Le moratoire de trois ans sur la fermeture des maternités, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 mai, inquiète les sociétés savantes. Censée contribuer à la lutte contre la mortalité infantile, en progression depuis plusieurs années en France, la mesure ne répond pas aux enjeux, dénoncent-elles.
« Nous n’avons pas besoin d’un moratoire qui nous fige dans la crise mais d’une stratégie pour en sortir », s’agace la Société française de médecine périnatale (SFMP), dans un communiqué. « Si le moratoire signifie ne pas agir pendant trois ans, ce sera un coup d’épée dans l’eau qui ne résoudra aucun problème », ajoute auprès du Quotidien son vice-président, le Pr Damien Subtil, chef du pôle femme, mère et nouveau-né du CHU de Lille. « Très inquiet », le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) martèle quant à lui que « l’éloignement des maternités n’est pas en cause » dans la progression alarmante de la mortalité.
« Les maternités n’ont plus les moyens de fonctionner »
En recul dans la plupart des pays européens, la mortalité infantile a progressé en France de 3,5 décès pour 1 000 naissances en 2020 à 4,1 en 2024. Mais les causes du phénomène restent à analyser. « On est tous d’accord pour dire qu’on ne sait pas expliquer la hausse actuelle, résume le Pr Subtil. Les données indiquent que l’excès de mortalité concerne surtout les tout petits bébés avant 28 semaines et ceux nés à terme, pour des raisons encore une fois que l’on ignore ».
Les professionnels s’accordent selon lui sur un autre constat. « Les maternités n’ont plus les moyens de fonctionner, même les grandes maternités sont en difficulté », observe-t-il, pointant « un éparpillement des forces qui est complètement anormal ». Une analyse partagée par le CNGOF. « Maintenir coûte que coûte toutes les maternités existantes participe, par la dispersion des moyens malheureusement limités, à la poursuite de la dégradation de la qualité des soins », tacle le Collège dans un communiqué.
Pour sortir de l’impasse, la SFMP et le CNGOF plaident pour la révision des décrets de 1998 qui organisent la médecine périnatale. Les maternités de type 1 (40 % des maternités) prennent en charge les nouveau-nés à partir de 7 mois et demi ; celles de type 2 assurent les soins des bébés entre 29 et 35 semaines (35 % des maternités) en s’appuyant sur une unité de néonatalogie, mais sans réanimation ; celles de type 3 qui disposent d’une unité de néonatalogie complètent et prennent en charge les prématurés de 22 à 29 semaines (25 % des maternités).
Il faut favoriser uniquement les maternités qui ont un service de néonatalogie
Pr Damien Subtil, vice-président de la SFMP
Avec les tensions actuelles sur les ressources humaines, autant liées aux évolutions sociétales qu’à un manque d’attractivité des postes, il faudrait « favoriser uniquement les maternités qui ont un service de néonatalogie », encourage le Pr Subtil. En Suède, les fermetures de maternités ont été proportionnellement plus importantes qu’en France, mais la mortalité infantile y est d’environ 2‰ (contre 4,1‰ en France). Ces « fermetures ont été planifiées et réalisées dans le cadre d’une réorganisation globale de l’offre de soins, dont nous devrions nous inspirer », souligne-t-il. « La sécurité est la plus élevée dans les pays qui ont su renoncer aux petites maternités », abonde le CNGOF.
Un registre des naissances pour comprendre la hausse de la mortalité infantile
Si le moratoire est loin de faire l’unanimité, les autres mesures adoptées en première lecture le 15 mai reçoivent un accueil plus favorable. C’est d’abord le cas de la création d’un registre national des naissances. Réclamée de longue date par différents acteurs, la création de ce registre a déjà été actée par la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, qui a annoncé début avril que le dispositif devrait être opérationnel début 2026. Il ne s’agit pas de créer un registre supplémentaire, mais de « faire communiquer » les données éparpillées dans différentes bases (Insee, Programme de médicalisation des systèmes d'information [PMSI] et Système national des données de santé [SNDS]), explique le Pr Subtil.
Autre proposition, la mise en place dans chaque maternité de formations aux gestes d’urgence en obstétrique, régulières et certifiées par la Haute Autorité de santé, est également saluée. Destinée à « renforcer la capacité des équipes médicales à faire face aux situations critiques, en particulier dans les structures isolées ou à faible effectif », selon la proposition de loi, la mesure est une « bonne idée », selon le Pr Subtil. « La question est désormais de savoir comment cela sera appliqué alors que les professionnels compétents sont déjà débordés », ajoute-t-il.
Plus globalement, la situation actuelle appelle la mise en œuvre d’un plan périnatal « ambitieux ». « On a laissé pourrir la situation », déplore le vice-président de la SFMP, souhaitant la création d’une commission pour dégager des propositions concertées. « C’est urgent », estime-t-il. « Il est grand temps que les politiques entendent les professionnels de terrain. Certains nous écoutent… Mais la plupart ne nous entendent pas ! », regrette la Pr Delphine Mitanchez, présidente de la SFMP.
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