Faut-il délivrer de la metformine chez des patients insuffisants rénaux ? Voilà plusieurs années que cette question suscite un large débat dans le monde de la diabétologie. Certains sont favorables à l’élargissement des prescriptions, d’autres s’y opposent par crainte de la toxicité de l’acidose lactique générée par l’accumulation de metformine. Une crainte liée au fait que la molécule est éliminée par le rein et seulement par le rein. « Si les reins souffrent, il peut y avoir un risque théorique d’accumulation de metformine et donc d’acidose lactique », souligne le Pr Jean-Daniel Lalau, chef du service d’endocrinologie-nutrition du CHU d’Amiens.
Le débat a pris une tournure nouvelle en 2016, quand l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency, EMA) et la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis ont autorisé la prescription de la metformine dans l’insuffisance rénale jusqu’au stade 3B. « Mais la sortie de ces recommandations n’a pas mis un terme à la controverse, ni emporté l’adhésion des opposants à l’élargissement de la prescription aux insuffisants rénaux. En effet, l’Europe et les États-Unis ont sorti leurs préconisations sans s’appuyer sur la moindre publication d’étude clinique prospective », déplore le Pr Lalau qui, depuis plus de quinze ans, mène une action très volontariste pour démontrer l’intérêt de la metformine chez les patients insuffisants rénaux… et surtout pour faire voler en éclat l’idée que l’acidose lactique associée à la metformine entraîne un pronostic défavorable dans bon nombre de cas : « Cela fait des années que j’essaie de démontrer que l’acidose lactique induite par la metformine reste exceptionnelle et n’a pas le caractère toxique qu’on lui prête. Avec nos travaux, nous avons même démontré l’inverse, à savoir que le pronostic pouvait être meilleur dans l’acidose lactique de cause générale chez le sujet traité par metformine, laquelle, en outre, a une action néphroprotectrice. »
En 1990, le Pr Lalau avait déjà mené une étude prospective de la metformine dans l’insuffisance rénale, mais de taille bien modeste, sur 24 patients âgés, et avec deux mois de traitement seulement. « Cette fois, explique-t-il, on a décidé de réaliser trois études successives et complémentaires » (elles seront publiées dans Diabetes Care). La première a été une étude de recherche de dose appropriée de metformine à trois stades d’insuffisance rénale, les stades 3A, 3B, et 4 : « Nous avons mené cette première étude avec trois séquences de traitement d’une semaine par metformine à doses journalières progressives (de 0,5 g/j, 1 g/j, puis 2 g/j), chaque séquence étant entrecoupée d’une semaine de washout, et ce dans tous les stades d’insuffisance rénale. Au terme de cette première étude, nous avons finalement retenu les doses de metformine suivantes : 1,5 g/j pour le stade 3A (0,5 g le matin, 1 g le soir) ; 1 g pour le stade 3B (0,5 g matin et soir), et 0,5 g (le matin) pour le stade 4. »
Une stabilité de la metforminémie remarquable
La deuxième étude visait à obtenir une validation de ces doses, avec cette fois un traitement à dose fixe, dans la durée, soit sur quatre mois. « Cela s’est fait en monitorant chaque mois la fonction rénale, la lactatémie et la metforminémie (plasmatique et érythrocytaire) et en mesurant l’hémoglobine glyquée (HbA1c) au terme de ces quatre mois. On a constaté une remarquable stabilité de la metforminémie, sans aucune valeur franchement augmentée. La tolérance métabolique a été excellente, sans aucun cas d’hyperlactatémie spontanée. Il y a eu un seul cas, mais dans un contexte d’infarctus du myocarde. Nous avons pu enfin démontrer qu’il n’était pas nécessaire de monitorer la metforminémie tant que la fonction rénale est stable », détaille le Pr Lalau.
Enfin, une troisième étude, pharmacocinétique cette fois, est venue validée dans l’après-coup les choix de dose qui ont été faits.
« Au terme de ces travaux, nous recommandons les doses journalières de 1,5 g dans le stade 3A (0,5 g le matin et 1 g le soir) et de 1 g dans le stade 3B (0,5 g matin et soir). Pour le stade 4, il n’y a pas d’autorisation actuellement, mais nous avons choisi de jeter les bases d’une future indication, et nous allons prolonger nos travaux avec une dose de 0,5 g », résume le Pr Lalau.
Restent deux questions : Pourquoi les recommandations européennes et américaines sont-elles sorties sans être accompagnées d’études publiées ? Et sur quelles données se sont alors basées l’EMA et la FDA pour élaborer leurs recommandations ? « En fait, elles se sont appuyées sur nos travaux, alors que ceux-ci n’avaient pas encore été publiés. En effet, en 2016, quand le Danemark a sollicité l’EMA pour obtenir un élargissement des prescriptions, la société Merck, qui était partenaire de nos études, les a transmises à l’EMA. C’est donc sur la base de nos travaux que les recommandations de l’EMA ont été prises, et la FDA a suivi », se félicite le Pr Lalau.
Entretien avec le Pr Jean-Daniel Lalau, chef du service d’endocrinologie-nutrition du CHU d’Amiens.
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