Où en est l’épidémie en Afrique de l’Ouest ?
C’est clair que le nombre de nouveaux cas est en nette diminution. C’est vrai en Guinée, c’est vrai en Sierra Leone, c’est vrai au Liberia. Mais il reste quelques poches où l’épidémie reste active. Il faut rester totalement sur nos gardes parce qu’on reste à la merci de 1 ou 2 enterrements non sécurisés à la faveur desquels l’épidémie peut redémarrer avec rapidement avec 150 nouveaux patients. Le phénomène s’est déjà produit en mai et juin derniers lorsque nous avons vraiment cru que la Guinée s’était débarrassée d’Ebola mais l’épidémie a repris de plus belle en juillet et en août quand des Guinéens qui travaillaient au Liberia où ils étaient rejetés sont revenus en Guinée. Tout cela reste fragile ?
Les mesures mises en place peuvent-elles expliquer la baisse actuelle ?
La réponse sanitaire a peut-être fini par payer et explique en partie ce résultat. Mais la baisse peut être liée à l’arrivée de la saison sèche : les patients peuvent mieux se déplacer et donc se rendre plus facilement dans les centres de traitement et les capacités du virus peuvent changer en fonction de la période - sèche ou humide. D’autres raisons peuvent expliquer cette chute du mois de janvier et nous devrons les comprendre plus tard. Mais nous sommes peut-être simplement en train d’observer le cours normal d’une maladie infectieuse avec une phase de démarrage, un pic majeur, un plateau et l’amorce de la baisse. L’épidémie s’arrête lorsque les plus fragiles ont été touchés et que ceux qui restent le sont moins. Même la peste noire en Europe s’est arrêtée à un moment donné et à cette époque, le traitement des maladies infectieuses était l’abstention. Il ne restait plus qu’à compter les morts. Heureusement nous n’en sommes plus là mais on ne peut écarter ce type d’explication. Il n’y a toujours pas de traitement mais c’est beaucoup mieux qu’au début de l’épidémie. Tous les malades sont perfusés - ils peuvent perdre jusqu’à 3-4 litres par jour - et bénéficient d’antibiotiques. Ces mesures simples ont permis de diminuer la mortalité.
Beaucoup d’observateurs reprochent à l’OMS d’avoir agi trop tardivement ce que l’organisation a reconnu lors d’une session extraordinaire du Conseil exécutif sur Ebola la semaine dernière ? Y a-t-il des leçons à tirer pour l’intercrise ?
J’étais à cette réunion de l’OMS du dimanche 25 janvier. Des leçons doivent bien sûr être tirées. L’OMS n’a commencé à réagir qu’à partir du début du mois d’août mais ce n’est pas si facile que cela d’appuyer sur le bouton, c’est même très difficile.
Nous-mêmes qui avions avec l’ANRS et l’INSERM, mis en place depuis deux ans une structure pour mieux réagir aux crises sanitaires, essentiellement infectieuses, REACTING (Research and Action targeting emerging infectious disease), nous nous sommes trompés. Le groupe s’est réuni dès que le diagnostic d’Ebola a été confirmé par les équipes de Pasteur et de laboratoire P4 de Lyon. Nous avons considéré qu’il y avait certes un problème sanitaire mais que les choses allaient s’améliorer. Nous avons commencé à réagir vers la mi-juillet.
Les CDC (Centers for disease control) américains font partie de ceux qui ont fortement critiqué la politique de l’OMS et l’ont fait publiquement lors d’une réunion à Genève. Je me suis d’ailleurs opposé à eux, car ce sont eux qui ont estimé qu’il y aurait 1 million de morts d’Ebola fin janvier 2015. Aujourd’hui, ils ne reconnaissent pas leur erreur. Il faut se calmer.
L’OMS ne s’est donc pas trompé ?
L’OMS a probablement une certaine forme de responsabilité, du fait de la lourdeur de son organisation. Mais ce n’est pas tant la structure de Genève qui a finalement réagi et qui ne cesse depuis la mi août d’enchaîner les réunions et de prendre des décisions que sa structure régionale en Afrique qui est en cause. L’OMS Afrique - les représentants de l’OMS pour Afrique n’ont pas su évaluer l’ampleur de l’épidémie. Le problème est surtout là et tout le monde le sait.
L’Union africaine a annoncé la création prochaine d’un CDC africain ?
Pour l’instant, c’est juste une annonce. Nous travaillons déjà à un projet de santé publique de surveillance et d’alerte pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique francophone. Il est en cours d’élaboration mais un responsable a déjà été nommé qui est en train de consulter l’ensemble des équipes. Le projet va être porté par l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’École de santé publique de Rennes et l’ITMO (Institut thématique multi-organismes) de l’Alliance Aviesan. Il bénéficiera de fonds nationaux et européens.
Représenter la francophonie dans la région est important. La France a joué son rôle en Guinée et à un très bon niveau - les données intéressantes sortiront des études de recherche françaises, j’en suis persuadé. Je ne souhaite pas que nous soyons embarqués dans un projet anglosaxon sans avoir notre mot à dire. Chacun présentera son projet. Après nous verrons.
Revenons à l’OMS, vous soutenez les mesures annoncées par Magaret Chan ?
Je les appuie parce qu’il faut que l’OMS se trouve un leadership qui représente l’ensemble des pays et en particulier ceux du sud ce que ne font pas suffisamment le CDC qui a une vision très américaine de la situation. J’ai l’air d’être très critique vis-à-vis des Américains mais je pense qu’il faut dire les choses : les CDC et même la fondation Gates, derrière ses aspects de grand donateur, sont des outils politiques. Le budget de la Fondation Gates est aussi important que celui de l’OMS et les enjeux sont forcément importants. Tomber à bras raccourcis sur l’OMS comme ils le font, je trouve cela trop facile.
Néanmoins il faut que l’OMS change. Il faut plus de souplesse, plus de fluidité. Il faut un board autour de sa directrice composé de personnalités qui ne sont pas uniquement des représentants des pays. Fondamentalement, l’OMS est une organisation à laquelle je crois.
Mais est-elle capable de se réformer ?
Margaret Chan a l’opportunité de le faire. Elle est là pour 2 ans et ne se représentera pas. Elle n’a pas d’enjeu, elle peut se permettre de bousculer. La balle est dans son camp.
La France et l’Europe ont-elles mis les moyens ?
L’ensemble de la campagne Ebola 2014 a bénéficié d’un budget de 140 millions d’euros ce qui est déjà pas mal compte tenu de nos forces. À cela s’ajoutent environ 50 millions d’euros de la Commission européenne tant pour la recherche que pour les centres Ebola. J’estime que pour l’instant les moyens ont suivi et que nous avons l’appui politique de l’État. N’oubliez pas que le président français François Hollande a été le premier président d’un grand pays à venir en Guinée à la fin du mois de novembre. Il y a une vraie volonté politique et j’espère que cela se traduira dans les budgets 2015 malgré les contraintes financières.
Quant à l’Europe, elle a démarré tardivement mais elle fait preuve d’une grande souplesse dans sa capacité de financements ce qui n’a pas toujours été le cas disons-le sur d’autres sujets.
Après cette épidémie, le monde va-t-il être mieux armé pour lutter contre les épidémies ?
C’est très difficile à dire. En tout cas, nous avons prévu de faire un retour d’expérience avec tous les acteurs y compris les Américains, les Anglais et les 3 pays touchés au mois de mai. Nous nous étions donnés le 30 juin comme date butoir pour contrôler totalement l’Épidémie d’Ebola. On va peut-être y arriver.
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