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Dossier

Myélomes, leucémies, lymphomes

Les hémopathies chroniques de moins en moins malignes

Publié le 01/02/2019
Les hémopathies chroniques de moins en moins malignes

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SPL/PHANIE

Le congrès américain d’hématologie a permis de prendre la mesure des progrès réalisés en onco-hématologie, notamment dans la leucémie lymphoïde chronique et le myélome. Ces pathologies bénéficient désormais de thérapies ciblées qui améliorent la survie sans progression et permettent des prises en charge ambulatoires, à l’image d’autres maladies chroniques non malignes.

Au début des années 2000, les hémopathies malignes faisaient la une des journaux et ouvraient le bal des thérapies ciblées, avec les résultats spectaculaires du Glivec dans la leucémie myéloïde chronique (LMC). Depuis, ces pathologies se sont faites plutôt discrètes, éclipsées par les progrès réalisés pour certaines tumeurs solides.

Pourtant, le pronostic de certaines d’entre elles s'est totalement transformé, puisqu'il s'agit aujourd'hui de les traiter au long cours au même titre que d'autres maladies chroniques non malignes, avec des traitements susceptibles d'être suspendus puis repris, sans diminuer l'espérance de vie du patient et sans que ne se développent de résistances au traitement. Autre bouleversement dans leur prise en charge, le recul de la chimiothérapie à laquelle se substituent de plus en plus des immunothérapies “personnalisées”.

LLC, un traitement de plus en plus ambulatoire

Dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC), hémopathie maligne la plus fréquente en Occident, on s’oriente de plus en plus vers l’abandon de l’immunochimiothérapie (rituximab/chimiothérapie) grâce au développement de nouvelles molécules comme l’ibrutinib (inhibiteur de la tyrosine kinase de Bruton impliquée dans la prolifération lymphocytaire) ou le venetoclax, (inhibiteur de la protéine oncogène BCL2). Différentes études présentées lors du congrès de l’American Society of Hematology (San Diego, 1-4 décembre 2018) ont montré que chez les patients naïfs de traitement, l'ibrutinib associé ou non au rituximab (anticorps anti-CD20) fait mieux que l'association rituximab/chimiothérapie. De même, en première ligne, dans des rechutes ou des formes réfractaires, le venetoclax/rituximab fait mieux que le rituximab/chimiothérapie. Des essais sur l'association venetoclax/ibrutinib semblent prometteurs.

L’objectif serait maintenant de savoir s’il est possible d'arrêter ces traitements sans provoquer de rechutes. Si cela vient d’être montré avec le venetoclax, on manque encore de recul pour l'ibrutinib.

« Ces nouveaux traitements à prise orale favorisent la prise en charge ambulatoire et n'ont pas les effets indésirables immédiats de la chimiothérapie classique, sans être pour autant dénués de risques, en particulier de troubles du rythme, tempère le Dr Mourad Tiab, onco-hématologue (centre hospitalier départemental de Vendée, La Roche-sur-Yon). La chimiothérapie classique garde cependant des indications, comme chez les patients jeunes atteints de LLC avec mutation des gènes de l’immunoglobuline, où le classique FCR (rituximab, fludarabine et cyclophosphamide) peu onéreux et bien toléré permet sept à huit ans de survie sans progression. »

Ces progrès ont rendu l'autogreffe de cellules-souches hématopoïétiques (ACSP) inutile. Par contre, chez des sujets jeunes atteints d’une LLC associée à une délétion du chromosome 17 ou à une mutation de la protéine TP53 de très mauvais pronostic, l'allogreffe peut être nécessaire après avoir réduit la maladie par les immunothérapies.

Les leucémies aiguës à la traîne

Si les hémopathies malignes chroniques ont connu des progrès majeurs, les formes aiguës sont un peu à la traîne. On a considérablement progressé dans la compréhension des mécanismes de cancérisation et l'identification de cibles ou de gènes spécifiques, mais jusqu’ici sans impact notable sur le pronostic des leucémies aiguës myéloblastiques (LAM). Les avancées sont plus marquées dans les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL), avec au premier plan les CAR-T cells ayant permis d’obtenir des rémissions prolongées surtout chez l’enfant. « La future révolution thérapeutique sera vraisemblablement le développement de traitements ciblés, mais la base du traitement reste la chimiothérapie et l’allogreffe », conclut le Dr Tiab.

