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Dossier

Quand les antidiabétiques s'invitent dans l'obésité

Par Hélène Joubert - Publié le 22/03/2021
Quand les antidiabétiques s'invitent dans l'obésité


SPL/PHANIE

Utilisés depuis plusieurs années dans le diabète, certains analogues du GLP-1 ont fait la preuve de leur efficacité dans la lutte contre l’obésité et l’un d’entre eux, le liraglutide, est disponible depuis peu dans cette indication. Une « reconversion » porteuse d’espoir mais aussi d’interrogations alors que, jusqu’à présent, aucun médicament de la surcharge pondérale n’a réussi à s’imposer.

Alors que l’incidence de l’obésité a augmenté de 200 % en trente ans et concerne désormais 17 % des Français et 13 % de la population mondiale, la quête de traitements à même de lutter contre l’excès de poids reste d’actualité. À ce titre, les analogues du GLP-1 (glucagon-like peptide-1) sont dans les starting-blocks avec, coup sur coup, en mars, la mise à disposition en France du liraglutide 3 mg* dans cette indication et la publication dans le JAMA et le NEJM de résultats concluants pour le sémaglutide 2,4 mg.

Si ce repositionnement des antidiabétiques suscite de l’espoir pour certains patients, l’enthousiasme est tempéré par trois décennies de « médicaments pour maigrir » aux problèmes rédhibitoires liés à leur sécurité d’emploi, à leur tolérance, à leurs effets secondaires parfois dramatiques ou à leur efficacité modeste (voir encadré). En parallèle, la chirurgie bariatrique s’est développée de manière particulièrement importante en France. « Réservée aux formes sévères de l’obésité, elle ne correspond heureusement pas à la majorité des patients vivant avec une obésité, pointe le Pr Martine Laville (service d’endocrinologie-diabète-nutrition de l’hôpital Lyon-Sud et présidente du Centre européen pour la nutrition et la santé). Il y a donc une place pour un traitement médical, dans une stratégie de prise en charge graduée et personnalisée. »

Des médicaments qui régulent la glycémie et l’appétit

Le liraglutide et le sémaglutide sont deux anti-hyperglycémiants de la classe des agonistes du récepteur du GLP-1 prescrits depuis plusieurs années dans le diabète de type 2. Dans l’indication « obésité », ce n’est pas leur effet sur la régulation du glucose (via l’augmentation de la sécrétion de l’insuline et la baisse de celle du glucagon) qui est exploité mais celui sur la régulation de l’appétit. « L’originalité des a-GLP-1 réside dans leur effet sur les signaux du comportement alimentaire », indique le Pr Jean-Michel Oppert, chef du service de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP, Paris) et médecin référent du Centre intégré de l’obésité. Le GLP-1 endogène est une incrétine principalement synthétisée au niveau de l’intestin mais aussi du cerveau, avec des récepteurs localisés au niveau cérébral, pulmonaire, cardiaque, pancréatique, rénal et du tractus digestif. Il active des aires cérébrales impliquées dans la régulation de l’appétit. Parmi ses effets métaboliques et gastriques, on compte une augmentation de la satiété et de la plénitude, un effet anorexigène avec une diminution de la consommation alimentaire et de la prise énergétique. De plus, il réduit l’acidité et la vidange gastriques. L’inconvénient du GLP-1 endogène étant une demi-vie très courte, des analogues ont été synthétisés : la demi-vie du liraglutide est de 13 heures, ce qui impose une injection quotidienne. La demi-vie du sémaglutide permet une injection hebdomadaire.

Dans son programme de développement clinique Scale, le liraglutide 3 mg, en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique, permet une perte moyenne de 8 % (8,4 kg) du poids corporel à la semaine 56. Le pourcentage de patients ayant perdu plus de 10 % de leur poids corporel était de 37 % et 26 % à 1 et 2 ans respectivement (perte de poids supérieure à 5 % après deux ans pour 73 % et 52 % des participants). Une efficacité sur la prévention et la normalisation du prédiabète (70 % des participants sont passés du stade de prédiabète à l’absence de diabète) a aussi été mise en évidence.

Des résultats à confirmer en vie réelle

De son côté, le sémaglutide semble faire mieux sur le poids avec plus de 12 kg de différence versus placebo. Dans l’étude randomisée du NEJM testant le sémaglutide 2,4 mg dans l’obésité (hors diabète) en complément d’une intervention sur le mode de vie, « la variation moyenne du poids entre le départ et la semaine 68 était de -14,9 % dans le groupe sémaglutide vs -2,4 % avec le placebo », résume le Pr Christine Poitou-Bernert (Pitié-Salpêtrière, Paris), qui a coordonné l’essai. Davantage de patients du groupe sémaglutide ont obtenu une réduction de poids de 5 % ou plus (86,4 % vs 31,5 % avec le placebo), 10 % ou plus (69,1 % vs 12,0 %) et 15 % ou plus (50,5 % vs 4,9 %). Des résultats « assez remarquables, juge Jean-Michel Oppert, mais qui seront à confirmer par des études en vie réelle ».

