C’est sous le soleil de Barcelone que s’est tenu le dernier congrès européen de gastro-entérologie. Qu’il s’agisse de l’éradication d’Hélicobacter Pylori ou des effets au long cours des IPP, le ton était plutôt à l’optimisme et à la réassurance. Quant aux MICI, l’arsenal thérapeutique s’est tellement étoffé que les praticiens ont maintenant l’« embarras » du choix !
Helicobacter pylori, les nouvelles recos portent leurs fruits
En Europe, l’emploi croissant des quadrithérapies permet enfin d’atteindre un taux d’éradication d’Helicobacter pylori de 90 %, et de contourner les résistances, lesquelles ont pourtant tendance à augmenter. Deux constats rapportés lors du dernier congrès européen de gastro-entérologie (United European Gastroenterology Week, Barcelone, 19-23 octobre)
Suite à la progression des résistances d’Helicobacter pylori aux antibiotiques, et notamment à la clarithromycine, les protocoles de traitement ont été revisités en 2017. Les guidelines européennes comme celles de la HAS ont écarté les trithérapies probabilistes et la quadrithérapie séquentielle au profit d’une antibiothérapie guidée par l’antibiogramme ou d’une quadrithérapie probabiliste concomitante (IPP + amoxicilline + clarithromycine + métronidazole) ou bismuthée (oméprazole + sel de bismuth + tétracycline + métronidazole).
« L’idéal est bien sûr de tester la sensibilité de la souche avant de traiter, explique le Pr Francis Mégraud (centre national de référence des Helicobacters, Bordeaux), avec des techniques de PCR en temps réel, maintenant commercialisées et pour lesquelles nous sommes en train de présenter le dossier du remboursement. » Mais pour le moment, la technique n’étant pas encore remboursée ni réalisée partout, la quadrithérapie probabiliste est généralement privilégiée en France.
Au niveau européen, les quadrithérapies représentaient en 2018 60 % des prescriptions contre 26 % en 2013, selon les données du registre ERHM (The European Registry on H. pylori managment), présentées à Barcelone. Une évolution qui semble payante, puisque dans le même temps, le taux d’éradication sur le terrain est passé de 74 % à 88 %, avec un accroissement net à partir de 2017.
Cela alors que les résistances continuent d’augmenter, comme le soulignent les résultats de l’étude “Survey of H. pylori primary resistance to antibiotics in Europe in 2018” rapportés à Barcelone par le Pr Francis Mégraud. Très attendues, ces données montrent qu’en 2018, les résistances des souches de H. pylori étaient de 21,6 % pour la clarithromycine (9,9 % en 1998), 16,3 % pour la levofloxacine (14,1 % en 2008) et 39,1 % pour le métronidazole (33,1 % en 1998). « Il y a une augmentation continue de la résistance à la clarithromycine, plus ténue pour la levofloxacine », commente le Pr Mégraud. La résistance à la clarithromycine était de 36,9 % dans le sud de l’Italie contre 5 % au Danemark. En France, elle semble stabilisée autour de 20 % (22,5 % précisément), ce qui classe l’Hexagone dans les pays à forte résistance. Quant aux résistances à l’amoxicilline, à la tétracycline et à la rifampicine, elles restent très basses. La résistance de H. pylori au métronidazole est élevée, mais du fait d’un impact clinique limité (le métronidazole se concentre dans le mucus gastrique, entraînant des taux d’antibiotiques suffisamment élevés pour être efficaces contre la bactérie), « tester la sensibilité de la bactérie n’est pas recommandé », précise le Pr Mégraud.
Faut-il avoir peur des IPP ?
Depuis une dizaine d’années, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) suscitent des interrogations quant à leurs risques potentiels sur l’os, le système cardiovasculaire ou encore le rein, avec la multiplication d’études à charge. Plusieurs méta-analyses récentes sur les effets à long terme des IPP tendent toutefois à rassurer. Elles sont toutes concordantes, tant sur la sécurité d’emploi globale que sur la faiblesse des études disponibles, généralement observationnelles et souvent biaisées ou mal conçues.
Dans le détail, concernant le risque d’ostéopénie et fracturaire, mais aussi celui de pneumopathies communautaires, « la force de l’association est faible et les études non cohérentes », a expliqué le Pr Edoardo Savarino (université de Padoue). Pour les éventuels surrisques d’accident ischémique cardiaque, de néphrites interstitielles aiguës, d’insuffisance rénale chronique et de démence sous IPP au long cours, « là encore, les données ne sont pas convaincantes, la force de l’association étant faible avec soit des facteurs confondants, soit des résultats qui se contredisent ».
Quant aux carences potentielles en fer, vitamine B12, calcium, provoquées par un trouble de l’absorption, « le risque est faible pour la B12, inconnu pour les autres, voire contradictoire selon les études ».
Au final, deux surrisques peuvent raisonnablement être attribués à la prise prolongée d’IPP, estime le Pr Savarino : celui d’hypomagnésémie (patients sous diurétiques, insuffisants rénaux, traités par inhibiteurs de calcineurine) et de colite infectieuse, par l’intermédiaire d’une modification de la composition du microbiote intestinal, particulièrement chez les personnes fragiles hospitalisées.
