Le traitement anti-TNF peut-il être interrompu chez les patients atteints d’une maladie de Crohn (MC) récemment diagnostiquée et en rémission profonde prolongée ? Telle est la question de pratique clinique à laquelle l’étude française Cure (1) a voulu répondre. « La conclusion est clairement non, tranche la Dr Bénédicte Caron (CHRU Nancy), qui en présentait les résultats au congrès européen de gastroentérologie (UEGW 2025, 4-7 octobre 2025, Berlin). Il ne faut pas baisser la garde. »
L’étude Cure a été coordonnée par le Getaid (pour Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif), un groupe de recherche académique spécialisé dans la conduite d’essais de stratégie thérapeutique dans le domaine des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici).
Ce travail a été conçu il y a une dizaine d’années autour d’une question centrale, contextualise le président du Getaid, le Pr David Laharie, gastroentérologue au CHU de Bordeaux : « L’hypothèse était la suivante : après la phase inaugurale, caractérisée par une poussée nécessitant un traitement intensif, la maladie pourrait s’atténuer, permettant d’alléger voire de suspendre le traitement, sous réserve d’un contrôle complet. L’idée était d’intervenir précocement, avant que la maladie n’entraîne des lésions intestinales irréversibles, afin de tenter une neutralisation complète du processus inflammatoire. »
Pour explorer cette piste, une cohorte prospective et multicentrique a été constituée de patients avec un diagnostic récent de la maladie, correspondant à une forme dite early Crohn’s disease. Tous devaient présenter à l’inclusion une MC luminale récente (< 24 mois) avec un score d’activité (CDAI) supérieur à 150 et au moins un ulcère visible sur un segment atteint (confirmé par IRM entérique, coloscopie ou vidéocapsule) et être naïfs de tout traitement biologique.
Entre mars 2015 et mars 2019, 171 patients (âge médian à l’inclusion : 27 ans ; durée médiane de progression de 4 mois ; profil évolutif majoritairement inflammatoire : 71,3 % ; manifestations extra-intestinales : 24,6 %) ont été traités par anti-TNF, en l’occurrence par adalimumab*. L’obtention d’une rémission clinico-biologique-endoscopique a été évaluée un an après l’arrêt d’un traitement de 12 mois (+/- 3 mois).
Moins d’un quart des patients en rémission après un an sous adalimumab
Plus de 22 % des patients ont atteint une rémission profonde après 12 mois de traitement par adalimumab. Cette rémission devait avoir été obtenue sans intervention thérapeutique (absence de chirurgie, de poussée clinique, d’introduction d’un traitement lié à la MC ou de nécessité d’optimiser l’adalimumab). À noter, les patients concernés étaient déjà en rémission clinique (CDAI < 150) et biologique (CRP < 5 mg/L et calprotectine fécale < 250 µg/g) au sixième mois.
« L’objectif de rémission profonde n’a été atteint que chez 22 % des patients, commente le Pr David Laharie. Ce taux, relativement faible, souligne que les cibles thérapeutiques actuelles, bien que pertinentes, demeurent difficiles à atteindre avec les moyens disponibles, y compris les anti-TNF, pourtant très efficaces. Un objectif ambitieux, mais souvent inaccessible. Prolonger la durée sous adalimumab n’aurait que peu influé sur la proportion de patients en rémission profonde, qui était aux alentours de 30 % dans d’autres études dont Calm (2) ».
Les anti-TNF à poursuivre sur le long terme
La majorité des malades en rémission à 12 mois ont rechuté à l’arrêt de l’adalimumab : seuls 4,1 % (7/171) ont atteint le critère de jugement principal de Cure qui était la rémission profonde 12 mois après arrêt de l’adalimumab. « Le maintien de la rémission profonde après arrêt du traitement reste exceptionnel », souligne l’expert. Aucun facteur prédictif ne se révèle significatif.
Autrement dit, deux patients sur dix ont atteint une rémission profonde après un an de traitement par adalimumab et, parmi eux, environ un quart l’ont conservée à deux ans, soit 4,1 % de l’ensemble de la cohorte. Pour la Dr Bénédicte Caron, il n’y a plus de débat : ces résultats, obtenus à partir de critères robustes, confirment que « la thérapie par anti-TNF doit être poursuivie sur le long terme, même chez les patients présentant une forme débutante de la maladie. » Quant au choix de l’anti-TNF – l’adalimumab** plutôt que l’infliximab –, les experts estiment qu’il n’est pas de nature à changer les résultats, l’efficacité des deux anticorps étant globalement voisine dans la MC.
Un contrôle prolongé sur trois, quatre voire cinq ans pourrait permettre d’envisager plus sereinement une interruption ultérieure
Pr David Laharie, gastroentérologue au CHU de Bordeaux
Point important, le délai médian entre l’arrêt de l’adalimumab en situation de rémission profonde et la première rechute clinique*** était de 14 mois (IC 95 % : 11,3 à 44,3 mois). « Ce résultat interroge sur la durée optimale du traitement avant toute interruption, met en perspective le Pr Laharie. Plusieurs études, à l’UEGW 2025 et par le passé, ont montré que le risque de rechute diminue nettement chez les patients dont la rémission sous médicament est prolongée dans le temps. Ces données suggèrent que la cible d’un an de rémission est probablement trop courte. Un contrôle prolongé sur trois, quatre voire cinq ans pourrait permettre d’envisager plus sereinement une interruption ultérieure, sous la forme d’une pause thérapeutique plutôt qu’un arrêt complet, avec la possibilité de reprendre le traitement en cas de rechute. »
Finalement, si l’étude Cure déçoit, elle apporte aussi des certitudes : « Nous avons été déçus, reconnaît le Pr Laharie, car il s’agissait d’une stratégie thérapeutique en laquelle nous croyions. Ce résultat traduit la difficulté à atteindre une rémission complète et durable, même avec une stratégie thérapeutique intensive initiée précocement. Nos confrères rhumatologues ont obtenu des résultats similaires dans la polyarthrite rhumatoïde : l’interruption du traitement après obtention d’une rémission conduit le plus souvent à une rechute. Le message actuel est donc clair : même dans les situations optimales de contrôle de la maladie dans le cadre d’une early Crohn’s disease, le traitement doit être poursuivi de manière très prolongée. »
* Une combothérapie immunosuppresseur (azathioprine ou méthotrexate) - anti-TNF pouvait être proposée, afin de limiter la formation d’anticorps anti-adalimumab ; une association assez fréquente en pratique en début de traitement, sans être pour autant systématique.
** En France, l’adalimumab est le traitement de première ligne le plus fréquemment utilisé dans la maladie de Crohn, en raison de sa voie d’administration sous-cutanée (perfusion au départ pour l’infliximab).
*** Une poussée était définie par un score CDAI > 220 ou par une augmentation de plus de 70 points entre deux visites consécutives.
(1) B. Caron et al. UEGW 2025, Berlin
(2) Colombel JF et al., Lancet, 2017 ;390(10114):2779-2789. Erratum in : Lancet, 2018 ;390(10114):2768
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