LE QUOTIDIEN : Depuis plusieurs années, vous animez un mouvement très critique sur l’évolution de l’hôpital public, avec notamment en ligne de mire la tarification à l’activité. Pensez-vous qu’il faut en finir avec ce mode de financement ?
Pr ANDRÉ GRIMALDI : Je pense que la tarification à l’activité (T2A) ne doit plus être le seul mode de financement des activités à l’hôpital, qui sont aujourd’hui très variées et complexes. Prendre en charge une maladie chronique comme le diabète, ce n’est pas la même chose que faire une opération de la cataracte ou soigner des patients en réanimation ou en soins palliatifs. Le problème est qu’on a généralisé la T2A jusqu’à l’absurde. C’est elle qui, aujourd’hui, conditionne l’activité médicale et qui pousse les hôpitaux publics à s’engager dans une course à la rentabilité, comme des entreprises commerciales.
La mise en place de la T2A visait pourtant, au départ, à mieux calquer le financement sur l’activité réelle des hôpitaux, en donnant des moyens supplémentaires aux plus dynamiques d’entre eux et en mettant fin aux rentes de situation liées à la dotation globale…
La tarification à l’activité a une pertinence pour les activités de chirurgie ou de médecine programmée, relativement standardisées. Ces activités étaient, c’est vrai, parfois bridées avec la dotation globale, par ailleurs assez inégalement répartie. Mais on est allé trop loin en généralisant à outrance la T2A et en faisant un véritable fétiche politique auquel on ne peut pas toucher. En mettant de la T2A partout, on a poussé les hôpitaux à multiplier les actes voire à faire des actes inutiles.
Que voulez-vous dire ?
Aujourd’hui, dans certaines spécialités, comme le diabète, il n’existe pas de tarifs adaptés à une prise en charge qui serait optimale. Dans bien des cas, on pourrait proposer une prise en charge ambulatoire sur mesure mais, faute de tarif adapté, le service choisit de mettre en hôpital de jour (HDJ) des patients relevant d’une prise en charge ambulatoire, moins coûteuse. Mais, pour mettre un patient en HDJ, il y a un cahier des charges. Il faut faire des examens complémentaires. Dans mon service de la Pitié, aujourd’hui dirigé par la Pr Agnès Hartemann, le médecin-conseil de la Sécurité sociale s’est étonné qu’on prenne en charge, en HDJ, certaines plaies du pied diabétique mais sans faire d’examens complémentaires. Il nous a dit : « c’est dommage, vous auriez fait une IRM, je cochais la case et c’était bon ! ». Et c’est pareil en endocrinologie, en neurologie ou en cardiologie : on fait des examens inutiles pour justifier l’hospitalisation de jour.
La médecine a changé. J’ai connu l’époque où les plaies du patient diabétique, c’était plusieurs semaines d’hospitalisation. Aujourd’hui, cela se traite par des hospitalisations courtes et sans avoir nécessairement besoin de tas d’examens qui, médicalement, ne sont pas vraiment utiles mais qui, financièrement, sont plus intéressants pour les services. C’est un vrai dilemme pour les chefs de service car, ne pas être « rentable » avec la T2A, c’est risquer de perdre des moyens. Avec la généralisation de la tarification à l’activité, on en arrive donc à des situations absurdes.
Lesquelles ?
Celles qu’on voit par exemple à Grenoble, où deux jeunes pédiatres en burn-out se font rappeler à l’ordre par leur direction qui ne comprend pas pourquoi elles passent 40 minutes avec des parents pour parler des doses d’insuline.
Celle qu’on voit à Clermont-Ferrand, où le chef du service d’ORL se voit reprocher par le directeur d’avoir 470 000 € de déficit, de faire trop d’ambulatoire et de ne pas opérer suffisamment de thyroïdes, alors même que des données de la Sécurité sociale montrent que 20 % des opérations de la thyroïde ne sont pas justifiées.
La tarification à l'activité est devenue un carcan dont il est très difficile de sortir. Récemment par exemple, j’ai reçu un patient avec un cancer du pancréas métastatique avec 4 g de glycémie. Avec la T2A, j’aurais dû mettre ce patient dans un lit pour le garder trois jours à l’hôpital et personne n’aurait rien trouvé à redire. Mais il se trouve que ce monsieur en avait assez de l’hôpital. Il voulait rentrer chez lui. On lui a appris en consultation à mesurer ses glycémies, à injecter son insuline et à traiter une hypoglycémie. Je lui ai dit que je le reverrai quand il reviendrait pour sa chimiothérapie et qu’en attendant, il pouvait me téléphoner ou m’envoyer des mails s’il avait un problème ou une question. Pour moi, c’était la meilleure prise en charge pour ce patient-là, au stade de sa maladie et de sa vie.
Mais en agissant ainsi, je ne suis pas « rentable » pour mon hôpital. Pour être rentable, il aurait fallu l’hospitaliser et lui faire des tas d’examens dont il n’avait pas besoin.
Faut-il supprimer la T2A ?
Pas complètement. Elle reste pertinente pour certaines activités programmées et pour lesquelles il existe des tarifs et un codage adaptés. Encore faut-il que les tarifs correspondent aux coûts réels et n’en soient pas déconnectés, ce qui se rencontre de plus en plus.
Mais je pense qu’il faudrait deux autres modes de financement. Le premier est celui du paiement à la journée, qui pourrait convenir par exemple pour les soins palliatifs. Enfin, pour les pathologies chroniques, il faudrait revenir à une dotation budgétaire globale, avec laquelle le chef de service devrait se débrouiller pour l’année.
Je me souviens de l’époque où ce mode de financement existait. Comme chef de service, je suis alors passé de 65 à 35 lits et j’ai permis à quatre infirmières de devenir infirmières cliniciennes pour suivre des patients. À l’époque, le directeur me soutenait. Il me disait : « tant que vous êtes dans les clous avec votre dotation budgétaire, il n’y a pas de problème ». Avec ce système, j’avais un immense sentiment de liberté et je parlais médecine avec le directeur…
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