Si la plupart des effets secondaires des IPP à long terme ne sont pas avérés, leur totale innocuité ne l’est pas non plus. D’où la règle de prescrire la dose minimale efficace, le moins longtemps possible et de privilégier les traitements à la demande. Quel que soit le pays, le mésusage des IPP reste monnaie courante. En France, selon une étude de l’ANSM publiée en 2018, près de 16 millions de patients se sont vu prescrire au moins une fois des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en 2015, « soit environ un quart de la population française ». Selon la HAS, 60 % des prescriptions sont hors AMM avec quatre sources identifiées que sont les co-prescriptions systématiques IPP/AINS, la dyspepsie fonctionnelle, les symptômes ORL et la prévention des hémorragies digestives hautes en USI. Ce chiffre a été confirmé en 2017 au niveau international par une méta-analyse portant sur 23 études.
Focus sur la diverticulite colique
La présentation des dernières recommandations américano-européennes sur la diverticulose (the SAGES and EAES Diverticulitis Consensus Conference 2019) a été l’occasion de revenir sur plusieurs idées reçues qui persistent sur cette pathologie mal connue.
Comme l’a rappelé le Dr Patricia Sylla (Massachusetts General Hospital, New York), la diverticulose non compliquée est asymptomatique, les diverticules devenant symptomatiques en cas d’hémorragie ou d’inflammation/infection (diverticulite sigmoïdienne).
Le diagnostic de diverticulite doit être évoqué devant des douleurs de la fosse iliaque gauche avec une CRP >50 mg/l. Un scanner abdomino-pelvien le confirme, ou à défaut une échographie, moins sensible.
Les formes non compliquées relèvent du traitement médical (antalgique, régime sans résidu) mais ne justifient pas d’une antibiothérapie, contrairement aux diverticulites compliquées (abcès péri-coliques ou péritonite). En cas d’abcès inférieur à 4 cm, le traitement antibiotique suffit. Au-delà de cette taille, un drainage percutané est indiqué.
En phase aiguë, la chirurgie (sigmoïdectomie) est indiquée pour les patients qui ont épuisé les options non opératoires sans amélioration des symptômes. Dans les formes graves avec péritonite d’emblée ou en cas d’échec du drainage de l’abcès, l’intervention est réalisée en urgence.
Dans la prévention des récidives, aucun régime ni médicament (antibiotiques) n’a apporté la preuve de son intérêt. La chirurgie à froid (au moins six semaines après l’épisode de diverticulite) se discute essentiellement chez les patients ayant fait une diverticulite compliquée.
MICI, l’heure du choix
Depuis une vingtaine d’années, les options thérapeutiques dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) se sont multipliées avec les anti-TNF alpha (infliximab, adalimumab), le vedolizumab (anticorps monoclonal dirigé contre l'intégrine a4b7), l’ustékinumab (anti-IL12/IL23) et, dernièrement, le premier inhibiteur de Janus kinases, le tofacitinib. En conséquence, « nous sommes aujourd’hui confrontés au choix, reconnaît le Pr David Laharie, hépato-gastro-entérologue (CHU de Bordeaux).
Les résultats de l’étude Varsity, premier essai en face-à-face avec des médicaments biologiques, fournissent des éléments d’orientation en comparant le vedolizumab à l’adalimumab dans la rectocolite hémorragique. Le vedolizumab fait mieux sur la réponse clinique précoce et la rémission durable, avec notamment un gain global de 9 % en termes de rémission à un an. Une seconde étude dans la rectocolite hémorragique a comparé le vedolizumab vs infliximab après échec d’un anti-TNF. L’avantage va à l’anti-intégrine vis-à-vis de la rémission clinique.
Qu’en déduire en pratique ? La réponse n’est pas si simple, car plusieurs aspects sont à considérer, au-delà du seul gain sur la rémission. Par exemple, « alors que le vedolizumab s’administre en perfusion intraveineuse, l’adalimumab s’injecte en sous-cutané, au domicile, illustre le Pr Laharie, ce qui peut être significatif pour un patient donné, avec ses contraintes propres, ses préférences de vie, etc. ».
Pour corser l’affaire, les perspectives d’associations de molécules se dessinent, chez les patients en échec. Cela ferait sens notamment dans la maladie de Crohn où les spécialistes souhaitent bloquer complètement l’inflammation, afin d’éviter les sténoses et fistules intestinales, avec l’idée – encore futuriste – d’ensuite lever le pied sur les traitements.
Sur ce point, une autre discussion en cours, relayée à Barcelone, concerne l’arrêt éventuel d’un médicament biologique (anticorps monoclonal notamment) chez un malade en rémission clinique et endoscopique, en identifiant ceux susceptibles d’être immunisés et chez qui l’arrêt (ou l’espacement des injections) est déconseillé. Une prédisposition génétique sur le système HLA a été repérée, qui confère aux individus une propension à développer des anticorps anti-médicament.