PAR LE Pr PHILIPPE ROUGIER*
LES CANCERS digestifs représentent le quart de tous les nouveaux cancers en France et leur prise en charge est maintenant clairement multidisciplinaire. Elle nécessite une étroite collaboration entre les chirurgiens, qui ont la possibilité de guérir certains cancers par exérèse complète, les hépato-gastro-entérologues (HGE) qui connaissent bien toutes les pathologies cancéreuses digestives (dont il existe au moins dix types différents, des cancers de l’œsophage à ceux de l’anus) et qui sont souvent capables et habilités à prendre en charge complètement les patients, les oncologues médicaux, qui administrent les traitements médicaux avec un regard d’interniste oncologue, les radiothérapeutes et tous ceux qui concourent au diagnostic : anatomo-pathologistes, radiologues (diagnosticiens et interventionnistes), les oncogériatres, les spécialistes des soins palliatifs et de la douleur, les psychologues etc.
L’implication forte des HGE est en partie expliquée par l’augmentation rapide de la prévalence des patients atteints de cancers digestifs dont la survie a significativement augmenté, et en partie par l’intérêt, la formation et la compétence qu’ils ont su acquérir.
De fait, les HGE prennent en charge la majorité des chimiothérapies des cancers digestifs en coordination étroite avec les autres spécialistes. En 2007, sur les 3 387 HGE recensés par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), plus de 600 possédaient un diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de cancérologie ou une compétence ordinale (1). La cancérologie digestive était l’activité quasi exclusive de 20 % des HGE et constituait un secteur d’activité en expansion (2). Une enquête, menée en 2008 par la Fédération des spécialités des maladies de l’appareil digestif (FSMAD), a évalué la place de la cancérologie digestive dans l’exercice des HGE. Au total, 1 663 HGE ont répondu au questionnaire qui leur a été envoyé. Cet échantillon était représentatif des principaux modes d’exercice :CHU = 15 % ; CHG = 27 %; CLCC = 1 % ; libéral = 48 % et non précisé = 9 %). Les résultats montrent que près de la moitié (46 %) des répondeurs consacraient plus de 70% de leur temps à la cancérologie digestive, une faible représentation des générations les plus jeunes et une progression de la féminisation de la profession.
Des hépato-gastro-entérologues « hors la loi ».
La pratique de la cancérologie a été organisée par le plan cancer 2003-2007, le ministère de la santé et l’INCa. L’article D 6124-34 du décret 2007-389 précise la composition de l’équipe médicale de l’établissement titulaire de l’autorisation. L’habilitation à prescrire des chimiothérapies est ainsi reconnue pour 754 HGE qui ont une compétence ordinale attribuée avant 1996 par des commissions régionales ou nationales à des médecins entrés en 3e cycle des études médicales avant 1984 (soit 665 HGE), et, pour les titulaires d’un DESC de cancérologie, créé en 1988 mais qui n’a été effectif que beaucoup plus tard (soit 186 HGE).
Dans les faits, si les chimiothérapies des cancers digestifs sont effectivement prises en charge par 709 HGE (43 %), chiffre à comparer aux 600 oncologues médicaux qui exercent en France, tous ne sont pas habilités et il y a 257 HGE qui administrent des chimiothérapies, souvent depuis de nombreuses années, sans compétence ordinale ni DESC. Parmi eux, 50 % appartiennent à la génération des 40-50 ans, diplômés entre 1983 (date de la réforme des études médicales) et 1993 (date de début de fonctionnement des DESC de cancérologie). Ils exercent souvent dans des villes ou des hôpitaux à faible densité d’oncologues médicaux. Ces HGE « hors la loi » sont souvent très compétents et indispensables à la prise en charge des cancers digestifs. Une reconnaissance des acquis par l’expérience résoudrait le problème de 120 HGE prescripteurs.
Ce problème démographique est majoré dans les régions à faible densité d’oncologues comme dans le Nord, où il n’y a que 27 oncologues médicaux mais 75 HGE, parmi lesquels 26 administrent des chimiothérapies, dont 14 sans habilitation.
