LE QUOTIDIEN : Que reste-t-il aujourd'hui de « l'esprit Pasteur » au sein de l'Institut qui porte son nom ?
STEWART COLE : L'esprit Pasteur reste fortement imprégné parmi les collègues de l'Institut. Nous sommes toujours respectueux de l'héritage que Louis Pasteur nous a laissé et restons fidèles à ses valeurs et ses convictions comme l'humanisme, l'universalisme, la persévérance, la détermination et peut-être aussi la modestie.
Je crois que la plupart des pasteuriens sont fiers de travailler au sein d'un réseau dont l'œuvre est destinée à l'amélioration de la santé mais aussi de la qualité de vie et du bien-être de nos concitoyens.
Comment l'Institut a-t-il évolué depuis sa création ?
Nos pratiques ont nécessairement changé, car l'Institut doit se moderniser constamment. À l'origine, l'Institut était surtout axé sur les maladies infectieuses et la santé publique. Au fur et à mesure, nous avons intégré des disciplines scientifiques et des technologies nouvelles. C'est notre devoir d'utiliser les meilleures.
Nous avons, par exemple, créé récemment un département de biologie computationnelle, qui englobe l'intelligence artificielle, car l'informatique a un impact considérable sur la recherche.
L'étude des maladies infectieuses émergentes est majeure à l'Institut. Pour autant, étiez-vous préparés à une pandémie de cette ampleur ? Quel rôle a joué l'Institut au cours de cette crise liée au Covid ?
Nous avions anticipé qu'une maladie émergente majeure allait arriver, nous étions prévoyants et préparés. Mais nous n'avions pas tout à fait anticipé l'échelle du problème. Le Covid a étonné tout le monde par les dimensions qu'il a prises.
Au-delà du séquençage du virus et de la mise au point des premiers tests PCR, toute la modélisation de l'évolution de l'épidémie a été faite à l'Institut, grâce aux travaux des équipes d'Arnaud Fontanet et de Simon Cauchemez.
Mais si l'Institut a surtout été mis en valeur par cette activité, nous avons aussi été très actifs dans d'autres domaines. Nos travaux ont notamment porté sur la compréhension des mécanismes du pouvoir pathogène du virus et sur la façon dont il adhère à son récepteur. Nous avons aussi été très actifs dans l'évaluation de l'efficacité des vaccins sur les différents variants du Sars-CoV-2 qui sont arrivés en France et dans le monde.
Dans le cadre d'un programme européen visant à éclairer la Commission européenne concernant l'achat ou non d'un vaccin ciblant le variant Omicron, un travail en un temps record a été réalisé par l'Institut et publié dans « Nature » (1). Nous avons montré que le fait de recevoir trois doses de vaccin protégeait contre l'infection par Omicron et réduisait le risque de forme sévère, mais aussi que certains des anticorps monoclonaux disponibles sur le marché avaient perdu leur efficacité contre Omicron, alors que d'autres restaient actifs.
Dans un autre travail, nous avons identifié des anticorps monoclonaux capables de neutraliser tous les variants. Ils sont actuellement évalués en essai clinique. Ces travaux ont donné lieu à la création de la start-up SpikImm.
L'Institut Pasteur a été très performant dans la plupart des domaines, hormis la vaccination. Cela fait partie des aléas de la recherche, mais au moins nous avons tenté le coup. Nous avons été la seule institution académique française à avoir fait passer toutes les étapes, de la recherche aux essais cliniques, à un candidat vaccin. Malheureusement, la réponse immunitaire induite n'était pas suffisamment puissante, donc nous avons dû retourner à la paillasse pour en chercher d'autres. Des travaux sont en cours, mais la présence de nombreux vaccins sur le marché est un frein à d'autres initiatives.
Lors de la première vague du Covid, le constat a été fait d'un manque de concertation au niveau de la recherche aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale. Le partagez-vous ?
Au sein de l'Institut Pasteur, qui est une institution privée, nous avons en tout cas très vite adapté notre fonctionnement. Les équipes ont travaillé ensemble avec des objectifs communs, et une très bonne coopération entre les différentes équipes de recherche et les plateformes technologiques s'est mise en place.
La crise du Covid a aussi mis sur le devant de la scène l'approche One Health, déjà bien ancrée au sein de l'Institut.
