Comment améliorer l'acceptabilité et l'observance des traitements au long cours ? La voie injectable de molécules à longue durée d'action est une piste explorée dans l'infection par le VIH. Deux études de phase 3, publiées dans le même numéro de « The New England Journal of Medicine », rapportent les bons résultats d'injections mensuelles de l'association de cabotégravir et de rilpivirine.
Tous deux soutenus par ViiV Healthcare (une société biopharmaceutique co-créée par Pfizer et GSK) et Janssen, les essais ATLAS (1) (pour Antiretroviral Therapy as Long Acting Suppression) et FLAIR (2) (pour First Long-Acting Regimen), montrent la non-infériorité à presque un an (48 semaines) de l'association injectable par rapport aux antirétroviraux (ARV) par voie orale chez des individus séropositifs ayant une charge virale (CV) indétectable (< 50 copies/ml).
Alors que la satisfaction des patients est un critère fort de succès à long terme, « pour beaucoup, le fait de se libérer d'un traitement oral quotidien est une avancée majeure, même au prix d'injections mensuelles », écrit dans un éditorial la Dr Judith Currier, du UCLA Medical Center à Los Angeles.
Pour le Pr Philippe Morlat, du CHU de Bordeaux, et président du groupe d'experts pour la prise en charge du VIH en France : « C'est une bonne nouvelle pour les médecins et les patients. Des dossiers sont déjà déposés auprès de l'Agence européenne du médicament et de la Food and Drug Administration. Une mise à disposition est attendue vers le deuxième semestre 2020 ».
Maintien de la charge virale indétectable
Dans l'infection VIH, les inhibiteurs d'intégrase et les inhibiteurs non nucléosidiques de transcriptase inverse font partie des molécules recommandées dans la prise en charge standard des patients séropositifs. Le cabotégravir, un inhibiteur d'intégrase, est très proche structurellement du dolutégravir déjà sur le marché et la rilpivirine est un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse commercialisé de seconde génération.
Avec comme critère principal de jugement le maintien de la CV indétectable, l'objectif a été atteint dans ATLAS chez 92,5 % des participants du groupe injectable par rapport à 95,5 % dans le groupe ARV oraux. De la même façon, dans FLAIR, les chiffres étaient respectivement de 93,6 % et 93,3 %. Un échec virologique a été observé, dans ATLAS, chez trois participants du groupe injectable et chez quatre du groupe thérapie orale. Les chiffres étaient très proches dans FLAIR avec, respectivement dans chaque groupe, quatre et trois participants en échec.
Deux essais très proches
Dans les deux essais, le recrutement était international, avec 618 participants de 13 pays inclus dans ATLAS et 566 de 11 pays dans FLAIR. Dans ATLAS, il s'agissait de patients ayant une CV indétectable depuis au moins six mois après traitement antirétroviral oral standard. Dans FLAIR, les participants étaient naïfs de tout traitement à l'inclusion et pris en charge avant randomisation par un traitement d'induction oral pendant 20 semaines (dolutegravir + abacavir + lamivudine).
Dans ATLAS, la tolérance de l'association cabotégravir + rilpivirine était testée dans un premier temps par voir orale pendant quatre semaines, au dosage respectif de 30 mg et 25 mg par jour. Ensuite, les patients éligibles se voyaient administrés par injection dans le muscle grand fessier, une dose initiale de 600 mg de cabotégravir et 900 mg de rilpivirne, avant de passer à une injection une fois par mois au dosage respectif de 400 mg et 600 mg jusqu'à 52 semaines.
De façon similaire dans FLAIR, l'association cabotégravir + rilpivirine était testée par voie orale pendant un mois dans le groupe injectable, puis administrée ensuite par voie injectable selon le même protocole et aux mêmes posologies.
Des patients demandeurs
Concernant la tolérance, les effets secondaires étaient plus fréquents dans le groupe injectable, en particulier les douleurs au site d'injection (75 % du groupe injectable dans ATLAS et 86 % dans FLAIR). Environ 1 % du groupe injectable ont arrêté l'essai pour cette raison dans ATLAS, quand c'était le cas pour quatre participants dans FLAIR. Quant aux événements graves, les deux essais ne sont pas concordants : le taux étant < 5 % dans les deux groupes dans ATLAS et plus élevé dans le groupe injectable dans FLAIR (13 % versus 5 %).
Il reste que, malgré cela et de façon concordante à ATLAS, l'essai FLAIR affiche un taux de satisfaction plus forte chez les patients passés à l'injectable par rapport à ceux restés à la voie orale. « Des études d'opinion montrent, de façon un peu étonnante, que les patients sont majoritairement en faveur d'un traitement par injections mensuelles, même si cela doit se faire en milieu hospitalier », fait remarquer le Pr Philippe Morlat.
Ce mode d'administration peut-il être proposé à tout le monde ? Pour le Pr Morlat, certains patients ne seront pas éligibles : 6 à 15 % des patients sont résistants à l'une des deux molécules, les patients traités par anticoagulants ou encore certaines populations encore non évaluées (femmes enceintes, enfants).
Chez quels profils de patients le traitement injectable pourrait-il être une option particulièrement intéressante ? « En France, ce traitement injectable serait idéal pour ceux qui doivent faire des déplacements prolongés dans des pays où l'accès aux ART est difficile, ainsi que pour ceux ayant une mauvaise observance thérapeutique, et/ou trouvant la prise orale ennuyeuse ou "affichante" d'un point de vue social, estime l'infectiologue de Bordeaux. C'est intéressant aussi dans les pays où il y a des ruptures thérapeutiques et les régions où les gens font des kilomètres pour avoir leur traitement ».
(1) S Swindells et al. NEJM. DOI:10.1056/NEJMoa1904398, 2020
(2) C Orkin et al. NEJM. DOI:10.1056/NEJMoa1909512, 2020
(3) J Currier. NEJM. DOI:10.1056/NEJMe2002199, 2020
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