Don d’organes

Pour une mutualisation des prélèvements

Publié le 13/11/2012
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Crédit photo : S Toubon

EN MATIÈRE de don d’organes, le système français présente trois caractéristiques qu’il est important de souligner. En premier lieu, la présomption au don est certainement un atout puisque l’on sait que les pays comme l’Allemagne ou le Royaume Uni qui exigent aux citoyens d’affirmer, de leur vivant, leur choix d’être donneur ont un taux de prélèvements deux fois moindre. Deuxièmement, la transplantation obéit à une loi de bioéthique et elle est gérée par l’Agence de la biomédecine qui doit s’assurer des conditions d’inscription des malades, de répartition des greffons, de sécurité et de suivi. Cette régulation centralisée protège à l’évidence de beaucoup de dérives possibles et limite considérablement certains trafics qui sont beaucoup plus fréquents dans certaines régions du globe. Enfin, la France a fait le choix de considérer comme prioritaires les malades dont la vie est menacée à très court terme : ceux pour lesquels la probabilité d’obtenir un greffon est très faible et les enfants, et non pas, comme c’était le cas auparavant, en fonction de leur position sur une liste d’attente.

Aujourd’hui, l’augmentation considérable du nombre de candidats à la greffe est due à une plus grande efficacité de la transplantation, particulièrement en France qui est leader dans ce domaine. La greffe d’organes sauve des vies (foie, cœur, poumon) et/ou permet d’améliorer de façon conséquente la qualité de vie (rein, intestin, pancréas). Mais le nombre de donneurs n’augmente pas et le refus de la part de l’entourage des patients décédés se maintient toujours autour de 30 %. Il faut en effet rappeler que les cartes de donneurs n’ont aucune valeur juridique et que l’accord de la famille est impératif avant tout prélèvement. D’autre part, le nombre d’accidents de la voie publique avec traumatisme crânien a, heureusement, fortement diminué dans notre pays. D’où la recherche d’autres pistes pouvant permettre d’accroître le taux de transplantation, comme les donneurs vivants (voir encadré), le recrutement de patients donneurs dans un champ plus large d’établissements hospitaliers, la possibilité de recourir non pas seulement à des donneurs en mort encéphalique, mais aussi décédés d’arrêt cardiaque avec, à l’horizon, la perspective de prélèvements chez des sujets en fin de vie pour lesquels un arrêt des soins est décidé. « Étonnamment, la société, l’entourage des malades et les réanimateurs semblent accepter cette évolution », observe à cet égard le Pr Jacques Belghiti. Cette dernière catégorie de donneurs potentiels ouvre des perspectives de recherche pour évaluer l’impact des modifications hémodynamiques et développer les machines à perfusion qui permettent aujourd’hui de mieux conserver les organes et également d’effectuer un test fonctionnel avant transplantation.

Une organisation coûteuse et parfois dangereuse.

Un autre frein au développement de la greffe est également à soulever, celui-là d’ordre organisationnel. « On a aujourd’hui la possibilité de prélever 8 organes chez un patient décédé (cœur, poumons, reins, foie, intestin et pancréas). Et une équipe spécifique de transplantation se déplace pour chaque organe. Ces déplacements étaient jusqu’à maintenant motivés par le fait que les différentes équipes ont leur propre technique chirurgicale, souvent leur propre liquide de conservation et qu’elles savent mieux évaluer la qualité des organes en fonction du receveur potentiel. Or ces déplacements représentent un surcoût, ils sont dangereux (près de 35 morts recensées dans le monde chez les préleveurs) et non justifiés par les données scientifiques (le fonctionnement d’un organe prélevé est indépendant de l’équipe de prélèvement). De plus la multiplicité des acteurs constitue un obstacle à la standardisation des techniques et à la mise en place d’études multicentriques. La raréfaction des chirurgiens acceptant une activité non programmée et volontiers nocturne, insuffisamment rémunérée est également à prendre en compte », précise le Pr Belghiti.

Pour lui, « il apparaît donc nécessaire de mettre en place une mutualisation des prélèvements par région, en s’inspirant du modèle d’Eurotransplant. Dans ce cas, le déplacement de 5 équipes de 2 personnes céderait le pas à un système comportant deux équipes de garde (un senior et un junior), pour : 1) les organes thoraciques (cœur, poumons) et 2) pour l’abdomen (foie, reins, pancréas). Cette double équipe serait d’astreinte dans le cadre d’une garde mutualisée organisée par l’Agence de la biomédecine sur un rayon d’environ 200 km. Le recrutement des chirurgiens se ferait au sein des équipes de greffe de la région et parmi les chirurgiens des hôpitaux généraux, après validation de leurs compétences par l’école de prélèvement qui a été mise en place il y a cinq ans. Quant à la rémunération proposée, le paiement d’une garde au taux maximal (universitaire) en raison de la pénibilité et de la complexité des prélèvements, elle serait de toute façon moins coûteuse que ne l’est l’organisation actuelle ». Sur le même plan, l’allocation budgétaire qui pourrait être offerte aux hôpitaux généraux via l’Agence de la biomédecine, pour élargir l’assiette des prélèvements, constituerait une avancée à l’heure où beaucoup d’établissements connaissent des problèmes budgétaires parfois colossaux.

Sans ces mesures, il est probable que, dans une logique gestionnaire, se profile l’idée que « la transplantation coûte décidément trop cher » avec, à la clé, l’émergence d’un courant utilitariste (faut-il transplanter un greffon jeune à un malade âgé ? Ne vaudrait-il pas mieux recourir à des critères coût-efficacité ?…) qu’il apparaît urgent de prendre en compte.

D’après un entretien avec le Pr Jacques Belghiti, service de chirurgie hépato-pancréato-biliaire, hôpital Beaujon, Clichy.

 Dr PATRICIA THELLIEZ
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Source : Bilan spécialistes