« Il est rare de parvenir à mener une étude comme celle-ci », affirme Christopher Baker, responsable d’unité au National Institute of Mental Health (NIMH) et co-auteur d’une nouvelle étude sur la plasticité cérébrale chez les patients amputés. Avec des collègues britanniques (University College de Londres, Université de Cambridge, etc.), il est parvenu à démontrer que le remodelage cortical en réponse à une amputation est finalement bien moindre que ce qu’on a cru pendant plusieurs décennies. Pour y parvenir, ils ont utilisé une approche inédite : comparer l’activité cérébrale avant et après l’amputation.
Il leur a fallu sept ans pour identifier et sélectionner trois patientes susceptibles de répondre à leurs questions et dont l’amputation était programmée. La première a été amputée à la suite d’une malformation artérioveineuse évolutive. La deuxième l’a été pour retirer un sarcome qui progressait lentement depuis 1995. Elle avait déjà subi plusieurs opérations avant l’amputation, ce qui avait altéré son contrôle moteur. Enfin, la troisième patiente présentait une atteinte congénitale extrêmement rare : le syndrome de Severelle–Martorell qui se caractérise par des malformations veineuses étendues, un hémangiome, et une hypoplasie qui peut aboutir à une destruction osseuse et un raccourcissement des membres.
Emballage cadeau
Selon l’article publié dans Nature Neuroscience, une IRM fonctionnelle a été faite à deux reprises avant l’opération afin de cartographier l'activité cérébrale déclenchée par divers mouvements de doigts. Plus précisément, les chercheurs avaient demandé aux trois femmes d’emballer un cadeau, puis de bouger un seul doigt. Le même examen a été répété quatre à cinq fois au cours des cinq années qui ont suivi l’amputation. Replongées dans la même situation, les patientes ressentaient des mouvements de doigts de leur membre fantôme identiques à ceux qu’elles connaissaient avant l’amputation. Il n’y avait que peu, voire pas de changement majeur en ce qui concernait l’activité cérébrale pré et post-amputation. Selon les auteurs, si l’on masquait les dates des examens, il était même impossible de distinguer les cartographies cérébrales.
Ils ont fait appel à une IA spécialement entraînée pour distinguer les aires cérébrales affectées au mouvement de chaque doigt. Plusieurs années après l'amputation, l'algorithme était toujours en mesure de savoir quel doigt du membre fantôme était « remué », signe que l'organisation de cette région du cortex n'avait pas désappris à les contrôler individuellement, malgré leur disparition.
Les chercheurs ont également constaté que les circuits cérébraux proches associés aux mouvements des lèvres et des pieds ne migraient pas vers le territoire du membre fantôme (ce qui avait pourtant été chez les primates). Des analyses complémentaires comparant leurs données à des scanners de témoins valides, ainsi qu'à d'autres études, n'ont fait que renforcer leur impression initiale : la représentation cérébrale du membre perdure.
Repenser les traitements de la douleur du membre fantôme
« Pendant des décennies, le remodelage cortical en réponse à une amputation a été un exemple typique de plasticité cérébrale », explique Christopher Baker. Les défenseurs de cette hypothèse se sont beaucoup appuyés sur des études faites chez le singe, qui montraient une colonisation des aires corticales dédiées au contrôle somatosensoriel du bras par les régions voisines, consacrées, par exemple, au contrôle de la face. Mais l’application à l’être humain de cette théorie de remodelage du cortex somatosensoriel primaire a fait l’objet de débats, notamment liés à l’existence du syndrome du membre fantôme envahissant, qui se manifeste par des sensations vives, souvent douloureuses, dans un membre désormais manquant.
En démontrant l’inertie du cortex somatosensoriel primaire chez des patientes humaines, cette nouvelle étude ouvre la porte à une amélioration de la compréhension du syndrome du membre fantôme, et invite à repenser les traitements standards de la douleur fantôme – dont beaucoup supposent une réorganisation corticale après une amputation. Ces résultats pourraient également être essentiels à la mise en œuvre de technologies transformatrices d'interface cerveau-ordinateur.
« Cette étude nous rappelle que le cerveau s'accroche au membre manquant, presque comme s'il attendait d’y être reconnecté d'une manière ou d’une autre », ajoute Hunter Schone, premier auteur de l’étude. « Aujourd'hui, les technologies d'interface cerveau-machine, en plein développement, peuvent fonctionner en partant du principe que la cartographie cérébrale reste cohérente au fil du temps. Nos données nous permettent d'atteindre une nouvelle frontière : accéder à des détails plus fins de la cartographie de la main, comme distinguer le bout du doigt de sa base, et restaurer la richesse et la qualité des sensations, comme la texture, la forme et la température. »
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