Article réservé aux abonnés
Dossier

SFD 2022

Regain d'intérêt autour du pied diabétique

Par Hélène Joubert - Publié le 25/04/2022

Cette année, la Société francophone du diabète (SFD) a mis le pied diabétique à l’honneur lors de son congrès annuel (Nice, 22-25 mars 2022). Entre actualisation des données épidémiologiques, outils de prévention inédits ou encore nouveaux traitements adjuvants, le sujet a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques ces dernières années, remettant sur le devant de la scène cette complication grave et fréquente.

Grâce au traitement multicible, sur la glycémie, la tension artérielle et les dyslipidémies, les patients diabétiques de type 2 ont vu leur pronostic fortement bouleversé : ils décèdent moins des affections cardiovasculaires, ce qui a mis en lumière une complication délaissée en dépit de sa grande fréquence : le pied diabétique. « Alors que 12 à 25 % des diabétiques présenteront une ulcération du pied au cours de leur vie, que 5 à 10 % seront un jour amputés du membre inférieur, il s’agit d’une complication majeure du diabète », rappelle le Pr Kamel Mohammedi (CHU de Bordeaux). Elle constitue la principale cause d’hospitalisation prolongée en population diabétique et est à l’origine d’un fardeau économique important, de l’ordre de 8,5-12 milliards d’euros par an en France. Pourtant, « c’est probablement la complication du diabète la moins bien étudiée », déplore le spécialiste.

Les choses sont toutefois en train d’évoluer, comme en témoigne le récent congrès de la Société francophone du diabète (SFD), qui a accordé une place de choix aux nombreuses nouvelles données publiées sur le sujet ces dernières années.

Plus d’hospitalisations mais moins d’amputations

Sur le plan épidémiologique, le pied diabétique est plutôt un problème masculin, qui augmente avec l’âge et dans les territoires français les plus défavorisés. Un état des lieux paru en 2020 faisait état en France d’hospitalisations croissantes entre 2008 et 2014 pour pied diabétique mais d’un recul du nombre d’amputations : en 2014, sur plus de trois millions de personnes (couvertes par le régime général) traitées pour un diabète, on comptabilisait 22 347 hospitalisations pour pied diabétique (âge moyen 70 ans, 60 % d’hommes), soit le double par rapport à 2008. Cette même année, 8 342 hospitalisations pour amputation d’un membre inférieur ont été recensées, soit une baisse de 1 137 cas par rapport à 2008.

Une valeur pronostique confirmée

Le pronostic de l’atteinte est en effet dominé par le risque d’amputation et la surmortalité globale. Une étude prospective parue en 2021, portant sur 347 patients ayant en moyenne 49 jours de durée d’ulcère, a relevé 70 % d’ischémie, 55 % d’infections et 47 % d’ostéomyélite. À un an, 67 % des ulcères avaient cicatrisé, 10 % des patients avaient subi une amputation majeure, 19 % une amputation mineure et 9 % étaient décédés. La mortalité à 5 ans allait de 35 à 52 %, un chiffre deux fois plus élevé par rapport aux patients diabétiques sans pied diabétique. « Un patient avec un pied diabétique n’est pas un patient diabétique comme les autres, insiste le Pr Mohammedi. Le pied diabétique reflète un état micro- et macrovasculaire précaire et est corrélé à une forte mortalité d’origine cardiovasculaire et non cardiovasculaire. »

Des retards diagnostiques péjoratifs
En 2018, l’étude Educare estimait à 14 jours le retard moyen au diagnostic de pied diabétique en France et, élément péjoratif en termes de pronostic de cicatrisation, les plaies nécrotiques n’étaient adressées de façon systématique en milieu hospitalier que dans 48 % des cas, dans 23 % pour les plaies avec retard de cicatrisation et 6 % pour les plaies profondes non infectées.
Comme en réponse à cette problématique, la Haute Autorité de santé a publié en novembre 2020 une fiche « Évaluations du pied d’un patient diabétique » qui met en avant la pluridisciplinarité de la surveillance et de la prévention selon le grade podologique (perception du monofilament, présence d’une artériopathie, déformation du pied, antécédents d’amputation ou de plaie du pied de plus de 4 semaines).

Une publication française de 2020 a confirmé au sein d’une cohorte de diabétiques que l’atteinte des membres inférieurs reflète une maladie cardiovasculaire (CV) sévère. « Le fait d’avoir un antécédent de complication podologique à 10 ans augmente de 35 % le décès toutes causes, de 45 % la survenue d’évènements CV, de 75 % le risque de décès CV et de 58 % celui d’infarctus du myocarde », complète le spécialiste, qui a participé à une étude menée par le CHU de Bordeaux et l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (Paris).

Du nouveau sur la prévention et le soin des plaies diabétiques

Sur le plan thérapeutique, les lignes bougent également autour de deux enjeux majeurs : « prévenir la survenue de plaie chez les patients à risque podologique en restaurant le signal d’alerte ou en diminuant le risque d’artérite des membres inférieurs, et raccourcir le délai de cicatrisation », résume le Pr Olivier Bourron (service de diabétologie, hôpital de la Pitié-­Salpêtrière, Paris).

