« Le monde est aujourd’hui entré dans la troisième révolution de la santé, celle de la médecine digitale », a déclaré la ministre de la Santé en ouvrant la première journée nationale de l’innovation en santé, ce 23 janvier.
Les pouvoirs publics affichent leur intérêt pour cette nouvelle médecine. Le Premier ministre a confié au printemps 2015 au Pr Yves Levy, président de l’INSERM et de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) une mission sur le séquençage du génome entier en routine, qui devrait accoucher d’un plan décennal mi-février.
La ministre de la Santé a indiqué que le plan médecine du futur verra son comité de pilotage, coprésidé par le Pr André Syrota et Olivier Charmeil, prochainement installé. Elle a nommé le Pr Jean-Yves Fagon délégué ministériel à l’innovation en santé. Marisol Touraine a enfin confié au comité consultatif national d’éthique (CCNE) le soin de mener une « réflexion complète et participative » sur le séquençage génomique complet.
Diagnostic, traitement et suivi
La médecine de précision, déjà utilisée en oncologie, et de plus en plus dans les maladies chroniques, se révèle très prometteuse tant au niveau du diagnostic que du traitement et du suivi.
En matière de diagnostic, « l’enjeu est de développer des technologies mesurant, de façon reproductible, des biomarqueurs, pour caractériser le patient, à la fois par rapport à sa pathologie et à son profil biologique, et ainsi faire les choix thérapeutiques les plus adaptés », explique Frank Lethimonnier, directeur de l’Institut technologies pour la santé Aviesan. Un espoir pour quelque 50 000 nouveaux cancers découverts chaque année (sur 350 000), pour lesquels les thérapies patinent.
La médecine de précision permet ensuite d’adapter la délivrance des thérapies en fonction des « données réelles » du patient, poursuit Franck Lethimonnier et de la contrôler dans le temps et l’espace. La recherche sur les biomatériaux devrait donner lieu à des dispositifs médicaux plus élaborés, pouvant communiquer avec les smartphones. Le suivi est amélioré avec des mesures en temps réel de l’efficacité des thérapeutiques.
La médecine de précision renouvelle aussi la prévention. En pneumologie, les médecins espèrent ainsi prévenir l’asthme, chez certains jeunes patients pris en charge pour une rhinite, une allergie, un eczéma. « En analysant les gènes, le mode de vie, le microbiote, on pourrait identifier des signatures chez des individus qui auraient été choisis parce qu’ils présentent des facteurs de risque (comme des parents asthmatiques) et ainsi adapter les traitements pour prévenir la maladie », explique le Pr Antoine Magnan, pneumologue, chercheur à l’Institut du thorax, et président de la CME du CHU de Nantes. Outre la prévention, l’analyse des biomarqueurs permettrait de cibler les catégories de patients souffrant d’asthme sévère chez qui les thérapies innovantes permettraient de se passer de corticoïdes. Très coûteuses, elles deviendraient ainsi soutenables, ne serait-ce qu’en évitant les hospitalisations tardives.
Médecine renversée
« Les médecins doivent s’emparer de cette médecine des 4 P, avec les philosophes, les industriels, pour qu’elle ne se développe pas de façon anarchique » exhorte le Pr Magnan. Il parle d’une médecine renversée. « C’est le citoyen en bonne santé qui entre dans le système de santé, et non plus le malade », explique-t-il. L’hôpital devient un lieu de passage. À côté du couple médecin-patient, apparaît le couple « prévenant prévenu », et le trio « expert, médecin de proximité et patient ».
La médecine du futur n’enfantera pas un patient seul au milieu d’une forêt d’ordinateurs. Néanmoins, elle exige le développement de nouvelles compétences et métiers, dans les facultés de médecine, de sciences humaines, et dans les écoles d’ingénieurs. Face aux données, le rôle d’interprétation et d’information est plus que jamais nécessaire. « Il faut développer des stratégies de conseils et des outils pour aider le médecin à délivrer un message adapté », estime le Pr Magnan. « Il n’y a pas de disqualification de la relation patient malade. L’interprétation des résultats (qui pourra être aussi le rôle des paramédicaux) doit se faire dans un entretien face à face », continue-t-il. Le CCNE ne dit pas autre chose dans l’avis 124 : « Le risque de dépersonnalisation de la relation médecin/patient devrait être compensé par un enseignement médical faisant une place à une conception holistique de l’individu, apprenant à traiter l’homme et pas seulement sa pathologie, encore moins son génome ».
Incertitude et autonomie
D’autant que toute interprétation est cernée d’incertitude. Faire parler l’ADN suppose « d’intégrer les données de la recherche et des hypothèses sur la façon dont l’environnement agit », rappelle Catherine Bourgain, chercheuse à l’INSERM, en plaidant pour articuler médecine personnalisée et environnementale.
La première ne doit pas aller sans une profonde réflexion autour de l’autonomie du sujet, afin que le gène ne devienne pas normatif et la prédiction, contrainte. « Il faut se garder de penser l’autonomie sans les conditions d’exercice de l’autonomie (accès à l’information, déterminants médico-sociaux, etc) sous peine d’aggraver les inégalités », dit Catherine Bourgain. Un appel à ce que la société et le politique prennent leurs responsabilités et se lancent dans l’innovation… sociale.
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