Le Leqembi (lécanémab), un nouveau traitement contre la maladie d'Alzheimer, ne sera pas remboursé dans l'immédiat en France. La Haute Autorité de santé (HAS) se montre sceptique, évoquant des bénéfices « modestes » au regard d’« un profil de sécurité préoccupant ».
« L'accès précoce à Leqembi n'a pas été retenu », a résumé le Pr Pierre Cochat, président de la commission de la transparence de la HAS, à l'occasion d'un avis rendu ce 9 septembre par l'institution et très attendu par les spécialistes de la maladie d'Alzheimer, la plus courante des démences touchant des dizaines de millions de malades dans le monde.
Le Leqembi (lécanémab), développé par les laboratoires Biogen et Eisai, est l'un des principaux espoirs auxquels s'accrochent les associations de patients et de proches, tout comme le Kisunla (donanémab) d'Eli Lilly au fonctionnement semblable.
Lors de leurs essais cliniques, ces médicaments ont permis de ralentir légèrement le déclin de patients encore à un stade débutant de la maladie. Nombre de spécialistes y voient une avancée majeure, alors que la recherche de médicaments anti-Alzheimer patine depuis des décennies.
Mais d'autres regrettent un espoir illusoire, estimant que les bénéfices observés sont si maigres qu'ils ne font pas de différence pour les patients, d'autant que des effets sévères et parfois mortels – hémorragies et œdèmes cérébraux appelés Aria (amyloid related imaging abnormalities) – sont avérés.
Vive controverse
Selon ces sceptiques, la faible efficacité de ces médicaments signifie que la recherche se concentre depuis trop longtemps sur une piste inadéquate, suivie par Leqembi comme Kisunla : chercher à limiter la formation de plaques de protéines dites amyloïdes dans le cerveau des malades.
La HAS, dont les avis sont consultatifs mais généralement suivis par le gouvernement, s'exprime à un moment où la controverse reste vive et où d'autres autorités sanitaires se sont déjà prononcées. Les États-Unis ont déjà approuvé ces traitements et l'Union européenne (UE) a fait de même cette année. Mais, après avoir initialement refusé son feu vert, l’Agence européenne du médicament (EMA) n'a finalement donné son approbation qu'au printemps, la restreignant aux patients les moins à risque d'effets sévères. L’indication retient ainsi le lécanémab au traitement des patients adultes présentant « un diagnostic clinique de trouble cognitif léger et de démence au stade léger dus à la maladie d’Alzheimer (maladie d’Alzheimer débutante), non porteurs ou hétérozygotes pour l’allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE ε4) et présentant une pathologie amyloïde confirmée ».
Mais surtout, autorisation ne veut pas dire remboursement, et ce alors que ces médicaments ont un coût élevé : ils coûtent plusieurs dizaines de milliers de dollars par an aux États-Unis et environ 24 000 euros en Europe. Signe que la distinction est importante, le Royaume-Uni a déçu les associations en autorisant ces traitements sur le principe, mais sans valider leur remboursement.
C'est sur ce dernier point que la HAS devait se prononcer et, plus spécifiquement, sur le bien-fondé d'un « accès précoce ». Celui-ci signifie qu’un médicament peut, dès maintenant, être remboursé à un prix fixé par son fabricant sans attendre la procédure normale. L'intérêt est pour les patients de disposer d'un traitement innovant, et pour le laboratoire de vite commercialiser son médicament.
Bénéfices « très insuffisants »
Ce ne sera pas le cas pour le Leqembi. La HAS conclut, au vu des études fournies par les laboratoires, que rien ne justifie d'accorder un tel traitement de faveur. « Ce médicament n’est pas présumé innovant car il ne s’agit pas d’une nouvelle modalité de prise en charge susceptible d’apporter un changement substantiel aux patients en matière d’efficacité ou de qualité de vie », lit-on dans l’avis.
« On sait bien à quel point tout le monde avait beaucoup d'espoir », a reconnu le Pr Cochat. Mais il met en regard des bénéfices « très insuffisants par rapport à ce qu'on attendait » avec « des effets secondaires qui ne sont pas faibles du tout ».
Cela ne remet pas en cause la possibilité que le Leqembi soit un jour remboursé en France. La HAS, qui se prononcera d'ici à quelques mois sur l'opportunité d'une procédure normale, assure que rien n'est exclu. Mais « c'est évident qu'on ne peut pas s'attendre à une évaluation mirobolante », a prévenu le néphropédiatre aux Hospices civils de Lyon.
Au sein du monde médical, cette décision a suscité des réactions contrastées, entre convaincus et sceptiques du Leqembi. « Il y a quand même une déception », admet auprès de l'AFP le Pr Bruno Dubois, chercheur et neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), co-fondateur de la fondation Recherche Alzheimer, appelant à ne pas négliger l'intérêt de « quelques mois en plus à pouvoir parler à ses petits-enfants ou aller au théâtre ».
Au contraire, « c'est la meilleure décision pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer et leurs familles », assure à l'AFP le psychiatre britannique Rob Howard, spécialiste du grand âge à l'University College de Londres, selon qui des données plus récentes confirment que Leqembi et Kisunla « ne modifient pas réellement la maladie ».
Du côté des fondations, c’est « un coup dur », écrit Vaincre Alzheimer, qui se dit « extrêmement surprise et déçue ». Comme elle, Recherche Alzheimer craint des retombées pour l’attractivité de la France pour les essais thérapeutiques, jugeant la décision française d’être « à contre-courant » de la stratégie maladies neurodégénératives 2025-2030 publiée quelques jours plus tôt, le 5 septembre 2025.
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