«NOTRE DÉCOUVERTE a de quoi surprendre, explique le Dr Gary Nabel, directeur du centre de recherche sur les vaccins au prestigieux National Institute of Health, co-auteur d’une étude sur la protection croisée des anticorps des virus pandémiques H1N1 de 1918 et de 2009. Nous ne nous attendions pas à ce qu’il existe une protection croisée entre des virus ayant circulé à tant d’années d’intervalle ». Et pourtant, deux équipes le prouvent, celle de Gary Nabel (Bethesda) et à un moindre degré celle du biologiste Ian Wilson de San Diego. Le virus pandémique de cet hiver, finalement peu virulent, possède une importante protéine de surface, l’hémagglutinine, en commun avec le virus de la grippe la plus mortelle de l’histoire de l’humanité, la fameuse grippe « espagnole » de 1918. Ce lointain cousinage pourrait ainsi expliquer pourquoi les sujets les plus âgés ont été protégés du virus pandémique cet hiver. Vacciner contre l’un des virus semble conférer en effet une immunité capable de neutraliser l’autre virus. Dans une première série d’expériences, l’équipe du Dr Nabel a soumis des souris vaccinées au préalable contre le virus grippal de 1918 à une forte exposition au virus H1N1 2009. Tous les petits animaux ont survécu. Et vice versa. Vacciner des rongeurs contre le H1N1 de 2009 les protégeait en cas d’une exposition au virus de la grippe espagnole.
Des virus sans sucre.
Pourquoi une similitude au niveau de l’hémagglutinine suffit-elle pour conférer une immunité croisée malgré les décennies d’écart ? Pourquoi la protection est-elle assurée pour ces virus ayant circulé à des décennies d’écart, alors que, d’une année sur l’autre, le vaccin contre la grippe saisonnière perd son efficacité en raison d’infimes variations antigéniques ? Parce que ces deux virus, malgré leurs différences, sont les seuls à avoir comme particularité deux régions essentielles de l’hémagglutinine non liées à des molécules de sucres. C’est l’équipe de Ian Wilson, qui a décrit par cristallographie la structure tridimensionnelle des deux virus et a montré les formes similaires et distinctes de leurs hémagglutinines. Libérés de ces glycanes, les deux virus ont un accès direct aux récepteurs régulant l’entrée dans la cellule. Revers de la médaille, ces deux régions « laissées à nu » peuvent aussi être repérées par des anticorps neutralisants.
Une piste vaccinale.
A contrario, plus de 97 % des virus grippaux ayant circulé entre 1977 et 2008 possédaient au moins l’un des deux sites recouvert de glycane, tandis que plus de 87 % avaient les deux régions cachées. « Les glycanes agissent comme un parapluie protégeant le virus du système immunitaire », explique le Dr Nabel. « Ces sucres créent une barrière physique contre le virus et empêchent la neutralisation par anticorps ». D’après des analyses datant des années 1940, il semble que les descendants viraux de 1918 acquièrent une protection par sucres au fil du temps. « Les glycanes empêchent que l’hémagglutinine soit neutralisée », explique le Dr Nabel. Selon une autre série d’expériences menées par l’équipe de Nabel, si les virus recouverts de sucre ne sont plus reconnus et neutralisés par les anticorps, ils s’avèrent en revanche très performants… en tant que vaccins ! Après avoir injecté à des souris ces virus transformés recouverts de glycanes, les scientifiques ont constaté que les rongeurs produisaient des anticorps capables de neutraliser les virus originaux sans sucre de 1918. « Ces découvertes suggèrent la mise au point d’un vaccin glycosylé contre le H1N1 de 2009 » déclare le chercheur du Maryland. Selon lui, cette stratégie limiterait de plus les risques que le virus ne se dote par la suite d’une protection sucrée et ne devienne un variant saisonnier.
Science Translational Medicine. DOI:10.1126/scitranslmed.3000799 (2010).
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