Les gynécologues n’ont pas eu bonne presse ces derniers mois, et des milliers de patientes ont témoigné, sur Twitter (#PayeTonUterus), Facebook (@tongyneco), Tumblr (payetongyneco), de leur ressentiment à l’égard de la profession. Des blogs (Marie accouche là, Le Monde), ou des associations (enquête Ciane sur l’expression abdominale) relayent également ce mécontentement.
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN. Que répondez-vous à ces nombreuses patientes qui témoignent de violences commises par leur gynécologue : gestes inadaptés, accouchements traités de façon paternaliste, épisiotomies non justifiées, etc. ?
ISRAËL NISAND. Je suis à titre personnel totalement opposé à la rémanence du paternalisme dans la relation médicale. La société demande désormais que la relation médecin patient se fasse sur le modèle d’un contrat entre des égaux, le médecin et le patient, et tous les médecins se doivent de respecter cette exigence naturelle. De surcroît, aucun geste médical ne peut se faire sans le consentement éclairé du patient, même si cela peut être compliqué parfois. Depuis plusieurs mois, nous assistons à un véritable « gynéco-bashing ». Les gynécologues sont taxés d’être des brutes, des méchants et on oublie qu’ils se lèvent à 3 heures du matin pour nous accoucher leurs patientes. On leur reproche de ne rien expliquer et d’agir sans prévenir.
En tant que société savante, nous sommes très clairs : nous produisons des recommandations de bonnes pratiques médicales et sommes favorables à une évaluation de la qualité des soins gynécologiques et obstétricaux. Au CNGOF, nous allons même plus loin en réclamant une re-certification des médecins tous les 5 ans. Nombre de professions à risque comme les pilotes d’avions y sont soumis, pourquoi pas les médecins !
De nouvelles techniques apparaissent chaque année, et la formation des professionnels est trop souvent confiée aux laboratoires qui les commercialisent, le cas échéant. Nous nous apprêtons au Collège à labelliser certains gestes spécifiques nouveaux, c’est indispensable. Sur Essure (lire page XX), on s’est rendu compte que, dans 30 % des cas qui ont posé problème, le dispositif avait été mal installé.
Et concernant l’endométriose qui est une pathologie difficile à soigner, nous faisons une liste de centres experts avec des exigences élevées pour que les patientes puissent y trouver les meilleurs soins. Pour l’instant tout chirurgien peut se déclarer habilité à le faire même s’il a peu souvent l’occasion d’y être confronté. À l’avenir, cette liste de centres labellisés par le CNGOF sera publique et aisément consultable.
Loin de moi l’idée de dire que toutes les relations avec les médecins se font dans de bonnes conditions. Et d’ailleurs dans certaines structures le temps manque de plus en plus à des médecins débordés soumis par leur administration à des cadences infernales car il faut du rendement… L’attente d’une femme par rapport à un médecin peut ne pas trouver la satisfaction qu’elle en attendait. Notre pays a gardé le libre choix du médecin par le patient et c’est bien ainsi.
Comment imaginez-vous cette évaluation des médecins concrètement ?
En France, les médecins n’en ont pas l’habitude, mais il faudra qu’ils s’y fassent. Aujourd’hui, à l’hôpital, nous avons les réunions de morbimortalité (RMM) quand il y a eu, ou failli y avoir, un accident, c’est obligatoire. Quant à la chirurgie, on se limite à regarder le nombre de cas opérés par centre, c’est le niveau zéro de l’évaluation !
Exergue : Qui peut se permettre de juger l’activité d’un collègue. Le code de déontologie nous l’interdit. C’est pourquoi les autorités publiques devraient disposer de paramètres qualitatifs qui leur permettent de réagir si la qualité des soins ne correspond pas aux standards de la profession.
