l’adoption d’une bonne hygiène de vie (prise en charge de son diabète, vigilance quant à la survenue de lésions du pied, etc.). M-Diabète a commencé pendant le ramadan avec un module baptisé m-Ramadan, qui permet d’accompagner les patients pour éviter les complications durant le jeûne. Il touche près de 200 000 patients diabétiques et 5 000 agents de santé.
Avec l’appui de l’Université numérique francophone mondiale (UNFM), d’autres initiatives concernent la formation à distance des professionnels de santé : c’est notamment le cas du programme d’éducation en ligne e-Diabète. Réalisées par des experts des hôpitaux et universités des pays en développement, les formations e-Diabète attirent chaque mois 1 000 participants vivant dans 20 pays d’Afrique. Par ailleurs, des master class e-diabète ont été lancées en 2017 pour un public plus averti.
Des initiatives sont également menées dans le champ de la télémédecine : en 2016, nous avons par exemple initié une téléconsultation pour le suivi du pied diabétique. En outre, le projet « rétinographe » est en cours de réalisation pour la détection et le suivi à distance de la rétinopathie diabétique. Enfin, le numérique nous permet de progresser sur la collecte des données santé (2).
Quels sont les points forts et faibles de ces initiatives ?
Amélioration de la prévention ; sensibilisation des patients ; formations des professionnels malgré les distances ; meilleure connaissance des données sur le terrain ; aide à la décision ; collecte d’informations pour nourrir nos échanges avec les décideurs : les points forts de ces initiatives sont multiples. Quant au principal point faible, c’est justement la multiplicité et la fragmentation de ces initiatives. En effet, même si ce bouillonnement d’idées est très enrichissant, trop de projets cohabitent en même temps, sans coordination, ce qui pose un problème de cohérence et d’efficience.
Comment ces innovations sont-elles perçues par les patients et par les diabétologues ?
Les patients sont très preneurs de ce type de solutions numériques. Cela représente pour eux une réduction des coûts, une réduction de l’attente pour avoir accès à un spécialiste ou y avoir accès tout court, puisqu’il n’y en a pas dans leur région. Du côté des médecins, il faut parfois un temps d’adaptation pour se familiariser avec les nouveaux outils, mais c’est indispensable. Il y a un vrai manque de diabétologues en Afrique et le numérique est une réelle opportunité. On ne se fait pas d’illusion, le numérique ne va pas régler tous les problèmes. Mais il permet de rendre la prévention et le diagnostic accessibles au plus grand nombre, de remédier au manque de spécialistes et d’ouvrir de nouveaux parcours pour les patients.
Quelles sont selon vous les prochaines étapes pour que ces initiatives se généralisent et/ou s’installent dans le temps ?
Il faut absolument que l’on sorte des approches « pilotes » et que l’on réussisse le passage à l’échelle. Cela pose donc la question du financement : ces projets étant majoritairement portés par des entreprises privées, il est désormais nécessaire de trouver des modèles économiques fiables pour assurer leur pérennité.
(1) Le programme m-Diabète est une composante du plan national de lutte contre le diabète du Ministère de la santé et de l’action sociale au Sénégal. Il fait partie de l’initiative de l’OMS « Be He@lthy, Be Mobile », qui vise à accélérer la prévention et la maitrise de certaines maladies non transmissibles et de leurs facteurs de risques. (2) Un programme de numérisation des établissements de soins a été mis en place en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Sénégal. Il s’agit d’un système de collecte, de sauvegarde et de partage d’informations médicales (sorte de mini dossier médical informatisé, anonyme) qui va faciliter l’obtention des statistiques sanitaires et le travail en réseau de ces différentes structures.
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