Pollution

Le suaire chimique menace le destin de l’humanité

Publié le 04/02/2016
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Le continent plastique désormais aussi grand que l'Europe

Le continent plastique désormais aussi grand que l'Europe
Crédit photo : PHANIE

En 1960, Rachel Carson a montré les effets écologiques dévastateurs du DDT sur les insectes et les oiseaux. Le DDT reste dans la nature pendant plusieurs dizaines d’années et empoisonne toute la chaine alimentaire dont l’humain est le sommet. À l’instar de l’atrazine et du S-metolachlore (insecticides phytosanitaires), du bisphénol A et des phtalates (industrie plastique), ces petites molécules extrêmement résistantes se lient aux récepteurs des hormones stéroïdes sexuelles, en perturbant leur fonctionnement. Elles altèrent la transmission du signal physiologique des estrogènes et/ou des androgènes. Elles appartiennent à la classe des perturbateurs endocriniens, appelés également dysrupteurs hormonaux. Ces molécules provoquent des anomalies de la différentiation sexuelle et affectent la spermatogénèse. De multiples exemples vétérinaires ont été décrits, tels que la disparition de populations entières de batraciens sous l’effet de l’atrazine dans les plaines du Middle West ou l’apparition de micropénis chez les alligators du lac Topeka sous l’effet du DDT.

Effondrement de la fertilité

Chez l’homme, un ensemble de données épidémiologiques convergentes démontre l’effondrement de la numération des spermatozoïdes dans les populations caucasiennes des pays développés. Entre 1940 et 1990, le nombre moyen de spermatozoïdes (spz) est passé de 100 à 40 millions/ml. Cette courbe augure mal du destin de l’humanité après 2050 si l’on considère que la fertilité s’effondre en dessous de 25 millions de spz/ml.

L’impact sur la différentiation sexuelle a été démontré dramatiquement par le distilbène, utilisé largement pour prévenir les menaces d’accouchement prématuré. Les filles des femmes traitées présentent des anomalies de la différentiation sexuelle, des infertilités et des cancers du vagin.

La communauté médicale s’est intéressée aux effets perturbateurs endocriniens du bisphénol A (BPA). Cette molécule est le monomère utilisé dans la production des chaînes de polycarbonates qui permettent la production des plastiques alimentaires transparents et souples. La stabilité biochimique de ces plastiques est imparfaite. De petites quantités de bisphénol A sont présentes dans les aliments emballés dans des récipients plastiques alimentaires (bouteilles, canettes de soda, emballages divers). L’exposition à la lumière, la chaleur, les micro-ondes augmente les concentrations de bisphénol A dissous dans les aliments. Le BPA a une action faiblement estrogénique. Il altère la différentiation sexuelle et la fertilité dans des modèles animaux.

Épigénétique, la menace fantôme traverse les générations

Les effets néfastes des perturbateurs endocriniens se manifestent préférentiellement au cours d’une « fenêtre sensible », tout particulièrement l’embryogénèse et la très petite enfance. La précaution sanitaire imposant la suppression du BPA et d’autres perturbateurs endocriniens dans les conteneurs alimentaires des nourrissons, tels que les biberons, apparaît déjà comme un combat d’arrière-garde obsolète.

Chez la rate traitée par BPA à des concentrations équivalentes aux concentrations trouvées chez les humains, la spermatogénèse est altérée durablement à la 1re, 2e et 3e générations. L’absence d’exposition au BPA à la 2e et 3e génération démontre l’impact épigénétique de l’exposition au BPA de l’ancêtre maternel.

L’effet épigénétique a également été démontré pour le distilbène. Les descendants à la première génération de femmes traitées ont 3,5 % d’hypospadias, contre 0,2 % attendus. Au cours de la deuxième génération, l’incidence de l’hypospadias monte à 8 %.

Les effets épigénétiques des perturbateurs endocriniens ne sont associés à aucune mutation génétique.

Le suaire de plastique

La pollution par les plastiques alimentaires et industriels a pris un tour catastrophique. La durée de dégradation d’un sac plastique de supermarché peut atteindre plusieurs milliers d’années. Elle distille graduellement son BPA. Les terres émergées se couvrent de résidus plastiques. Le sud de l’océan pacifique a vu se créer un 6e continent, le continent plastique qui a la taille de l’Europe et atteint par endroits 5 mètres d’épaisseur… Un effort à l’échelle de l’humanité est requis mais peut-être est-il déjà trop tard pour les 20 ou 30 prochaines générations.

Chef du service d’endocrinologie, CHU de Nancy
Pr Georges Weryha

Source : Bilan spécialiste