Des avancées à petits pas

Bioéthique : des ouvertures timides sans moyen de les pratiquer

Publié le 30/06/2020
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Elle aura accouché dans la douleur. La dernière loi de bioéthique concède, sous pression de l’opinion, de timides avancées dans le champ de la fertilité, mais laisse l’organisation des soins orpheline de moyens. Ainsi les deux mesures phares, l’autorisation de l’insémination artificielle pour toutes les femmes et de l’autoconservation ovocytaire pour âge, risquent de rester lettre morte faute de ressources consacrées.
Des mesures devront être prises pour réduire les délais d’attente, mais pour l’instant rien n’est prévu

Des mesures devront être prises pour réduire les délais d’attente, mais pour l’instant rien n’est prévu
Crédit photo : phanie

Des mesures devront être prises pour réduire les délais d’attente, mais pour l’instant rien n’est prévu

Des mesures devront être prises pour réduire les délais d’attente, mais pour l’instant rien n’est prévu
Crédit photo : phanie

Dans le contexte du Covid-19, la promulgation de la loi de bioéthique annoncée pour l’été 2020 semble bien incertaine ; néanmoins elle reste d’actualité. Le projet de loi représente une avancée mais, comme souvent, le diable se cache dans les détails et les professionnels restent inquiets.

PMA : la question du sperme reste entière

Les couples de femmes et les femmes célibataires (dites « femmes non mariées » dans la loi) pourront en théorie accéder à l’assistance médicale à la procréation (AMP), terme utilisé par les médecins et repris dans la loi, bien qu’elle soit souvent appelée par le public PMA pour procréation médicalement assistée.

En pratique, il leur faudra avoir recours à la seule banque de sperme autorisée en France : les Cecos. Nous restons inquiets de la possibilité de ceux-ci de fournir le sperme. Le délai d’attente actuel pour un couple hétérosexuel est de plus d’un an. Cela va-t-il encore s’allonger avec 2 000 demandes supplémentaires ? D’après les données publiées en 2019 de l’agence de biomédecine (ABM), il y a eu en 2017 pour les couples hétérosexuels, 2 972 inséminations intra-utérines et 1 603 FIV-ICSI avec sperme de donneur, soit en tout 4 575 tentatives d’AMP avec don de paillettes.

Si rien n’est fait pour augmenter le sperme disponible en France, les femmes devront toujours aller à l’étranger pour éviter des délais excessifs et l’autorisation d’accès à l’AMP pour toutes restera théorique. D’autant que la levée de l’anonymat des donneurs, inéluctable à l’ère des tests génétiques, risque, au moins dans un premier temps, de réduire encore le nombre de donneurs.

Pas d’ouverture en cas de décès du conjoint

L’interdiction de la reprise des embryons en cas de décès du conjoint au cours de procédure d’AMP (fait exceptionnel), est maintenue. Selon nous, il faut bien distinguer les gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) et les embryons congelés, qui sont des humains potentiels. Aujourd’hui, s’il existe des embryons déjà créés, la veuve ne peut les utiliser une fois son conjoint décédé. La loi lui offre comme seuls choix de les donner à un autre couple, de les détruire ou de les donner à la science. La nouvelle loi autorisera seulement la veuve à bénéficier d’une AMP avec le sperme d’un donneur anonyme. Cela nous paraît inhumain.

Autoconservation ovocytaire, en théorie seulement

L’autoconservation ovocytaire n’est que très partiellement autorisée dans le projet de loi et le Sénat a souhaité l’interdire. Selon le projet actuel, « seuls les établissements publics de santé ou les établissements de santé privés à but non lucratif habilités à assurer le service public hospitalier peuvent, lorsqu’ils y ont été autorisés , procéder au prélèvement, au recueil et à la conservation des gamètes ». Or, si seuls les centres publics autorisés peuvent pratiquer l’autoconservation, cela revient à l’autoriser théoriquement mais à l’empêcher en pratique. Le nombre actuel de centres autorisés pour la préservation de la fertilité est en effet très limité : une quarantaine (sur 103 centres clinico-biologiques), dont une dizaine de privés d’après le dernier rapport de l’ABM. Ces centres privilégieront à juste titre les femmes atteintes de cancer dont la préservation est urgente et ne pourront prendre en charge que très peu de femmes qui souhaitent une conservation sans raison médicale.

Nous considérons au contraire que l’autoconservation ovocytaire doit être possible dans tous les centres, publics ou privés, et non subordonnée à l’autorisation actuelle de préservation dans le cadre du cancer. Elle devrait plutôt être intégrée à une autorisation unique intégrant tous les actes d’AMP.

Pas d’examen de la GPA médicale

Nous regrettons que la gestation pour autrui (GPA) d’indication médicale ne soit pas même évoquée dans la loi. Selon un sondage du journal « La Croix » en 2017, 64 % des Français étaient favorables à la GPA en cas d’absence congénitale de l’utérus ou de perte chirurgicale de celui-ci. À ce jour, les Françaises confrontées à une infertilité utérine définitive n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’étranger.

Les indications médicales de la GPA sont peu nombreuses et pourraient être examinées au cas par un comité national de la parentalité avec l’aide d’experts des différentes disciplines, comme cela existe pour la protection des personnes ou le diagnostic prénatal.

Nul ne trouve à redire au don d’ovocyte : on parle alors d’altruisme, de générosité, de don. Pourquoi une sœur, une amie ne pourrait-elle pas porter l’enfant de sa sœur, née sans utérus, par altruisme ?

Exergue : Si seuls les centres publics autorisés peuvent pratiquer l’autoconservation ovocytaire, cela revient concrètement à l’empêcher

Professeure associée du collège de médecine des hôpitaux de Paris, responsable du pôle Femme Enfant, centre hospitalier des 4 Villes, Saint -Cloud

Dr Joelle Belaisch-Allart
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Source : lequotidiendumedecin.fr