Le taux de mortalité dans l’épilepsie est deux à trois fois plus élevé qu’en population générale, faisant de l’épilepsie la deuxième pathologie neurologique en termes d’années potentielles de vie perdues. Les causes en sont diverses, liées à l’étiologie même de l’affection, aux conséquences d’une crise (accidents, noyades, traumatismes crâniens…) ou encore aux comorbidités psychiatriques (risque suicidaire…). Parmi elles, la mort subite inattendue dans l’épilepsie (MSIE, ou Sudep en anglais pour sudden unexpected death in epilepsy) totalise 50% des décès liés à l’épilepsie.
La prévalence de la MSIE varie fortement en fonction du type d’épilepsie puisque le taux d’incidence pour les patients à épilepsie réfractaire pharmacorésistante est de 7/1 000 personnes-années (PA), contre 1,2/1 000 PA pour l’ensemble des formes, selon un article de la Dr Marie-Christine Picot, coordinatrice du Réseau sentinelle mortalité épilepsie (RSME), publié en 2019 dans la revue Pratique Neurologique (1).
Si la MSIE est liée à l’épilepsie, elle n’est pourtant pas secondaire aux causes sus-citées. « L’autopsie des personnes décédées d’une MSIE est “normale” et ne montre pas de causes spécifiques de décès », explique le Dr Sylvain Rheims, neurologue et membre du comité de pilotage du RSME. « Ce que nous savons aujourd’hui, notamment grâce à l’étude Mortemus (2), c’est que la MSIE survient majoritairement au décours d’une crise tonicoclonique convulsive généralisée, souvent la nuit et que les individus sont fréquemment retrouvés sur le ventre, poursuit le spécialiste. La cascade d’événements menant à la MSIE est connue de façon assez certaine. C’est un arrêt cardiorespiratoire qui survient quelques minutes après la fin d’une crise tonicoclonique convulsive généralisée ».
La Haute Autorité de santé juge faible l’intérêt d’un dispositif de surveillance nocturne en prévention
En France, les recommandations (3) de la Haute Autorité de santé (HAS) décrivent le niveau de preuve des facteurs de risque et des actions de prévention rapportés dans la littérature. Ainsi, si le mauvais contrôle de l’épilepsie et la survenue de crises généralisées sont reconnus comme des facteurs de risque, le niveau de preuve du caractère nocturne est jugé, lui, faible. Faible aussi est l’intérêt d’un dispositif de surveillance nocturne en prévention. « Que faire ? Comment prévenir ? Il y a des éléments, mais pas de réponse certaine à fournir », commente le Dr Rheims.
Comment informer les patients ?
Face au fardeau que représente la MSIE pour les patients et leur famille, les recommandations internationales, dont les françaises, conviennent de la légitimité et de l’utilité de les informer mais mettent en garde contre le risque de faire peser sur eux une angoisse supplémentaire.
De leur côté, les patients et leurs familles, en particulier les parents d’enfants souffrant d’épilepsie, « remontent souvent qu’ils ne sont pas assez informés », explique le Dr Rheims. Pourtant, selon lui, « les neurologues français, et notamment les spécialistes de l’épilepsie, s’accordent tous aujourd’hui pour dire que c’est important qu’ils le soient ». « Il est plutôt question de comment en parler et à quel moment, sur ce point-ci tout le monde ne fait pas pareil. Dans d’autres pays, parler de ce risque est fait de façon systématique à des étapes précises. En France, cela va dépendre du patient, du moment et du cours de son traitement », confie le neurologue. Selon une étude italienne (4) citée par la HAS, parmi 114 médecins prenant en charge des enfants souffrant d’épilepsie, 16 % déclaraient que tous les patients devraient être informés et 12 % qu’aucun ne devrait l’être.
Si les recommandations américaines (5) de 2017 et allemandes (6) de 2021 se rejoignent pour informer sur la prévalence des MSIE et les facteurs de risque, l’approche est sensiblement différente. Les Américains conviennent d’évoquer un « petit » risque chez l’adulte et un risque « exceptionnel » chez l’enfant, et d’indiquer que le contrôle des crises et l’observance peuvent diminuer nettement le risque. Les Allemands, eux, mentionnent que « l’information sur les Sudep peut contribuer à une réduction du risque » et doit être donnée dès l’annonce du diagnostic en précisant les mesures de prévention. Enfin, dans les recommandations françaises, il est « préférable que l’information sur les MSIE soit apportée aux patients ayant un facteur de risque dans un entretien en face-à-face, parmi d’autres informations sur la maladie, sans souligner de manière excessive et angoissante le risque que cela représente ».
Le contrôle de la maladie, clé de la prévention
« Le meilleur levier que nous ayons est la diminution de la fréquence des crises, et notamment des crises généralisées, qui est de toute façon bénéfique pour les patients », déclare le spécialiste. Pour le neurologue, il est nécessaire d’avoir une démarche active pour trouver le bon traitement, tout en gardant en tête que « le plus important est l’observance ». Bien qu’« il ne soit pas clair que l’argument des MSIE puisse améliorer l’observance », « cela peut tout de même être un élément pour reprendre la discussion avec un patient dont les crises ne sont pas contrôlées et qui est réticent à changer de traitement », détaille-t-il. Pour les formes pharmacorésistantes, l’espoir thérapeutique se tourne vers la chirurgie de l’épilepsie, la stimulation du nerf vague ainsi que de nouveaux médicaments.
Concernant la surveillance nocturne par dispositif, les recommandations françaises, à la différence des allemandes et américaines, sont frileuses face au niveau de preuve faible. « S’il n’est pas certain que les systèmes de surveillance puissent être intéressants à domicile, ils le seraient en revanche dans des établissements de soin, mais le niveau de preuve n’est pas suffisant pour des recommandations », commente le Dr Rheims.
Les recommandations allemandes évoquent également le fait de toucher le patient directement après une crise ou de déplacer en position latérale de sécurité après une crise pour diminuer le risque de MSIE, et l’intérêt de la réanimation cardiopulmonaire. « Les données de l’étude Mortemus montrent que la réanimation dans les premières minutes après l’arrêt cardiorespiratoire a sauvé des patients, mais il faut rester prudent sur la réversibilité du processus », ajoute enfin le Dr Rheims.
(1) Picot M.C. Pratique Neurologique 2019;10:141-6
(2) Ryvlin P. et al. The Lancet Neurology 2013;12:966-77
(3) HAS, 2020
(4) Galli F. et al. Epilepsy & Behavior 2017;67:33-8
(5) Harden C. et al. Neurology 2017;88:1764-80
(6) Surges R. et al. Der Nervenarzt 2021;92:809-15
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