Article réservé aux abonnés
Dossier

Politique vaccinale

Ruptures de stocks de vaccins, pourquoi ça coince ?

Publié le 10/03/2017
Ruptures de stocks de vaccins, pourquoi ça coince ?

Vaccin
MAURO FERMARIELLO/SPL/PHANIE

Entre des demandes mondiales qui s’accroissent, des processus de fabrication longs et très réglementés et un nombre de producteurs restreints, le marché du vaccin est sous haute tension. Une situation qui risque de se pérenniser sans l’intervention des autorités.

Depuis quelques années, les ruptures de stocks et tensions d’approvisionnement concernant les vaccins se suivent et se ressemblent…  Après les vaccins contre la méningite C, le BCG, les vaccins tetra et pentavalents à valence coqueluche ou encore ceux contre l’hépatite A, l’ANSM a annoncé début février une rupture de stock concernant l’ensemble des vaccins anti-hépatite B de l’adulte. À peine une semaine plus tard, l’agence du médicament constatait la persistance de tensions d’approvisionnement pour certains vaccins combinés à valence coqueluche.

Une situation de pénuries récurrentes qui commence à semer le trouble. Côté patient, le rapport sur la vaccination du Comité d’orientation de la concertation citoyenne, rendu public fin novembre 2016, pointait « des ruptures mal comprises, mal acceptées et parfois interprétées par le public comme une manœuvre des laboratoires ». Même sentiment du côté de l’association SOS hépatite, qui dénonce un dysfonctionnement à même de mettre à mal tous les efforts consentis depuis plusieurs années pour encourager la vaccination contre l’hépatite B.

Alors que les autorités de santé les enjoignent à être proactifs en matière de vaccination, les praticiens de terrain commencent aussi à perdre patience avec l’expression d’un « grand ras-le-bol » comme le formule une jeune généraliste sur le site de notre Journal. « Les obscurantistes antivax vont se réjouir : encore des vaccinations qui vont sauter…révisons nos cliniques sur les maladies infantiles : ça va repartir » commente un autre internaute. « Cela devient insupportable ces ruptures
de stock de vaccins récurrentes… Je n'ai pas le souvenir de tels problèmes dans le passé » s’étonne un troisième.

 

[[asset:image:11685 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Presque un quart des vaccins concernés

Les tensions en matière de production de vaccin ne sont pourtant pas nouvelles et « nous avons toujours connu des pénuries, avec des lots qui ne passaient pas les contrôles », souligne Christèle Chave, responsable communication chez Sanofi Pasteur. Cependant, depuis quelques années, le phénomène s’est accéléré. « Si les ruptures de stocks concernant les médicaments se sont plutôt stabilisées depuis 2013, pour les vaccins, on observe plutôt l’inverse avec une série de rupture de stocks qui a commencé en 2014» indique Dominique Debourges, chef du pôle Contrôle du marché à l’ANSM. Selon l’Ordre national des pharmaciens, 25,4 % d’entre ont fait l’objet de ruptures ou de tensions d’approvisionnement entre février 2015 et janvier 2017, avec un délai moyen de 38 jours de rupture.

Un marché en flux tendu

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce constat. Les laboratoires producteurs de vaccins pointent notamment une augmentation de la demande mondiale, pas toujours facile à anticiper. « Ces dernières années, les stratégies vaccinales se sont renforcées dans le monde et de nombreux pays ont ajouté des doses de rappel de vaccins combinés à base de coqueluche dans leurs calendriers vaccinaux », indique le laboratoire GSK. À l’instar de l’Angleterre « 17 pays ont aussi introduit récemment une vaccination coquelucheuse pendant la grossesse » précise Christèle Chave.

Pour les vaccins contre l’hépatite B, la demande a été boostée par le programme d’éradication lancé par l’OMS. Mais la pénurie s’explique aussi et surtout par « un problème rencontré au niveau de la production de la valence hépatite B »,  explique GSK. Des difficultés de production également en cause pour le BCG SSI toujours en rupture de stock ou le Meningitec dont tous les lots avaient été retirés en 2014 suite à un défaut constaté par le laboratoire exploitant, avec à la clé, de fortes tensions d’approvisionnement.

Autant d’aléas difficiles à amortir dans un marché en flux tendu marqué par un nombre de producteurs de vaccins de plus en restreint et des processus de production -à base de matière vivante- longs et complexes. Pour un vaccin combiné à valence coqueluche, « les cycles de production sont de 24 à 36 mois », illustre Christèle Chave, avec près de 70 % du temps consacré à la réalisation de test de contrôle. Contrairement aux médicaments classiques, les vaccins font, en effet, l’objet d’un double contrôle, de la part du laboratoire mais aussi de l’ANSM, « avec des taux de rejet plus élevé que dans l’industrie pharma classique ».

À cela s’ajoute, selon Christèle Chave, la complexité de la réglementation et des exigences des agences propres à chaque pays, avec peu de souplesse entre eux. L’AMM est, en effet, délivrée pour un vaccin donné dans un conditionnement précis, assorti d’une notice spécifique. « Ainsi un vaccin prévu pour l’Espagne ne pourra pas forcément être redistribué en France ».