En termes de tolérance et de sécurité, « ce sont des traitements assez sûrs, avec un grand recul du fait de leur utilisation depuis plusieurs années chez les diabétiques », poursuit le Pr Poitou-Bernert. Dans les essais avec le liraglutide 3 mg, 95,7 % des participants avaient déclaré à 1 an des effets secondaires (vs 88 % dans le groupe placebo). Ceux-ci étaient principalement digestifs, avec des nausées (48,4 % des participants) généralement transitoires, ainsi que des diarrhées et des vomissements, également retrouvés avec le sémaglutide.

Autres bémols : la contrainte de l’injection quotidienne et ses conséquences sur l’observance, cumulée à un coût entièrement supporté par le patient, à mettre en balance avec les résultats obtenus sur la perte pondérale. À ce titre, « une réduction de 5 % du poids corporel initial impacte les comorbidités cardiométaboliques (glycémie, profil lipidique) et les risques liés à l’obésité », souligne le Pr Martine Laville.

Ainsi, « le liraglutide sera surtout utile dans certaines situations d’obésité sévère, estime le Pr Oppert, ainsi que chez ceux souffrant de comorbidités ». Selon l’AMM, le liraglutide 3 mg est indiqué en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique dans le contrôle du poids chez des adultes ayant un IMC initial ≥ 30 kg/m² (obésité), ou ≥ 27 kg/m² (surpoids) en présence d’au moins un facteur de comorbidité lié au poids tel qu’une dysglycémie (prédiabète ou DT2), une HTA, une dyslipidémie ou un syndrome d’apnée obstructive du sommeil. Néanmoins, peu de spécialistes de l’obésité envisagent les analogues du GLP-1 comme un traitement de première intention. « Idéalement, ils seront à prescrire en seconde intention, affirme le Pr Poitou-Bernert, après une prise en charge multidisciplinaire bien conduite, de plusieurs mois. Dans tous les cas, sa prescription doit se faire dans le cadre d’un protocole de prise en charge globale. « Dans les études, il y a certes “l’effet molécule” des a-GLP-1, mais également l’effet d’un suivi très régulier et soutenu avec un très bon accompagnement (conseils alimentaires, activité physique) », souligne la spécialiste.

« L’obésité n’est pas qu’un problème de balance, insiste le Dr Eric Drahi, médecin généraliste, responsable d’une structure d’ETP sur les maladies chroniques dont l’obésité (Appui santé Loiret) et le plus souvent, des problèmes de qualité de vie cohabitent avec des risques biomédicaux. Pour être efficace, la prescription du liraglutide 3 mg ne doit pas être isolée. Le traitement médicamenteux est une option d’aide dans un panel de thérapeutiques qui sont essentiellement des modifications thérapeutiques du mode de vie. Cela englobe également les aspects psychologiques et sociaux de la prise en charge (association forte avec des maltraitances sexuelles dans l’enfance, surtout chez les femmes, symptômes dépressifs chez la moitié des personnes obèses morbides…). »

Médicaments du surpoids, beaucoup d’appelés mais peu d’élus
Depuis trois décennies, beaucoup de molécules ont investi la lutte contre l’obésité. Mais jusqu’à présent, toutes les tentatives se sont soldées par des échecs, parfois retentissants, comme pour le Mediator®.
Les anorexigènes amphétaminiques sont interdits depuis les années 2000, avec la dexfenfluramine et la phénylpropanolamine retirées du marché pour leurs effets indésirables cardiovasculaires. Un autre anorexigène prescrit aux diabétiques obèses, le rimonabant (Acomplia®) a subi le même sort, pour cause de dépression, d’anxiété, de risque suicidaire. Lui aussi indiqué comme traitement adjuvant dans la perte de poids chez les diabétiques de type 2, le benfluorex (Mediator®) a été interdit en 2009, du fait d’HTAP et de valvulopathies parfois fatales. Pourtant efficace sur le poids, la sibutramine (Sibutral®) augmentait le rythme cardiaque et la tension artérielle, ce qui a mis fin à sa commercialisation en 2010. Encore en lice mais peu efficace et responsable d’interactions médicamenteuses gênantes et d’effets indésirables, en particulier digestifs, l’orlistat n’est presque plus utilisé.

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