Concernant la prévention des évènements podologiques, de nouvelles approches sont développées, dont des technologies digitales. Loin d’être des gadgets technologiques, certains sont déjà diffusés aux États-Unis par exemple, agréés par la Food and Drug Administration et pris en charge par certaines assurances santé. Il s’agit de semelles capables de signaler les zones d’hyperpression via une montre connectée ou encore de tapis à même de repérer un écart de température entre les deux pieds. Un écart thermique de deux degrés a été retenu comme marqueur de risque de survenue de plaie dans les 40 jours avec l’un des dispositifs parmi les plus avancés, avec une réduction de 50 % de la survenue de plaies et une diminution du risque d’hospitalisation et d’amputation. « Cependant, souligne Olivier Bourron, l’outil est efficace uniquement s’il s’accompagne de mesures de prévention (chaussage, réduction de la marche, pédicure…). »

Du côté des médicaments, de nouvelles indications de molécules déjà commercialisées sont à l’étude dans l’artérite des membres inférieurs du diabétique. Comme par exemple, pour l’anti-PCSK9 évolocumab, qui réduit de 42 % les évènements majeurs aux membres inférieurs (amputations/ischémie critique, revascularisation) dans l’étude Fourier. Même chose pour le rivaroxaban qui, couplé à l’aspirine, réduit de 46 % les évènements majeurs aux membres inférieurs et de 70 % les amputations majeures.

Par ailleurs, des progrès ont été réalisés dans la prise en charge des plaies au moyen de traitements locaux innovants. La décharge, la détersion de la plaie sans produit agressif, le débridement large du tissu nécrosé et de la kératose attenante et la pose d’un pansement neutre ne suffisent souvent pas à la cicatrisation ou à son accélération. En 2020, le groupe international de travail sur le pied diabétique a revu sa position en intégrant le pansement au sucrose octasulfate TLC-NOSF (technologie lipocolloïde, avec nano-oligosaccharide factor). Une cicatrisation complète a été observée à 20 semaines chez 48 % des patients du groupe « pansement nano-oligosaccharide factor » versus 30 % dans le groupe pansement « neutre », soit + 60 % de cicatrisation complète. D’autres solutions se confirment, dont les patchs multicouches riches en leucocytes/plaquettes/fibrine autologue (la centrifugation au lit du patient produit des culots multicouches replacés au niveau de la plaie) et l’oxygénothérapie pressurisée topique. Des matrices acellulaires dérivées du derme et des facteurs de croissance libérés à partir de plasma autologue sont aussi à l’étude.

Infection d’ulcère, la clinique avant tout
L’infection de l’ulcère de pied entraîne un risque de résistance bactérienne, de décompensation de comorbidités, d’amputation et de décès. Une étude parue en 2018 menée sur près de 300 sujets avec plaie du pied cliniquement infectée fait état, à 12 mois, de taux de guérison de 46 % (dont 10 % de récidive), d’amputations de 17 % et de décès de 15 %. « Les plaies à risque d’infection sont des plaies profondes, anciennes et traumatiques, explique le Dr Louis Potier (hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris). La présence de comorbidités – dont l’insuffisance rénale chronique – et probablement le déséquilibre glycémique jouent aussi. »
Pour le diagnostic, « la clinique doit parler », insiste le spécialiste. Comme le rappellent les recommandations du groupe international de travail sur le pied diabétique (IWGDF 2019), une infection se manifeste par des signes locaux comme l’œdème (gonflement local ou induration), la rougeur (érythème > 0,5 cm2), la chaleur, la douleur, la présence d’un écoulement purulent, avec éventuellement des signes systémiques comme une fièvre, une tachycardie, une fréquence respiratoire > 20 cycles/min et une hyperleucocytose. Concernant les tissus mous, aucune imagerie spécifique n’est nécessaire. En cas de signe d’infection, « le prélèvement est systématique, par biopsie ou curetage, mais pas par écouvillonnage », rappelle le Dr Louis Portier.
En ce qui concerne le diagnostic de l’ostéite du pied diabétique, il est relativement aisé dans sa forme typique, avec trois signes principaux : orteil « en saucisse » avec une petite plaie distale, contact osseux positif avec stylet, et radiographie standard. Si le diagnostic d’ostéomyélite reste douteux, il faut prescrire une IRM, un PET scan ou une scintigraphie aux leucocytes marqués (avec ou sans TDM). Soit « des examens pas obligatoirement disponibles et requérant une expertise radiologique », reconnaît le spécialiste. Ensuite, l’examen de référence pour poser le diagnostic et l’identification du germe est la biopsie osseuse. Il reste cependant 25 à 50 % de biopsies osseuses négatives malgré une suspicion clinique d’ostéite forte.