Comment améliorer la protection des femmes enceintes ? Lors d’un webinaire sur « Vaccination et grossesse » organisé début avril par la Société française de médecine périnatale (SFMP), le Pr Arnaud Gagneur, pédiatre français installé à Sherbrooke (Canada) a présenté ce que peut apporter en France l’entretien motivationnel à travers les résultats encourageants du programme Emmie déployé au Québec.
Si l’obligation vaccinale mise en place en 2018 a fortement amélioré la couverture des enfants en France, celle des femmes enceintes pour les quatre vaccins recommandés (grippe, Covid, coqueluche, VRS) laisse encore à désirer. Pour la vaccination antigrippale, préconisée depuis 2012, si le taux est en progression, à peine un tiers des femmes étaient en 2021 protégées (30,4 % versus 7,4 % en 2016) selon l’enquête nationale périnatale. Pour le Covid, la couverture à 70 % des femmes enceintes début 2022 restait inférieure aux femmes du même âge qui n’attendaient pas d’enfant. Quant à la coqueluche, le taux de vaccination a fortement progressé en 2024 pour atteindre 72,4 % à la suite du décès de 20 enfants de moins de 1 an.
Peu de vraies antivax
Certes, l’absence de proposition vaccinale de la part des professionnels est le facteur principal motif de non-vaccination des femmes enceintes, pour la grippe, le Covid et la coqueluche, comme le rappelle l’Académie de médecine dans un rapport sur le sujet publié en mars.
Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte : peur d’effets indésirables pour le bébé et pour elle, méfiance à l’égard des vaccins, absence de crainte de la maladie… « Parmi les hésitantes, il y a finalement assez peu de vraies antivax et de conspirationnistes », souligne le Pr Gagneur. Alors quelle position adopter face à l’hésitation vaccinale ? Que répondre à une maman qui déclarerait : « je ne suis pas certaine de vouloir recevoir un vaccin pendant ma grossesse. Je ne veux pas prendre de risque pour mon bébé et j’ai toujours entendu qu’il ne faut pas se vacciner pendant la grossesse », interroge le Pr Gagneur. Pour lui, la première des choses est de… retenir sa langue. « Si vous commencez à juger l’opinion des parents, si vous commencez à contredire ce qu’ils ont dit, vous les avez déjà perdus », met-il en garde.
Selon la théorie du changement, pour établir une relation de confiance, il est préférable de ne pas s’opposer et ne pas vouloir corriger tout de suite. « À l’inverse, on laisse les personnes exprimer leurs craintes et leurs préoccupations, on peut se montrer curieux de savoir ce qu’ils pensent, explique le Pr Gagneur. On peut aussi reformuler et valoriser leur point de vue. Par exemple “vous comptez allaiter et garder le bébé à la maison, c’est ainsi que vous vous voulez protéger votre bébé, vous avez raison, cela le protégera”. Plus on est empathique, plus les parents vont changer ».
Pas de recette magique, mais une écoute ouverte et active
Ces échanges vont permettre d’identifier les informations spécifiques dont ils ont besoin. « Trop d’information peut être contreproductif et renforcer l’hésitation vaccinale, explique-t-il. Les parents veulent une information adaptée à leur situation, en temps utile, équilibrée ». L’entretien peut déceler par exemple des craintes sur les risques de malformations, de fausses couches ou encore une méfiance vis-à-vis des autorités. « Il n’y a pas d’intervention magique unique, il faut une approche individualisée, poursuit le pédiatre. Une fois identifiée l’information manquante, il faut demander la permission de la donner et si possible susciter la curiosité ».
La technique de l’entretien motivationnel, développée au départ dans les addictions il y a quarante ans, a d’abord été testée en 2010 dans une cohorte régionale de 1 140 familles des cantons de l’est du Québec, avant un essai randomisé dans les quatre principales maternités du Québec (n = 2 695). Dans ces études, cette stratégie dite Promovac a permis d’augmenter de 15 % l’intention de vaccination et s’est traduite par 9 % de chances en plus de ne pas avoir de retard vaccinal. Le niveau de score d’hésitation vaccinale a diminué de 40 %, avec une baisse de moitié du niveau des scores très élevés (passant de 16 % à 5 %).
Des référents vaccination dans chaque maternité ?
Au vu de ces résultats, le programme Emmie a été mis en place dans la province canadienne : des conseillers en vaccination offrent systématiquement à tous les parents un entretien motivationnel lors du séjour en maternité. Les données sont cohérentes avec celles de l’essai avec une réduction de 30 % du score d’hésitation et des taux divisés par deux de parents au niveau très élevé d’hésitation. « Les réticences à implanter le programme sont venues des professionnels de santé, qui jugeaient le projet compliqué à mettre en place, le moment mal choisi, les équipes débordées… Mais les parents se sont dits satisfaits à 93 % », rapporte le pédiatre.
Le programme a été répliqué en France dans l’étude Motivac-maternité de Toulon et Marseille, coordonnée par le Dr Pierre Verger, épidémiologiste Inserm. Il ressort là aussi que plus le niveau d’hésitation est élevé, plus l’impact de l’intervention est fort avec à six mois des enfants vaccinés avec beaucoup moins de retard.
Le pédiatre a mis au point un agent conversationnel pour s’entraîner à répondre à une personne hésitante pour la vaccination ; ce chatbot est publié par le New York Times. Après avoir formé une équipe de médiateurs en santé à Marseille lors de la crise sanitaire, le Pr Gagneur développe en France un e-learning validant certificatif de cinq heures, qui est attendu en décembre 2025. L’Académie de médecine dans son rapport préconise la désignation d’un référent vaccins dans chaque maternité et la délivrance d’une information « claire » et « individualisée » aux femmes enceintes sur les vaccins recommandés « dans le respect de leur autonomie ».
Quels vaccins lors de la grossesse ?
Chez la femme en désir d’enfant, des vaccins sont à prévoir : en préconceptionnel (contre la varicelle si pas d’antécédent après sérologie ou d’emblée, le ROR si moins de deux doses, les deux avec un délai d’un mois avant grossesse) ; pendant la grossesse (grippe et Covid pendant les campagnes quel que soit le terme ; coqueluche de 20 à 36 SA, VRS de 32 à 36 SA en alternative au nirsévimab chez le bébé, entre septembre et février, avec > 14 jours d’écart avec le dTcaP) et en post-partum (varicelle et ROR si non faits avant). C’est ce qu’a rappelé la Dr Roxane Gibert Vanspranghels, gynéco-obstétricienne à Lille lors du colloque de la Société française de médecine périnatale (SFMP). Et ne pas oublier de vacciner l’autre parent et l’entourage contre la coqueluche. D’autres vaccinations sont autorisées pendant la grossesse si besoin : rattrapage contre l’hépatite B, vaccination contre le pneumocoque si facteurs de risque, hépatite A et fièvre jaune si voyage non évitable (suspendre l’allaitement). Des vaccins contre le CMV, le streptocoque et le mpox sont en développement.
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