Confrontés au burn out sans avoir rien vu venir, trois médecins exerçant en établissement racontent au « Quotidien » comment ils ont un jour « pété les plombs ». Les faits remontent un peu mais leur voix reste chargée d’émotion.
• « La charge de travail était trop lourde »
Régine* a travaillé quatre ans aux urgences d’une petite ville. Elle a claqué la porte de l’hôpital et exerce aujourd’hui comme généraliste. Un départ salvateur : « J’ai sauvé ma peau. La charge de travail était trop lourde ». Embauchée à 8 gardes par mois, Régine a vite vu son rythme déraper. Le mois qui a précédé sa décision, l’urgentiste avait travaillé 29 jours et 10 nuits.
« J’ai senti le vent du boulet, dit-elle. Je ne dormais plus. J’avais l’allure d’une dépressive. J’étais enfermée dans un bocal, à l’hôpital, avec deux enfants à la maison ». Régine a confié son malaise à son chef de service. Déception : « Sa seule réponse, ça a été de me dire que trois attendaient ma place ».
Plusieurs confrères se sont suicidés dans l’entourage de Régine depuis une quinzaine d’années. Un anesthésiste notamment, au terme d’une longue dégringolade. « Une plainte classée sans suite l’avait plongé dans une grave dépression. On l’a vu perdre 20 kg en quelques mois. Il n’avait jamais compté ses heures, le service reposait sur lui. Il s’est épuisé au travail, jusqu’au jour où il a été retrouvé dans son bureau avec son fusil de chasse ». Régine a le sentiment de s’être recyclée juste à temps.
• « Incapable de réaffronter les gardes et astreintes »
Bernard s’est écroulé subitement, au lendemain d’un congrès. Médicaments, alcool : le cocktail détonnant l’a expédié à l’hôpital où il a dormi 48 heures d’affilée. « Ça a été un accident brutal, comme un raptus. Je n’avais jamais eu de pensée suicidaire avant ». Les soins urgents lui ont été prodigués dans un département voisin, ce qui lui a évité de croiser ses patients, et le regard des confrères, redouté : « Quand on fait une tentative de suicide, on craint de ne plus être vu comme un bon médecin ».
L’obstétricien bascule alors en ALD. Il se sent incapable de réaffronter les gardes et astreintes, « la violence de l’accouchement et de la mort ». Au terme d’une longue reconversion, le voilà médecin d’un département d’information médicale, dans le même hôpital qu’auparavant. « Je dors normalement, je ne suis plus stressé. Mais je ne suis pas plus satisfait au travail. Avant, je faisais partie de l’équipe. Aujourd’hui, je code derrière l’ordinateur : c’est alimentaire ».
Bernard n’avait jamais vu de médecin du travail de sa vie. Il a longtemps été son propre médecin traitant. Il aura fallu ce burn out pour que son terrain bipolaire soit diagnostiqué, et traité. Bernard, à présent, est suivi par un psychiatre et une analyste. Si c’était à refaire, il aiguillerait ses études autrement. « Les jeunes devraient être mieux préparés à ce qui les attend. Il y a d’autres voies que le clinicat dans une spécialité chirurgicale où on se lève toutes les nuits ».
Cette formation tardive à l’EHESP, pour devenir DIM, il en a assumé seul le coût (7 000 euros). Et la charge psychologique : « Ma reconversion a été acceptée, mais je n’ai eu aucun soutien ni coaching, ni de l’hôpital, ni du Centre national de gestion ».
• « Ma compétence a été reniée »
Samuel a été broyé par une restructuration hospitalière menée tambour battant, sans qu’il ait eu son mot à dire. « Petit à petit, on m’a poussé à partir », raconte le pédiatre, en procédure pour licenciement abusif. Le climat, à la fin, avait viré à l’aigre. « La clinique a monté une cabale contre moi. Chaque jour, c’était des allusions. Ma compétence a été reniée. Ça a été leur façon d’économiser un poste », livre Samuel.
Sentiment de dévalorisation, isolement, surcharge de travail, sommeil haché... L’engrenage. « J’aurais pu, comme l’anesthésiste de Châteauroux, mettre fin à mes jours ». Samuel se tourne vers l’Ordre, qui lui conseille de prendre un avocat pour affronter son puissant employeur. Lui espérait être soutenu davantage.
Pour s’extirper de l’impasse, Samuel quitte la région et redémarre de zéro. Sa famille, son « refuge », l’a suivi. « Personne ne sait aujourd’hui ce que j’ai vécu. Je dis toujours que tout s’est bien passé partout ». Y compris au médecin du travail qui l’a reçu dernièrement – une première dans sa vie, sur injonction de son nouvel employeur. « Je ne vois pas l’intérêt de confier des épisodes douloureux à un confrère. Ce serait plus facile de parler à quelqu’un d’extérieur au monde de la santé ».
Certains de ses anciens collègues, tenus à l’écart de la restructuration, ont eux aussi souffert en silence. Avec le recul, Samuel fait son autocritique. « J’ai eu recours à des sédatifs dans mon coin. Je n’ai eu aucune aide, mais je n’en ai pas cherché. Les médecins ont toujours dit qu’ils maîtrisaient tout, y compris leur santé. C’est un peu de notre faute ». Et de conclure : « Les médecins devraient être considérés comme des travailleurs comme les autres, car la qualité des soins passe aussi par le bien-être au travail ».
* Les prénoms ont été modifiés
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