Myélome : d'un cancer mortel à une maladie contrôlable à long terme

De maladie incurable mortelle il y a quelques années, le myélome s'est transformé en une pathologie contrôlable à long terme. Les progrès ont été marqués par l'utilisation des immunomodulateurs (lénalidomide, pomalidomide), puis des inhibiteurs du protéasome (qui favorisent l'apoptose des cellules plasmocytaires malignes) comme le bortezomib. « L'arrivée des thérapies ciblées marquera un tournant dans la prise en charge, avec principalement les anticorps monoclonaux anti-CD38 (daratumumab, isatuximab) », souligne l'hématologue.

Actuellement, le traitement du myélome repose sur la chimiothérapie et une autogreffe de cellules-souches hématopoïétiques (ACSP) chez les moins de 65 ans, et sur les traitements médicamenteux uniquement, chez les patients plus âgés ou plus fragiles.

Les patients inéligibles à l’autogreffe sont traités soit par le VMP (bortézomib/melphalan/prednisone) soit par l’association RD (lénalidomide/dexaméthasone). Les résultats à long terme de l'étude Alcyone confirment que l'adjonction du daratumumab au VMP en première ligne de traitement améliore significativement la survie sans progression pour un profil de tolérance acceptable. Surtout, l’étude Maia démontre chez le sujet âgé que l’association du daratumumab au RD réduit de 44 % le risque de progression ou de décès. « Chez ces patients, on s'orientera vraisemblablement en première ligne de traitement vers l'association du daratumumab à un des deux traitements classiques, l'association daratumumab/RD semblant supérieure en efficacité. »

Chez les sujets jeunes, l’autogreffe qui assure une meilleure survie sans progression reste le traitement standard en combinaison avec le VRD (bortézomib, lénalidomide et dexamethasone). L’adjonction du daratumumab semble améliorer le taux de réponses profondes. Certains envisagent d’élargir les indications de l’autogreffe à la tranche d'âge 65/70 ans, ce qui demandera de mettre en balance le gain de 4 à 5 ans de survie sans progression qu’elle permettrait d’obtenir avec celui qu’amènerait l'association daratumumab/RD.

Vers la guérison de certaines hémopathies malignes ?

Malgré ces avancées, on ne parle pas encore de guérison, sauf peut-être dans les LMC, où après au moins trois ans de rémission moléculaire profonde après traitement par inhibiteur de Tyrosine Kinase, 51 % des patients ne rechutent pas et la moitié d’entre eux seront probablement guéris. Dans la plupart des hémopathies chroniques, on obtient des rémissions de plus en plus en longues, avec des rechutes souvent inévitables mais mieux contrôlées.

Désormais, on vise à obtenir une maladie résiduelle (MRD) négative (absence après traitement de cellules malignes détectables par cytométrie de flux ou séquençage de nouvelle génération), avec des traitements qui allongent la survie sans progression et que l’on peut interrompre (d’où une meilleure qualité de vie et moins d’effets secondaires) et reprendre en cas de rechute. Si une MRD négative est un gage de survie sans progression, elle n’élimine pas en effet l’existence d’un clone résiduel, et le risque de rechutes reste inéluctable.

Certaines situations imposent toutefois d’être plus agressif. Ainsi, pour le myélome du sujet jeune, il faut obtenir d’emblée une MRD négative, d’où l’intérêt de l’autogreffe afin d’obtenir la réponse la plus profonde possible. De même, dans les lymphomes de haut grade on vise une réponse immédiate, la rechute amputant considérablement l’espérance de vie.

Les cellules CAR-T, des vedettes d'exception

Traitement assez révolutionnaire, les cellules CAR-T font désormais la une des congrès d'hématologie, même si elles restent encore quasiment inaccessibles aujourd'hui. Il s'agit de recueillir les lymphocytes T du patient et de les modifier génétiquement afin de les équiper d’un récepteur (le CAR) qui va les rendre capables de reconnaître et détruire les cellules malignes avant de les réinjecter au malade. Les résultats sont assez spectaculaires, car cette technique s'adresse à des patients pour qui on ne dispose plus d'alternatives thérapeutiques. Diverses études ont été présentées cette année, avec des résultats dans les lymphomes diffus à grandes cellules, dans les LLC, le myélome ou la LAL. Mais on manque encore de recul, et leurs effets secondaires sont potentiellement sévères, en particulier au niveau neurologique ou immunologique, avec des “orages cytokiniques”. La technique reste très complexe, car les CAR-T cells ne sont actuellement produites qu'aux USA, le délai entre le prélèvement et la réinjection est de l'ordre de trois mois, et même si une seule injection suffit, son prix est de 300 à 400 000 euros.

Dr Maia Bovard Gouffrant

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