Un temps de conservation multiplié par 3

Le « supercooling » se profile dans la greffe de foie

Publié le 30/06/2014
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Crédit photo : Reeves, Uygun, Yarmush - Harvard University

Bien plus facile à dire qu’à faire. Si le principe d’abaisser la température d’un greffon en dessous de zéro degré Celsius (°C) pour mieux le conserver est simple à comprendre, il est très compliqué à réaliser. Surtout pour le foie aux fragiles sinusoïdes très sensibles au choc hypothermique.

C’est le défi relevé par une équipe du Massachusetts General Hospital qui est parvenue à préserver des greffons hépatiques jusqu’à 4 jours et à les transplanter chez la souris. La technique de « supercooling », ou « superrefroidissement » fait appel à un système de refroidissement à - 6 °C, qui doit son succès à une machine de perfusion extracorporelle et l’utilisation de deux cryoprotecteurs, le 3-OMG, un dérivé du glucose, et le PEG, ou polyéthylène glycol, sans lesquels rien n’est possible.

Et le bilan à 3 mois post-greffe est très encourageant. La survie des rongeurs est de 100 % en cas de greffon conservé pendant 72 heures, de 58 % en cas de préservation pendant 96 heures, sans aucun signe de défaillance d’organe. « Et même parmi les greffons conservés 4 jours, si nous n’avions utilisé que ceux bien oxygénés, bien perfusés, et ayant une bonne production de bile, nous aurions obtenu une survie de 100 % », a estimé Bote Bruinsma l’un des co-auteurs.

Une machine de reperfusion et deux cryoprotecteurs

L’équipe de Martin Yarmusch et Korkut Uygun a réussi à mulitplier par 3 la durée de préservation d’un greffon hépatique, qui est limitée à 24 heures chez le rat. L’obtention de résultats comparables chez l’homme ouvrirait de nouvelles perspectives pour la greffe d’organe. En particulier pour le foie, puisqu’actuellement le greffon se conserve à peine plus de 12 heures dans une solution de l’université de Wisconsin (UW) refroidie dans de la glace dans l’espèce humaine. Comme l’a souligné le Dr Rosemarie Hunziker, du National Institute of Biomedical Imaging and Bioengineering, l’un des partenaires de la recherche : « Plus nous sommes capables d’allonger la durée de conservation des organes prélevés, plus élevées sont les chances pour le patient d’avoir un greffon le plus compatible possible, avec une préparation optimale à la fois du côté des médecins et des patients ».

Une solution à la pénurie d’organe

La cryoconservation à basse température, qui a fait ses preuves à l’échelon cellulaire et tissulaire, pose plus de problèmes pour des organes entiers. Dans le cas du foie, le sinusoïde est l’unité fonctionnelle qui interagit directement avec le milieu extérieur, expliquant sa sensibilité au choc thermique. Pour contrecarrer les effets liés au froid, les chercheurs ont eu recours à deux cryoprotecteurs et à une machine de perfusion extracorporelle, déjà employée dans d’autres greffes d’organes, comme le rein ou le poumon. En apportant oxygène et nutriments, cette machine est utilisée à la fois pour l’étape de superrefroidissement et celle de réchauffement.

« La prochaine étape est de conduire des études similaires chez des animaux plus gros », commente le Dr Hunziker. La taille, la résistance et les capacités de conservation sont différentes d’une espèce animale à l’autre, posant de nouvelles problématiques. Le modèle du rat ne permet pas en particulier d’évaluer le risque de cholangiopathie ischémique. Autre effet lié à la taille, la plus grande quantité de liquide nécessaire augmente le risque de congélation, ce qui pourrait amener à corriger le protocole. Pour autant, les chercheurs redoublent d’ardeur à la tâche et espèrent même, grâce à la méthode, récupérer des transplants marginaux jugés impropres à la greffe jusque-là.

Nature Medicine, publié en ligne le 29 juin 2014

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9339