Chez nos voisins allemands, hollandais, anglais, il y a des commissions d’experts anonymes qui peuvent demander à un médecin de se justifier sur tel ou tel dossier, et peuvent lui interdire d’exercer si besoin. C’est arrivé récemment en Angleterre à un professeur pour excès de césariennes (lire encadré). Les sociétés savantes ont toute légitimité, et nous sommes prêts à le faire, pour désigner des médecins experts pour évaluer ces dossiers, mais elles n’ont pas autorité pour organiser elles-mêmes cette évaluation, c’est aux agences régionales de santé (ARS) de s’en charger !
Vous reprochez également aux ARS de ne pas évaluer les maternités.
C’est le même problème. Nos voisins allemands ont produit un score évaluant la qualité de leurs 800 maternités à l’aide d’une dizaine de marqueurs (taux d’épisiotomies, de césariennes, d’hémorragies de la délivrance, de transfert en néonatalogie, de transfusion, etc.). Si le coefficient est anormal à plusieurs reprises, le service peut être fermé en l’absence d’amélioration de leur qualité de prise en charge. Nous allons d’ailleurs demander à nos tutelles d’installer un tel système en France.
Exergue Le monde politique agit depuis longtemps pour empêcher la fermeture de certaines maternités par électoralisme. Or ce genre d’action ne devrait tenir compte que de la qualité de ces structures et pas des pressions politiques
Au lieu de quoi, les fermetures ou non sont aujourd’hui motivées par des appuis politiques, et nous ne pouvons expliquer à une population qui se mobilise pourquoi il est important, ou au contraire illégitime, de fermer telle maternité, car nous n’avons aucun chiffre à l’appui. Une maternité proche de chez soi, ça n’a pas prix : c’est une question de volonté politique ; mais, médicalement parlant, il peut aussi être dangereux de maintenir une maternité ouverte. C’est aux ARS de prendre leurs responsabilités pour que le débat se fasse sereinement avec les citoyens.
Le public comprendrait aisément que le sort d’une maternité soit relié à la qualité des soins qui y sont prodigués. Et la qualité des soins ne dépend pas de la taille de la structure mais des moyens qu’on a voulu consacrer à l’activité de naissance. Ne fermons pas les petites maternités parce qu’elles sont petites. Ne maintenons pas les grandes maternités parce qu’elles sont grandes. Évaluons la qualité et la sécurité et tout sera plus équitable et beaucoup moins contesté.
Vous vous inquiétez d’une crise des vocations.
100 % des maternités publiques ont du mal à recruter des jeunes collègues. Elles font appel à des médecins étrangers, ce qui non seulement vide ces pays de leurs médecins mais aussi pose question sur l’adéquation des pratiques et la difficulté des relations avec ces médecins qui parfois maîtrisent mal le français.
Les gynécologues obstétriciens ont intérêt aujourd’hui à ne plus choisir l’obstétrique mais la chirurgie qui use moins. C’est un métier très difficile qui mérite le respect et non pas le « bashing » des réseaux sociaux ! Prendre la bonne décision tout de suite et dans l’urgence obère évidemment le temps consacré aux explications et le médecin n’oublie pas que sa mission première est de donner aux parents un enfant qui n’a pas souffert de l’accouchement. Nous souffrons tous de nous faire lyncher par certains médias.
L’arrivée des femmes dans la spécialité obstétricale en modifie considérablement l’ambiance. Mais dans la cellule familiale, bien qu’obstétriciennes elles restent en tant que femmes majoritairement en charge des tâches domestiques et des enfants, ce qui explique que nous n’ayons plus assez de volontaires pour les gardes de nuit. On ferme aujourd’hui des maternités faute d’accoucheur. La vraie question est donc de savoir qui accouchera nos filles demain ?
Les sages-femmes le font fort bien quand tout est normal. Je suis d’ailleurs entièrement impliqué pour apaiser les tensions qui ont pu exister entre nos deux professions, qui fonctionnent dans la plupart des cas comme des tandems remarquables… Mais en cas de problème, l’obstétricien reste indispensable et tout de suite.
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