Les personnes âgées en EHPAD ne semblent être qu’une charge pour la société : une charge économique quand ils sont en vie (en temps de « paix »), une charge émotionnelle quand ils meurent en masse (en temps de « guerre »). La crise actuelle ne révèle rien de moins que d’habitude, c’est-à-dire l’abandon de ces personnes. Il faut perdre de précieuses semaines avant de prendre conscience et de s’émouvoir de leur situation et de réaliser qu’ils vont payer le plus lourd tribut dans cette épidémie.
Cette soudaine charge émotionnelle déclenche une réponse politique avec l’annonce, le 6 avril, d’un dépistage massif dans les EHPAD. Nous sommes le 11 avril, début d’un week-end prolongé et, dans mon secteur, concrètement, rien n’a été mis en œuvre pour traduire cette annonce sur le terrain. Les autorités locales, sans doute confrontées à un manque de moyens, ne veulent dépister que les soignants. Cette mesure aurait été justifiée en début d’isolement des EHPAD pour éloigner les soignants positifs et éviter de faire rentrer le virus.
Or, les EHPAD sont isolés depuis le 9 mars, avec des mesures barrières mais, malgré tous les efforts déployés par le personnel, le virus est aujourd’hui présent dans bon nombre d’établissements, dont celui où je travaille comme médecin coordonnateur. Sur neuf tests réalisés hier auprès de résidents, huit se sont révélés positifs. Une mesure qui consisterait aujourd’hui à éloigner des soignants positifs ne ferait que dégrader davantage notre capacité d’accompagnement des résidents. L’organisation actuelle, avec confinement en chambre, nécessiterait au contraire de renforcer les moyens humains pour essayer de compenser les effets délétères de cet isolement : manque de relations sociales, absence des visites, manque de mobilité, dégradation de l’état général. La situation actuelle leur assure une fin de vie que l’on ne souhaite à personne.
Il est surtout urgent de tester les résidents
Ne se trompe-t-on pas d’objectif en ne dépistant que les soignants ? Pour l’équipe soignante, l’objectif a toujours été la qualité de vie des résidents. Vu la progression inexorable de l’épidémie, et si le but est de sauver des vies parmi les résidents, il peut sembler plus urgent de tester les résidents afin d’isoler les personnes négatives. On peut même imaginer alors le même élan de solidarité humanitaire qu’auprès de citoyens « normaux » rapatriés en début d’épidémie, et l’isolement, par TGV sanitaire, de ces résidents testés négatif dans des centres de vacances, à Carry-le-Rouet par exemple.
Sur la filière gériatrique de mon secteur, cela représenterait 2 500 tests. On m’oppose aujourd’hui que ça n’est pas faisable. Dois-je donc comprendre que, si on ne peut même pas mettre ces moyens-là, on a décidé, malgré tous les effets d’annonce, d’abandonner les résidents d’EHPAD ?
Mais alors, permettez nous de nous libérer des ces mesures d’isolement en chambre qui ne font que condamner la plupart d’entre eux. Par définition, les EHPAD sont des lieux de promiscuité, surtout avec la propension à créer des établissements de plus en plus gros pour favoriser la rentabilité. Les soignants sont dans l’intimité de chaque résident pour les accompagner dans les besoins les plus fondamentaux, passant de chambre en chambre. Il en va de même pour les services de restauration, de ménage... Le confinement en chambre ne les met manifestement pas à l’abri du virus mais aggrave par contre à coup sûr leurs conditions de vie. Qu’on leur refuse leur citoyenneté est déjà intolérable, mettre en péril leur humanité me semble abominable.
On s’en émeut à chaque crise mais la situation est tout aussi révoltante en temps de « paix ». Les mesures prises tardivement et les objectifs mal définis m’incitent à penser que cette leçon ne sera pas suffisante et que les résidents d’EHPAD resteront ce qu’ils sont, des citoyens de seconde zone. Fondamentalement, le regard porté sur eux par la société, au-delà des mots, ne change pas.
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