Peu satisfaits de l’utilisation trop systématique de l’indice de masse corporel (IMC), et désireux de faire avancer le débat sur la qualification de l’obésité comme maladie, 56 experts ont publié ce 15 janvier un long article dans le Lancet Diabetes & Endocrinology. L'obésité est en effet associée à de nombreuses pathologies allant du diabète aux maladies cardiovasculaires, et tout le monde ne s’aligne pas sur l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui la considère comme une pathologie à part entière. D’autres lui préfèrent le qualificatif de « facteur de risque » considérant que cela ouvre la voie à une réponse plus adéquate aux besoins des patients.
La commission rassemblée par le Lancet adopte une position qui se veut « équilibrée » : les experts proposent une « refonte majeure » du diagnostic de l’obésité, avec pour idée directrice, la distinction entre obésité pathologique dite « clinique » et obésité non pathologique, ou « non clinique ». Mais pour parvenir à cette typologie, l’indice de masse corporelle (IMC) seul n’est plus satisfaisant. Un IMC supérieur à 40 kg/m2 peut suffire à prédire une obésité, mais entre 25 et 40 kg/m2, d’autres paramètres sont nécessaires : mesure du tour de taille, techniques d’imagerie ou encore estimation de la quantité de graisse présente dans l’organisme.
« Une partie du problème est due au fait que l’obésité est actuellement définie par l’IMC, un IMC supérieur à 30 kg/m2 étant considéré comme un indicateur d’obésité pour les personnes d’origine européenne, précisent les auteurs. Des seuils d’IMC différents, propres à chaque pays, sont également utilisés pour tenir compte de la variabilité ethnique. »
Mesure de la taille et de la masse grasse
Les chercheurs proposent de compléter la mesure de l’IMC par au moins une mesure de la taille (tour de taille, rapport taille-hanches ou rapport taille-taille), ou au moins deux mesures de la taille indépendamment de l'IMC. Ils proposent aussi de recourir à l’ostéodensitométrie pour mesurer directement de la masse grasse corporelle. Au-delà de 40 kg/m2, ils estiment qu’on peut supposer « de manière pragmatique » qu'il y a un excès de masse grasse corporelle.
Une obésité doit être considérée comme « clinique » quand elle est associée à des signes de dysfonctionnements de certains organes causés par le seul excès d’adiposité. Sinon, elle est qualifiée de « pré-clinique » et nécessite essentiellement des mesures de prévention. Dans le cas d’une obésité clinique, les lésions des organes sont à l’origine de complications graves, métaboliques (comme le diabète), cardiovasculaires, vasculaires cérébrales, rénales, de cancers et d’une mortalité proportionnelle à la masse grasse.
La Commission établit 18 critères diagnostiques pour l'obésité clinique chez les adultes et 13 autres spécifiques pour les enfants et les adolescents : essoufflement, insuffisance cardiaque, douleurs au genou ou à la hanche, avec raideur articulaire et amplitude de mouvement réduite comme effet direct de l'excès de graisse corporelle sur les articulations. Certaines altérations des os et des articulations chez les enfants et les adolescents limitant les mouvements sont également listées, de même que les dysfonctionnements des reins, des voies respiratoires supérieures, des organes métaboliques, des systèmes nerveux, urinaires et reproducteurs et du système lymphatique des membres inférieurs.
Une fois le diagnostic posé, les personnes atteintes d’obésité clinique doivent recevoir un traitement « dans le but de retrouver ou d’améliorer pleinement les fonctions corporelles réduites par l’excès de graisse corporelle, plutôt que de simplement perdre du poids », insiste la commission.
Une publication qui divise
Comme l’explique le président de la Commission, le Pr Francesco Rubino, du King's College de Londres : « La question de savoir si l'obésité est une maladie est erronée car elle suppose un scénario invraisemblable du tout ou rien, où l'obésité est soit toujours une maladie, soit jamais une maladie, insiste-t-il. Les données montrent cependant une réalité plus nuancée. Certaines personnes obèses peuvent maintenir une fonction organique normale et une bonne santé générale, même à long terme, tandis que d'autres présentent des signes et des symptômes de maladie grave ici et maintenant. »
Les chercheurs mettent d’ailleurs en garde contre la sur-médicalisation des cas d’obésité précliniques, déconseillant le recours aux médicaments tels que les analogues du GLP-1. Dans le même temps, ils précisent que « considérer l'obésité uniquement comme un facteur de risque, et jamais comme une maladie, peut injustement refuser l'accès à des soins urgents aux personnes qui souffrent de problèmes de santé dus uniquement à l'obésité. »
Ces conclusions ont été vertement critiquées par plusieurs acteurs, à commencer par la fondatrice du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), Anne-Sophie Joly. « C'est contre-productif sur le message de santé publique », a-t-elle déclaré à l’AFP. Elle dénonce des experts déconnectés d'une « réalité de terrain » vécue par des patients obèses. La psychologue Sylvie Benkemoun, qui préside le Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids (Gros), est plus mesurée : « C'est insuffisant même si ça a le mérite d'entamer une réflexion », commente-t-elle, estimant que les experts n'apportent guère de réponse en matière de prise en charge et que leurs recommandations ne changeront probablement pas l'attitude des soignants.
Dans un communiqué, l’Académie de médecine estime pour sa part qu’il est « nécessaire » d’opérer une distinction entre obésité préclinique et clinique, « tant en termes de prise charge clinique, que vis-à-vis des politiques de santé ». Les académiciens estiment « nécessaire de démontrer l'un ou l’autre de deux critères principaux : l’atteinte fonctionnelle d’un organe ou tissu due à l'obésité (signes cliniques, fonctions d’un ou plusieurs tissus ou organes), ou la réduction significative d’activités quotidiennes, ajustées à l'âge : mobilité, activités quotidiennes (toilette, habillement, continence, repas) ».
Pour les décideurs politiques et les autorités sanitaires, la difficulté sera d’assurer un accès équitable à une évaluation diagnostique, un suivi et des traitements adaptés au niveau de risque individuel. « Les préjugés liés au poids et la stigmatisation qui en résulte sont des obstacles supplémentaires aux efforts de prévention et de traitement efficace de l'obésité », ajoutent les académiciens.
F. Rubino et al., The Lancet Diabetes &Endocrinology, 2025.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024