La crise du Covid a en effet renforcé la notion qu'une approche One Health est extrêmement importante dans un monde comme le nôtre, de plus en plus mondialisé. C'est certain que Pasteur lui-même aurait adopté une approche One Health. Beaucoup de maladies sont d'origine animale et nous partageons certaines maladies avec les animaux, il y a un échange permanent.
L'approche One Health est très présente dans les travaux de l'Institut Pasteur. Nous avons par exemple identifié des chauves-souris au Laos porteuses d'un coronavirus proche du Sars-CoV-2. Et ce virus est capable d'infecter les cellules humaines en culture, sans passer par un hôte intermédiaire. C'est une preuve indirecte que le Sars-CoV-2 aurait pu être transmis via le contact d'une chauve-souris avec l'homme.
Vous ne croyez donc pas à la possibilité que le virus se soit échappé d'un laboratoire ?
Pour moi, la plupart des preuves indiquent que c'est un virus d'origine naturelle, qui vraisemblablement, et il y a de plus en plus de publications pour étayer cela, est passé par un animal sauvage vendu sur le marché de Wuhan.
Concernant la variole du singe (Monkeypox), l'autre épidémie qui sévit actuellement en France, l'Institut Pasteur travaillait-il dessus avant sa propagation en Europe ?
Il s'agit effectivement d'une maladie endémique en Afrique du centre et de l'ouest. L'un des instituts du Pasteur Network (2), celui de Bangui, est spécialisé dans le Monkeypox. Le virus est indigène chez eux, les cas sont relativement fréquents et les chercheurs ont donc l'habitude de manipuler le virus, de le détecter et d'étudier les cas.
Nous disposons du savoir-faire de cette équipe, avec laquelle nous travaillons en étroite collaboration, avec un échange fréquent d'idées et de ressources humaines.
Nous sommes en train d'étudier le virus lui-même ainsi que le sérum des patients pour essayer d'identifier des anticorps neutralisants et étudier la protection conférée par la vaccination.
Vous avez élaboré au début de votre mandat le plan stratégique 2019-2023. Comment ces crises ont-elles perturbé sa mise en œuvre ?
Le plan stratégique se décline en trois grands axes autour des maladies infectieuses émergentes, de l'antibiorésistance et des maladies neurodégénératives. Mais une grande partie des activités a en effet été déviée vers le Covid, puis vers la variole du singe, dans une moindre mesure.
Les chercheurs du département de neurosciences, qui ont par exemple décrypté les mécanismes d'infection des neurones et du cerveau par le virus, ont été très actifs sur le Covid long. Ainsi, sur certains aspects, comme l'antibiorésistance également, nous avons moins progressé que prévu, mais cela a été compensé par d'importants travaux sur le Covid. Nous restons d'ailleurs très engagés sur le Sars-CoV-2, avec une activité qui reste très significative. Plus de la moitié des chercheurs continuent de s'y consacrer.
Quels sont les grands enjeux avant la fin de votre présidence en 2023 ?
L'enjeu des années à venir est de poursuivre la préparation aux futures pandémies. Nous disposons d'une excellente infrastructure que nous souhaitons développer en collaborant davantage avec les chercheurs du Pasteur Network et d'autres centres en Europe, etc. La crise Covid a par ailleurs mis en évidence nos faiblesses en vaccinologie, que l'on va désormais essayer de combler.
Considérez-vous que l'Institut Pasteur a su rester attractif pour les chercheurs ?
Auprès des jeunes chercheurs, nous attirons les foules. Nous avons peu de difficultés à recruter les étudiants en thèse, les post-doctorants ou les jeunes scientifiques. C'est en revanche plus compliqué pour les chercheurs confirmés, notamment ceux qu'on appelle les « mid-careers » qui montent en puissance. C'est un problème général en France, le pays est en déclin en science de la vie, car l'État a sous-investi depuis 25 ans. Le métier de chercheur n'est pas très attractif.
L'Institut Pasteur, en tant que fondation privée, peut se permettre de rémunérer ses chercheurs de manière plus importante qu'au niveau national. En revanche, nous ne pouvons pas rivaliser avec les concurrents à l'étranger.
Sur le plan intellectuel, le métier de chercheur reste très intéressant et la passion pour la recherche perdure. Mais nous avons plusieurs exemples de chercheurs qui s'en vont parce qu'ils peuvent gagner jusqu'à trois fois plus à l'étranger, en ayant le même plaisir au travail.
(1) D. Planas et al, Nature, 2022. doi: 10.1038/s41586-021-04389-z
(2) Réseau international des instituts Pasteur
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