Titré sans équivoque, l’ouvrage est celui d’un lanceur d’alerte averti. Antoine Andremont est en effet l’un des experts internationaux de l’étude de la résistance bactérienne aux antibiotiques. Professeur à la faculté de médecine de l’Université Paris-Diderot et chef du service de bactériologie de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, il a déjà signé, il y a sept ans, un « Triomphe des bactéries : la fin des antibiotiques ? ».
Sa maîtrise du dossier ne l’empêche pas de se faire limpide vulgarisateur quand il s’agit d’appeler médecins, industriels et citoyens à un usage intelligent et écologique des antibiotiques.
En trois séquences, « Le Quotidien » vous propose des extraits choisis de sa démonstration.
Le miracle, et après...
« Tous, nous avons cru au miracle antibiotique. Avant de réaliser que nous étions en train de modifier l’équilibre subtil du monde bactérien. C’est un univers invisible à l’œil nu, un grouillement minuscule, partout à la surface de la terre, dans le sol et l’eau, en renouvellement permanent depuis la nuit des temps. L’homme vit en bonne intelligence avec ces êtres constitués d’une unique cellule. En symbiose. Cette multitude nous est essentiellement bénéfique. Rarement, elle nous cause des désagréments plus ou moins sérieux que nous appelons des « infections ». Dans certains cas exceptionnels comme la peste ou le choléra, les bactéries ont menacé l’humanité et profondément marqué l’histoire. Avec les antibiotiques, nous avons cru en être enfin débarrassés. Dans cette saga homérique, cette lutte de l’homme contre les agressions de la nature, il s’est produit un phénomène inattendu. Les bactéries sont entrées en résistance. Elles l’ont fait en réaction à l’invasion de leurs écosystèmes par les antibiotiques. » (...)
« Soixante-dix ans seulement après l’introduction des antibiotiques, la médecine fait face à la fin du miracle. Et se trouve à nouveau démunie face à un certain nombre de bactéries super-résistantes. Celles-ci se nomment Escherichia coli, Enteroccus faecium, Pseudomonas, Acinetobacter ou encore Klebsiella pneumoniae, sans oublier les redoutables staphylocoques dorés. » (...)
« Si [le scénario apocalyptique d’une épidémie de bactéries résistantes] devenait réalité, (...) la médecine régresserait. Car elle ne peut plus se passer de ce "confort antibiotique". Elle est dépendante à ces médicaments. Le risque, c’est bien sûr la possibilité de la résurgence à grande échelle de maladies qui ne font plus peur, de ces infections qui terrorisaient nos aïeux et dont les ravages sont aujourd’hui oubliés : infection urinaire, syphilis, blennorragie, érysipèle et phlegmon cutané, dysenterie, fièvre typhoïde, fièvre puerpérale, peste, choléra, tuberculose... La liste est longue. Mais la fin du miracle antibiotique, c’est également renoncer à des pans entiers de la médecine la plus moderne. Sans eux, impossible de réaliser des greffes et des chimiothérapies, de pratiquer la réanimation comme on le fait aujourd’hui en raison de la fragilité aux infections que ces traitements entraînent. »
Le retour de 7 maladies perdues
« L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pointé, dans son rapport sur le sujet publié en 2014 une liste de sept maladies oubliées qui pourraient resurgir du passé. Le catalogue fait peur. On trouve Escherichia coli, qui cause des infections urinaires et des septicémies ; Klebsiella pneumoniae, qui provoque des pneumonies ; des staphylocoques, à l’origine d’infections de la peau ; des streptocoques, pourvoyeurs d’otites et de méningites ; des salmonelles, source fréquentes d’intoxications alimentaires et de la fièvre typhoïde ; des shigelles, qui véhiculent la dysenterie ; et enfin Neisseria gonorrhoeae, le fameux gonocoque qui provoque les blennorragies, dont les brûlures violentes, chaque fois qu’on urine, sont de sinistre mémoire pour de nombreux fêtards et conscrits des générations passées. »
La consommation animale
« Aussi néfaste soit-elle, la surconsommation humaine d’antibiotiques n’explique pas à elle seule l’explosion des bactéries résistantes. Il faut pointer ici l’usage en médecine vétérinaire, tout particulièrement dans les élevages. Les tonnages utilisés chez les animaux seraient une fois et demie plus importants que chez l’homme en France et cinq à dix fois en Amérique et en Asie. La raison en est simple. Quand un animal est malade dans un élevage, il est habituel de traiter tous les autres au titre de la prévention. Ça n’a rien de déraisonnable quand on connaît la faculté des bactéries à se transmettre d’un animal à l’autre dans les conditions de grande promiscuité qui sont celles des élevages industriels. En outre, tout comme leurs collègues médecins, certains vétérinaires ont parfois la main lourde et traitent le cheptel tout entier sans bien savoir ce qui cause l’infection. À leur décharge, il est très difficile chez les animaux, comme chez l’homme d’ailleurs, de faire la part entre les symptômes dus à des bactéries et ceux dus à des virus contre lesquels les antibiotiques sont inefficaces. Dans le doute, vu les enjeux économiques pour les éleveurs, la décision penche facilement pour un traitement massif. Personne n’en voyait les inconvénients jusqu’à la prise de conscience récente de la montée des résistances. Mais les habitudes sont difficiles à changer et les craintes d’une perte économique immédiate font le reste. Face à l’éleveur anxieux, le vétérinaire n’a pas la tâche facile. C’est aujourd’hui l’honneur de cette profession de s’engager résolument dans le contrôle de la consommation des antibiotiques.
Chez les animaux, il existe un usage nettement plus critiquable des antibiotiques : celui qui consiste à les utiliser comme "facteurs de croissance". On a découvert dans les années 1950 qu’ils grossissaient mieux quand on leur en donnait quotidiennement à petites doses. Logiquement, les éleveurs en ont profité pour accroître la rentabilité des élevages. Ces "compléments alimentaires", mélangés à chaque repas durant la quasi-totalité de la vie des animaux, ont malheureusement stimulé les résistances de bactéries qui se sont ensuite retrouvées dans la filière agroalimentaire et, en bout de chaîne, dans les assiettes des consommateurs. Ces superbactéries contaminent même les légumes et les fruits car le lisier, cet excellent engrais largement répandu sur les cultures et dans les champs, mélange d’urines et de matières que rejettent les animaux, est plein de ces bactéries résistantes. »
* Pr Antoine Andremont, avec Stephan Muller, préface de Bernard Kouchner, « Antibiotiques - Le naufrage. Notre santé en danger », Bayard, 204 pages, 18 euros.
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