Pour répondre à ces besoins l’article R 6123-94 du décret n° 2007-388 indique que des établissements dits « associés » peuvent, sans être soumis aux mêmes conditions d’autorisation appliquer des traitements de chimiothérapie initialement prescrits par un titulaire de l’autorisation ou en assurer le suivi, à la condition toutefois qu’ils soient membres d’un réseau de cancérologie et qu’ils aient passé convention avec un établissement autorisé.
Ce qui est envisageable.
Plusieurs actions pour améliorer la pratique de la cancérologie digestive méritent d’être soulignées :
– des formations de haut niveau ont été acquises par beaucoup des HGE exerçant la cancérologie digestive, en particulier des DIU ou DU d’oncologie générale ou spécialisée en cancérologie digestive ;
– la création réseaux locaux de cancérologie qui coordonnent le travail entre les oncologues et les HGE ;
– des contacts ont été pris avec l’INCa et le ministère, et des réunions ont été menées sous l’égide de l’INCa avec les représentants d’autres spécialités concernées et les représentants des oncologues médicaux et des radiothérapeutes pour envisager les conditions d’une valorisation des acquis par l’expérience (VAE)... sans publication de texte officiel pour l’instant.
Les dispositions actuelles ne permettent cependant pas d’assurer une prise en charge de qualité à tous les patients souffrant de cancers digestifs. En effet, si les textes précisant que « des établissements ou des personnes sans être soumis aux mêmes conditions » s’appliquent parfaitement à la situation dans laquelle se trouvent les HGE et les spécialistes d’organes qui n’ont ni DESC de cancérologie ni compétence ordinale et qui prescrivent les cures de chimiothérapie décidées en RCP, ils imposent que la primo-prescrition ait été faite par un médecin autorisé (oncologue, ou spécialiste avec DESC ou compétence). Certes, ils permettent ainsi à beaucoup d’HGE de continuer à prescrire des chimiothérapies à condition qu’ils remplissent les conditions mentionnées plus haut et que leur établissement respecte les conditions d’administration des chimiothérapies, mais ils ne garantissent pas la qualité des prescriptions des cycles de chimiothérapie et ne reconnaissent pas la réelle compétence des HGE qui prescrivent ces chimiothérapies hors « habilitation ».
Les HGE souhaitent que les textes puissent être amendés ou complètés pour leur permettre de continuer à exercer et à prescrire les chimiothérapies dès lors qu’ils ont une expérience importante (VAE) et une formation parallèle (type DU ou DIU) ou des diplômes qualifiants en oncologie.
La cancérologie digestive fait désormais partie intégrante du « métier » d’HGE et le rôle des HGE dans la prise en charge des cancers digestifs a été souligné dans le « rapport Grünfeld » (3) mais, curieusement celui-ci n’a été ni mentionné ni encouragé dans le plan cancer 2009-2013 (4) et les spécialistes d’organes qui se sont formés et consacrent leur temps à prise en charge des patients atteints de cancers digestifs sont absents des sept mesures et 27 actions préconisées pour améliorer la qualité des soins. En 2010, les HGE spécialisés en cancérologie devraient participer à la mise en place des réseaux de soins en cancérologie sous l’égide des Agences régionales de santé (ARS) et être mieux comptabilisés et intégrés dans les organisations régionales de cancérologie en harmonie et coordination avec les autres spécialistes. La qualité des soins dépend du maintien d’une pluridisciplinarité réelle, requise par la diversité et la complexité des cancers digestifs et la multiplicité des situations requerrant des compétences très spécialisées.
*Université Versailles Saint-Quentin (UVSQ), chef de service oncologie digestive, hopital Européen Georges Pompidou, Paris.
(1) Rapport annuel de l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDS). Les métiers de la cancérologie. Gastroentérologie 2008 : Tome 4 - 2006-2007 ; pp 80-82
(2) Plan Cancer 2003-2007 (voir site “sante.gouv”)
(3)Rapport Grünfeld : Recommandations pour le plan cancer 2009-2013 ; pour un nouvel élan ; 14 février 2009.
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