« Tout est sur la table, il faut désormais avancer », estime la Pr Martine Laville, chargée de la mission obésité

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Publié le 27/04/2023
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Crédit photo : DR

En décembre, la Pr Martine Laville, responsable du centre intégré de l’obésité aux Hospices civils de Lyon, s'est vu confier une mission sur la prévention et la prise en charge de l'obésité par le ministre de la Santé François Braun et celui des Solidarités Jean-Christophe Combe. Son rapport, riche de 40 recommandations, a été rendu ce 27 avril.

LE QUOTIDIEN : Quel est le but de la mission qui vous a été confiée ?

Pr MARTINE LAVILLE : Ma mission est plus large que la feuille de route 2019-2022 qui se termine. Au-delà de l'organisation des soins, Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, a souhaité qu'elle englobe également les aspects sociétaux de l'obésité, alors que les plus précaires sont les plus touchés. Les enfants des ouvriers ont quatre fois plus de risque d'être obèses que ceux des cadres, c'est frappant.

Après trois mois de recherche et une centaine d'interviews, j'ai pu constater que tout a déjà été documenté sur l'obésité. Citons notamment le rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l'obésité en Europe, publié en mai 2022, et l'excellent rapport de deux sénatrices, présenté en juin. Un travail de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2019, montre que chaque dollar investi dans la prévention de l’obésité rapporterait jusqu’à six dollars.

Il y a urgence à agir. Tout est sur la table, il faut désormais avancer. Je suis optimiste, mais nous ne devons pas tarder, car la situation s'aggrave et les inégalités sociales se creusent. Mes préconisations sont donc pragmatiques, à visée opérationnelle. Pour les mettre en œuvre, je demande qu'une délégation interministérielle soit mise en place, avec un plan sur au moins cinq ans. La France a des atouts et la communauté de l'obésité est mobilisée de façon majeure.

Quelle est la mesure phare de vos préconisations ?

En France, nous manquons cruellement de données sur le fardeau que représente l'obésité. Nous disposons bien sûr de cohortes, comme Constances, mais nous n'avons pas de données exhaustives sur l'ensemble de la population. Pour pallier ce retard colossal en la matière, je propose que tous les examens obligatoires chez les enfants et tous les futurs examens qui seront réalisés dans le cadre des consultations de prévention soient numérisés pour avoir un réel suivi de l'obésité, indispensable pour un plan de lutte. Les médecins généralistes, les pédiatres et la protection maternelle et infantile (PMI) ont un rôle à jouer. La médecine scolaire et le service national universel (SNU) doivent donner les éléments pour suivre le poids des enfants et des adolescents en temps réel.

Dans le domaine de la prévention, quelles sont vos recommandations ?

La législation française prévoit déjà une taxe soda, elle est facile à appliquer mais peu efficace. Elle doit s'accompagner de mesures visant à éduquer la population et à inciter les industriels à être plus vertueux. Je prône notamment l'interdiction des publicités des produits de mauvaise qualité nutritionnelle aux horaires où les enfants regardent la télévision. Toujours sur le volet nutrition, le dispositif « la cantine à 1 euro » doit être mis en place là où il n’existe pas pour permettre aux plus défavorisés d'y avoir accès.

Dans le champ de la prévention, de nombreuses actions voient le jour localement, mais manquent souvent d'un pilotage qui permettrait de coordonner les acteurs et de favoriser la réplication des actions probantes. Celles qui ciblent les enfants, les jeunes parents et l'éducation à la parentalité sont particulièrement pertinentes, comme le programme Malin, qui propose des conseils nutritionnels aux familles ainsi que des bons de réduction pour l’alimentation, et celui des 1 000 premiers jours.

À noter que la lutte contre la sédentarité et l'éducation à l'alimentation font l'objet de deux autres missions qui ont été menées en parallèle.

La prise en charge de l'obésité souffre, comme d'autres spécialités, d'un manque de soignants.

D'importantes transformations se jouent dans la prise en charge de l'obésité, avec l'arrivée de nouveaux médicaments. Et de nombreuses expérimentations sont en cours dans le cadre de l'article 51 sur les organisations innovantes en santé qui pourraient améliorer le parcours de soins. Mais ces changements nécessitent d'avoir des soignants. Nous réclamons plus d'internes. Avant la réforme de 2017 sur les études de médecine, 120 internes étaient formés chaque année contre 90 actuellement, alors que les besoins ne font qu’augmenter. Nous voulons récupérer au minimum ce que nous avons perdu.

Le rôle des diététiciens, qui est majeur, a par ailleurs beaucoup évolué au cours des dernières années, cela doit être reconnu.

Un volet de votre mission est dédié aux outre-mer, qu'en est-il ?

Les régions d'outre-mer cumulent de nombreuses difficultés. Alors que les centres spécialisés d'obésité (CSO) sont un succès en métropole, il reste beaucoup à faire dans les outre-mer. Nous devons les soutenir, quitte à les adosser à un CSO « parrain » de métropole. Dans le domaine de l'alimentation, des actions sont aussi à mener, tout en prenant en compte les coûts plus élevés qu'en métropole et les lobbys de l'industrie du sucre.

La Réunion se démarque néanmoins. D'importants efforts ont été faits et témoignent de l'efficacité d'une dynamique collective.

Le développement de la recherche est un autre axe important de votre mission.

La recherche en France est en perte de vitesse, comme l'a récemment souligné le Pr Alain Fischer dans un rapport. À l'instar de certains pays voisins, la France doit investir bien davantage, et notamment dans les sciences humaines et sociales, essentielles dans l'obésité. Nous devons aussi mettre en place des réseaux multidisciplinaires et avoir des appels d’offres dédiés. Un point fort de la France toutefois : le réseau de recherche clinique Force labellisé F-Crin* que je coordonne et qui a permis de fédérer une belle communauté.

*Porté par l’Inserm, F-Crin (French Clinical Research Infrastructure Network) renforce la compétitivité de la recherche clinique française à l’international, labellise les réseaux de recherche et facilite la mise en place d’essais cliniques académiques ou industriels.

Propos recueillis par Charlène Catalifaud

Source : lequotidiendumedecin.fr