 

[[asset:image:11686 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Priorité au vaccin hexavalent

Dans ce contexte, sur quels critères les laboratoires hiérarchisent-ils les priorités en termes de vaccins et de pays à privilégier ? « Une priorisation des approvisionnements est effectuée selon les pays en fonction des calendriers nationaux et de l’existence ou non d’autres vaccins équivalents dans ces pays pour permettre de répondre au mieux aux besoins médicaux », répond le laboratoire GSK, tout en soulignant, « que les difficultés de production touchent de nombreux pays ».  Quant aux éléments favorisant la production de tel ou tel vaccin,  les laboratoires invoquent la santé publique. « En France, la recommandation vaccinale chez le nourrisson est une vaccination hexavalente ; de ce fait, c’est celui qui a été priorisé ».

Mais pour certains, la motivation pourrait être aussi d’ordre économique. Le rapport Hurel pose en tout cas la question, considérant, qu’« en cas de rupture de stock, l’orientation des chaînes de production à privilégier prend en compte les intérêts industriels si aucun garde-fou n’a été prévu ».

Des mesures essentiellement correctrices

En cas de rupture de stock annoncée, l’ANSM a aussi son mot à dire. Le décret du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain prévoit en effet que lorsque l'exploitant anticipe une rupture potentielle d'approvisionnement, il en informe l'agence du médicament. « Une fois cette déclaration reçue, on vérifie le caractère indispensable du produit. Il y a ensuite, des démarches qui se mettent en place, en lien avec le laboratoire, pour essayer de garantir un approvisionnement sur le territoire, explique Dominique Debourges. Avec, à la clé, des mesures qui pourront être dans un premier temps des contingentements quantitatifs mais aussi qualitatifs, avec par exemple, des restrictions à certaines indications. Parfois, nous sommes aussi amenés à autoriser à titre dérogatoire une importation d’une spécialité qui n’a pas d’AMM sur le territoire français ou à remobiliser des stocks initialement prévus pour un autre pays ». Pour le BCG SSI, par exemple, l’agence a permis la mise à disposition à titre exceptionnel et transitoire, d’unités de vaccin BCG, destinées initialement au marché polonais. Pour l’hépatite B, L’ANSM étudie aussi la possibilité d’importer des vaccins d’autres marchés européens.

Le HCSP est aussi partie prenante dans la mesure où il propose des recommandations temporaires permettant d’adapter les stratégies vaccinales aux disponibilités des vaccins. Pour l’hépatite B, par exemple, le Haut Conseil vient d’émettre un avis qui détermine les populations à vacciner en priorité et propose des alternatives et des mesures d’économies de doses (voir p. 25).

Autant d’actions jugées essentielles mais insuffisantes, alors que tout le monde s’accorde sur le fait que la pénurie de vaccins anti-VHB devrait durer au moins jusque fin 2017. « L'avis du HCSP est bien entendu nécessaire, mais ne peut en aucun cas constituer une solution au long cours », insiste SOS hépatite . De son côté, la Fnair (Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux) s’interroge « sur la légèreté dont font preuve les pouvoirs publics sur un problème aussi important ».

Car force est de reconnaître que ces derniers mois, le ministère et son bras armé, la DGS, sont restés plutôt discrets sur le sujet. Pour l’hépatite B, le ministère a bien publié un communiqué, dans lequel il se félicite d’avoir obtenu « la mise en place de solutions alternatives permettant de garantir l’approvisionnement pour les mois à venir et de permettre aux personnes qui le nécessitent de se faire vacciner ». Mais ces mesures organisent plus un rationnement au long cours qu’elles ne permettent un véritable retour à la normale.Globalement, usagers comme professionnels de santé attendent donc des mesures fortes qui donneront la possibilité de mieux anticiper et réguler les choses...
 

Un plan de gestion des pénuries

« Mais que fait le ministère ? » A l’image de ce lecteur du Généraliste, de nombreuses voix s’interrogent sur les marges de manœuvre et les actions des pouvoirs publics, en matière de ruptures de stocks.
Un premier pas a été fait avec la loi de modernisation du système de santé qui impose notamment aux laboratoires la mise en place de plans de gestion des pénuries. Ces plans comportent un volet préventif dans lequel le laboratoire doit analyser les risques potentiels pesant sur la fabrication et la distribution de telle ou telle spécialité et identifier ce qu’on peut faire pour limiter ces risques, et un volet palliatif qui détaille les mesures prévues par le laboratoire en cas de rupture de stock effective.
Volume minimal Le rapport Hurel avait aussi fait plusieurs propositions pour impliquer encore davantage les industriels. Par exemple, « le CEPS pourrait contribuer à l’anticipation des ruptures de stocks en prévoyant, lors des négociations sur les prix une clause relative à un volume minimal de doses à fournir, en deçà duquel le laboratoire devrait s’acquitter d’une indemnité compensatoire ». Le rapport proposait aussi de mettre en place des stocks pour certains vaccins.